Dans le discours de politique générale du 3 juillet 2002,
Jean-Pierre Raffarin a exposé la stratégie de son gouvernement,
les modes d’actions, et les objectifs visés. D’emblée, il
dénonce à la fois l’« individualisme »
et le « communautarisme », et lance un appel à
l’« unité nationale » (et
non pas radicale(2)).
Bref, son discours n’augure rien de bien libéral, et pour cause,
le nouveau premier ministre se dit « humaniste ».
Un
discours « humaniste » aux accents libéraux
L'humanisme de Jean-Pierre Raffarin repose sur 4 « piliers
». Une petite devinette maintenant: les fondements sont-ils:
1) les droits de propriété, la liberté d'expression,
la liberté d'entreprendre, l'État de droit ou 2) l'État
attentif, la République en partage, la France créative, la
mondialisation humanisée?
Bien évidemment, il est ici question d’un homme politique, et donc
cela ne peut être que la proposition no 2. Pourtant,
il dit vouloir « recentrer l’État sur ses missions
régaliennes ». « La République
en partage » a aussi des accents libéraux: «
rapprocher les Français des décisions qui les concernent
». Concernant la France créative, il souhaite «
libérer toutes les forces vives de notre pays et privilégier
toutes les valeurs ajoutées ». Le premier ministre
aurait-il tout simplement fait passer un message libéral sous des
termes politiquement corrects?
La vision de Jean-Pierre Raffarin apparaît donc (relativement) séduisante.
Mais comment transcrire ces belles paroles en un véritable recul
de l’État? Car le premier ministre a sans cesse répété
qu’était venu le « temps de l’action »....
Voici donc les 4 piliers décortiqués, au regard du discours
devant l’Assemblée Nationale.
Sous le vocable mystérieux d’« État attentif
», qui pourrait aussi bien convenir à la NSA(3)
américaine qu’au KGB russe, se cache en fait tout simplement la
politique de lutte contre la criminalité. Ce fut le thème
majeur de la campagne, et le vote Le Pen y trouve une grande part de son
explication. Il y a des remèdes simples à cela: la liberté
de porter des armes en est un, autoriser des compagnies de sécurité
privées en est un autre.
Mais il n'est nullement question de ce genre d'actions. Le gouvernement
va faire comme ses prédécesseurs, il va augmenter les budgets
et les effectifs: 6 milliards d’euros, 25 000 personnes. La
France avait le taux de policier/habitant le plus élevé d’Europe,
mais ça ne suffisait pas! Quand un programme gouvernemental échoue,
il croît. C'est ça, la logique de l'État: amplifier
le désastre, tout en privant les individus des moyens d'y faire
face.
«
République partagée » ou république en
coupe réglée?
« S’ouvrir à la démocratie sociale, c’est
mettre fin à un système qui met trop souvent l’État
et le citoyen directement face à face. » Il prétendait
rapprocher l’État du citoyen, et voilà que maintenant il
affirme la nécessité d’une tierce partie? En fait, la «
démocratie sociale » c’est donner encore
plus de pouvoir aux syndicats: « Le dialogue social
sera au coeur de l’action du gouvernement et les partenaires sociaux seront
consultés avant toute initiative majeure de l’État
». Qui a pensé « cogestion »?
Pourtant, tout le monde sait en France que les principaux freins à
une réforme quelconque de l’État ou des entreprises monopolistiques
EDF, GDF, SNCF(4),
la Poste ou l’Éducation Nationale sont les syndicats. Pourtant Raffarin
« souhaite conforter la légitimité des
partenaires sociaux à agir ». Agir? Il veut dire
bloquer les trains, les aéroports, le courrier, les enfants hors
des écoles, la Sécurité Sociale et tout le reste?
Il veut les consulter alors que ces mêmes syndicats ne connaissent
que NON pour tout vocabulaire? Alors que les seuls mots articulés
qu’un syndicaliste sache prononcer sont « acquis sociaux
»?
Sous le même chapitre, la République du partage, le premier
ministre parle aussi de la formation professionnelle des adultes. Actuellement,
les formations post-scolaires profitent d’abord à ceux qui peuvent
les assimiler: cadres, ingénieurs, dirigeants. Mais pour Jean-Pierre
Raffarin il faut former tout le monde, il y aura donc un «
droit à » la formation. Et un nouveau droit, un!
