Montréal, 3 août 2002  /  No 107  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
RAFFARIN: UN HUMANISTE
AU GOUVERNEMENT
 
 par Hervé Duray
  
  
          Cinq ans de Jospin. Cinq longues années de socialisme avec le « camarade Michel »(1), ponctuées par les emplois jeunes (300 000 proto-fonctionnaires), les 35 heures, les taxes, les taxes, encore les taxes, quelques lois liberticides par-ci par-là.... Même si je n'attendais pas grand-chose de Chirac (voir CHIRAC-JOSPIN: DU PAREIL AU MÊME, le QL, no 101), beaucoup nourrissaient l'espoir d'un renouveau libéral. L'étude des récents discours ne laisse cependant que peu de doutes, malgré quelques déclarations encourageantes.
 
          Dans le discours de politique générale du 3 juillet 2002, Jean-Pierre Raffarin a exposé la stratégie de son gouvernement, les modes d’actions, et les objectifs visés. D’emblée, il dénonce à la fois l’« individualisme » et le « communautarisme », et lance un appel à l’« unité nationale » (et non pas radicale(2)). Bref, son discours n’augure rien de bien libéral, et pour cause, le nouveau premier ministre se dit « humaniste » 
  
Un discours « humaniste » aux accents libéraux 
  
          L'humanisme de Jean-Pierre Raffarin repose sur 4 « piliers ». Une petite devinette maintenant: les fondements sont-ils: 1) les droits de propriété, la liberté d'expression, la liberté d'entreprendre, l'État de droit ou 2) l'État attentif, la République en partage, la France créative, la mondialisation humanisée? 
  
          Bien évidemment, il est ici question d’un homme politique, et donc cela ne peut être que la proposition no 2. Pourtant, il dit vouloir « recentrer l’État sur ses missions régaliennes ». « La République en partage » a aussi des accents libéraux: « rapprocher les Français des décisions qui les concernent ». Concernant la France créative, il souhaite « libérer toutes les forces vives de notre pays et privilégier toutes les valeurs ajoutées ». Le premier ministre aurait-il tout simplement fait passer un message libéral sous des termes politiquement corrects?  
  
          La vision de Jean-Pierre Raffarin apparaît donc (relativement) séduisante. Mais comment transcrire ces belles paroles en un véritable recul de l’État? Car le premier ministre a sans cesse répété qu’était venu le « temps de l’action ».... Voici donc les 4 piliers décortiqués, au regard du discours devant l’Assemblée Nationale.  
  
          Sous le vocable mystérieux d’« État attentif », qui pourrait aussi bien convenir à la NSA(3) américaine qu’au KGB russe, se cache en fait tout simplement la politique de lutte contre la criminalité. Ce fut le thème majeur de la campagne, et le vote Le Pen y trouve une grande part de son explication. Il y a des remèdes simples à cela: la liberté de porter des armes en est un, autoriser des compagnies de sécurité privées en est un autre. 
  
          Mais il n'est nullement question de ce genre d'actions. Le gouvernement va faire comme ses prédécesseurs, il va augmenter les budgets et les effectifs: 6 milliards d’euros, 25 000 personnes. La France avait le taux de policier/habitant le plus élevé d’Europe, mais ça ne suffisait pas! Quand un programme gouvernemental échoue, il croît. C'est ça, la logique de l'État: amplifier le désastre, tout en privant les individus des moyens d'y faire face.  
  
« République partagée » ou république en coupe réglée?  
  
          « S’ouvrir à la démocratie sociale, c’est mettre fin à un système qui met trop souvent l’État et le citoyen directement face à face. » Il prétendait rapprocher l’État du citoyen, et voilà que maintenant il affirme la nécessité d’une tierce partie? En fait, la « démocratie sociale » c’est donner encore plus de pouvoir aux syndicats: « Le dialogue social sera au coeur de l’action du gouvernement et les partenaires sociaux seront consultés avant toute initiative majeure de l’État ». Qui a pensé « cogestion » 
  
          Pourtant, tout le monde sait en France que les principaux freins à une réforme quelconque de l’État ou des entreprises monopolistiques EDF, GDF, SNCF(4), la Poste ou l’Éducation Nationale sont les syndicats. Pourtant Raffarin « souhaite conforter la légitimité des partenaires sociaux à agir ». Agir? Il veut dire bloquer les trains, les aéroports, le courrier, les enfants hors des écoles, la Sécurité Sociale et tout le reste? Il veut les consulter alors que ces mêmes syndicats ne connaissent que NON pour tout vocabulaire? Alors que les seuls mots articulés qu’un syndicaliste sache prononcer sont « acquis sociaux »? 
  