« Dans un système où chacun tente de vivre aux dépens
des autres, il ne saurait y avoir d'équilibre financier, la sécurité
sociale "gratuite" est condamnée aux déficits et/ou aux rationnements.
Mais Raffarin ne peut le comprendre. » |
|
Mais il y a pire: les retraites. En France, les retraites sont prélevées
directement sur les salaires des travailleurs. Il n’y aucun fonds de garantie,
aucune épargne, rien. Les retraites sont donc gagées sur
le dos des générations futures. Système incohérent,
totalement déresponsabilisant, il est pourtant porté aux
nues par nos politiciens. Et ce n’est pas J.-P. Raffarin qui le remettra
en cause: « Le principe de solidarité entre les
générations exige la sauvegarde du régime par répartition
pour assurer un bon revenu à tous les retraités. »
Loin de lui l’idée que les Français puissent se prendre en
main! Incapables que nous sommes de penser à notre avenir, nous
l’avons abandonné(5)
aux mains de l’État.
Dans le domaine de la santé, rien non plus à attendre du
gouvernement: des promesses de palabres (« Je vous propose
de travailler ensemble à le relever. ») pour
sauver ce qui ne devrait pas l’être: la sécurité sociale
d’État. Loin d’être « le système
de santé [qui] fait notre fierté », la
Sécurité Sociale est en pleine déconfiture: les médecins
ont fait grève pour obtenir 1.5 malheureux euro de plus par consultation,
il manque 40 000 infirmières pour cause de 35 heures
et de retraites anticipées dues à des actes sous payés,
il manque des gynécos pour cause de responsabilités trop
lourdes, de pédiatres, et il manquera aussi bientôt de généralistes(6).
Des
systèmes voués à l'échec
Dans le même temps, alors que le déficit financier est permanent,
les « assurés » reçoivent si peu
de cette fantastique machine administrative qu’ils doivent tous s’adjoindre
les services d’une mutuelle, c'est-à-dire d’une assurance privée.
Évidemment, dans un système où chacun tente de vivre
aux dépens des autres, il ne saurait y avoir d’équilibre
financier, la sécurité sociale « gratuite »
est condamnée aux déficits et/ou aux rationnements. Mais
Raffarin ne peut le comprendre et affirme même: « Notre
objectif est d’éviter à la fois le rationnement des soins
et la dérive incontrôlée et inquiétante des
dépenses. »
Le seul moyen que je connaisse pour arriver à cet état de
fait est de pri-va-ti-ser. L’offre et la demande se rencontreront bien
vite, avec de nouvelles infirmières, des jeunes attirés par
la carrière de médecin généraliste, qui pousseront
après quelques années difficiles à la baisse des prix.
Tous les autres thèmes abordés sont traités de la
même façon, avec le seul outil qu’un homme politique connaisse:
l’État. Par exemple il souhaite laisser l’insertion à des
structures autres que l’État, notamment la famille, mais il veut
une politique familiale « ambitieuse », plus loin
il parle de « droit à la compensation du handicap
», de « droit à l’expérimentation
» des administrations, de la « politique
du logement » qu’il perçoit comme la «
clé du renouveau de ces quartiers difficiles »...
La
France des hommes créatifs de l'État
Au chapitre de la France créative, toute référence
à un projet libéral est systématiquement diminuée
par des commentaires du type: « Ce n'est pas de l'idéologie,
mais tout simplement "ça marche". » Le premier
ministre n’a pas d’idées, il est « pragmatique ».
Et puis les mesures annoncées n’ont aucun caractère général
ou réellement percutant: baisse des charges sur les 18-22 ans sans
diplôme (tant pis pour les 22 ans et 2 semaines), baisse d’impôt
sur le revenu de 5% (tant pis pour les 50% de ménages Français
qui n’en payent pas), création d’un comité de simplification
du langage administratif (mais pas de rappel de lois idiotes comme les
35 heures)...
Concernant l’école publique, qu’un socialiste a tout de même
qualifié de « mammouth à dégraisser
»(7),
Jean-Pierre Raffarin annonce tout de suite la couleur: « L’école
de l’égalité des chances, c'est le plus ancien fondement
de notre cohésion républicaine. » Interdit
donc de l’abolir, malgré les calamités de l’illettrisme (grâce
à la méthode globale), les 60 000 sans diplômes
chaque année (l’élève ne doit pas apprendre, il doit
s’épanouir), l’échec massif en 1ère année d’université
(c’est gratuit, pourquoi se priver?). Il note aussi que les filières
scientifiques ne trouvent plus assez de candidats, rendant très
aléatoire tout développement scientifique à long terme
en France. Pas une fois il n’envisage l’université libre, non, il
faut « favoriser les vocations scientifiques ».
Le domaine de la créativité pure, la culture, reste sous
la mainmise de l’État: bibliothèques, « mécénat
», « droits sociaux » et «
droit au prêt » (je n’invente pas) pour les auteurs,
pas de privatisation en vue pour les chaînes de télé
publiques non plus. Décidément, Raffarin fait peu confiance
aux Français pour décider quoi acheter ou voir!
Dernier thème abordé par Raffarin dans son discours, la «
mondialisation humanisée ». Ça
commence avec l’Europe: « Nous voulons un projet européen
fort, une Europe des hommes, une Europe qui sait faire respecter notre
patrimoine humaniste. » Et qui va nous l’apporter cette
Europe merveilleuse? Valéry Giscard d’Estaing bien sûr! L’hydre
européenne n’est donc pas prête de perdre des têtes.
Concernant l’environnement, je vais citer Jacques Chirac dans son entrevue
du 14 juillet à l’Élysée: « ce
que je sais, c'est que la planète aujourd'hui se dégrade
à un rythme plus rapide que sa capacité de régénération.
Ça, c'est un fait certain. » Vous imaginez la
suite: c’est du José Bové(8)
tout craché, la violence physique en moins, la violence fiscale
et législative en plus.
Voilà, tout est dit. Ceux qui avaient des illusions devraient les
avoir perdues maintenant. Mais il serait injuste de terminer cet article
sans redonner la parole à Jean-Pierre Raffarin: « Nous
avons chacun à défendre notre conception de l’intérêt
général ». Bravo M. Raffarin, mais vous
n’avez pas tiré toutes les conclusions de votre trait de génie,
pourquoi n’êtes-vous pas libéral? Laissez-donc à chaque
personne le soin de construire son propre « intérêt
général »!
1.
Nom de Lionel Jospin à l'Organisation Communiste Internationale,
groupe trotskiste qui a formé de nombreux politiciens, infiltrés
au PS ensuite. Dossier complet sur le site Conscience
Politique. >> |
2.
Le groupuscule Unité Radicale est en voie d’interdiction après
le geste d’un fou, Maxime Brunerie, qui a tiré sur le président
Chirac le 14 juillet dernier (voir La
Page Libérale). Aucune preuve d’un quelconque complot n’a
été apportée pour interdire le groupement politique.
>> |
3.
NSA: National Security Agency, l’un des multiples agences américaines
de surveillance du territoire. Celle-ci est chargée principalement
des écoutes de toutes sortes: web, téléphone, email,
fax… >> |
4.
EDF: Életricité de France, compagnie monopolistique d’État
produisant et distribuant l’électricité. GDF: pareil, pour
le gaz. SNCF: Société Nationale des Chemins de Fer, compagnie
monopolistique d’État exploitant le réseau de chemin de fer
en France, environ 9 milliards d’euros de subventions par
an, 150 000 employés environ, championne toutes catégories
du nombre de jours de grève par an depuis des décennies.
>> |
5.
Ironie, bien entendu. L’État utilise la coercition pour arriver
à ses fins, et l’abandon n’a rien eu de volontaire. >> |
6.
Le nombre de personnes diplômées en médecine dépend
du ministère de l’Éducation nationale. La production de médecins,
infirmières et autres dépend donc du bon plaisir d’un ministre
qui alors même qu’il faut dix ans pour devenir médecin sera
parti dans deux ou trois ans maximum. >> |
7.
Claude Allègre, alors ministre de l’Éducation Nationale en
1997. >> |
8.
José Bové, libéré le 1er août après
1 mois et demi de prison pour avoir détruit un McDonald’s avec une
horde d’agriculteurs. >> |
|
SOURCES |
Discours
de politique générale du 3 juillet de J.-P. Raffarin;
Le projet
de Raffarin; Le
projet de Chirac; Discours
de Chirac du 14 Juillet. |
|