          Sous le même chapitre, la République du partage, le premier ministre parle aussi de la formation professionnelle des adultes. Actuellement, les formations post-scolaires profitent d’abord à ceux qui peuvent les assimiler: cadres, ingénieurs, dirigeants. Mais pour Jean-Pierre Raffarin il faut former tout le monde, il y aura donc un « droit à » la formation. Et un nouveau droit, un! 
  
     « Dans un système où chacun tente de vivre aux dépens des autres, il ne saurait y avoir d'équilibre financier, la sécurité sociale "gratuite" est condamnée aux déficits et/ou aux rationnements. Mais Raffarin ne peut le comprendre. »
 
          Mais il y a pire: les retraites. En France, les retraites sont prélevées directement sur les salaires des travailleurs. Il n’y aucun fonds de garantie, aucune épargne, rien. Les retraites sont donc gagées sur le dos des générations futures. Système incohérent, totalement déresponsabilisant, il est pourtant porté aux nues par nos politiciens. Et ce n’est pas J.-P. Raffarin qui le remettra en cause: « Le principe de solidarité entre les générations exige la sauvegarde du régime par répartition pour assurer un bon revenu à tous les retraités. » Loin de lui l’idée que les Français puissent se prendre en main! Incapables que nous sommes de penser à notre avenir, nous l’avons abandonné(5) aux mains de l’État.  
  
          Dans le domaine de la santé, rien non plus à attendre du gouvernement: des promesses de palabres (« Je vous propose de travailler ensemble à le relever. ») pour sauver ce qui ne devrait pas l’être: la sécurité sociale d’État. Loin d’être « le système de santé [qui] fait notre fierté », la Sécurité Sociale est en pleine déconfiture: les médecins ont fait grève pour obtenir 1.5 malheureux euro de plus par consultation, il manque 40 000 infirmières pour cause de 35 heures et de retraites anticipées dues à des actes sous payés, il manque des gynécos pour cause de responsabilités trop lourdes, de pédiatres, et il manquera aussi bientôt de généralistes(6). 
  
Des systèmes voués à l'échec 
  
          Dans le même temps, alors que le déficit financier est permanent, les « assurés » reçoivent si peu de cette fantastique machine administrative qu’ils doivent tous s’adjoindre les services d’une mutuelle, c'est-à-dire d’une assurance privée.  
  
          Évidemment, dans un système où chacun tente de vivre aux dépens des autres, il ne saurait y avoir d’équilibre financier, la sécurité sociale « gratuite » est condamnée aux déficits et/ou aux rationnements. Mais Raffarin ne peut le comprendre et affirme même: « Notre objectif est d’éviter à la fois le rationnement des soins et la dérive incontrôlée et inquiétante des dépenses. »  
  
          Le seul moyen que je connaisse pour arriver à cet état de fait est de pri-va-ti-ser. L’offre et la demande se rencontreront bien vite, avec de nouvelles infirmières, des jeunes attirés par la carrière de médecin généraliste, qui pousseront après quelques années difficiles à la baisse des prix.  
  
          Tous les autres thèmes abordés sont traités de la même façon, avec le seul outil qu’un homme politique connaisse: l’État. Par exemple il souhaite laisser l’insertion à des structures autres que l’État, notamment la famille, mais il veut une politique familiale « ambitieuse », plus loin il parle de « droit à la compensation du handicap », de « droit à l’expérimentation » des administrations, de la « politique du logement » qu’il perçoit comme la « clé du renouveau de ces quartiers difficiles »...  
  
La France des hommes créatifs de l'État 
  
          Au chapitre de la France créative, toute référence à un projet libéral est systématiquement diminuée par des commentaires du type: « Ce n'est pas de l'idéologie, mais tout simplement "ça marche". » Le premier ministre n’a pas d’idées, il est « pragmatique » 
  
          Et puis les mesures annoncées n’ont aucun caractère général ou réellement percutant: baisse des charges sur les 18-22 ans sans diplôme (tant pis pour les 22 ans et 2 semaines), baisse d’impôt sur le revenu de 5% (tant pis pour les 50% de ménages Français qui n’en payent pas), création d’un comité de simplification du langage administratif (mais pas de rappel de lois idiotes comme les 35 heures)... 
  
          Concernant l’école publique, qu’un socialiste a tout de même qualifié de « mammouth à dégraisser »(7), Jean-Pierre Raffarin annonce tout de suite la couleur: « L’école de l’égalité des chances, c'est le plus ancien fondement de notre cohésion républicaine. » Interdit donc de l’abolir, malgré les calamités de l’illettrisme (grâce à la méthode globale), les 60 000 sans diplômes chaque année (l’élève ne doit pas apprendre, il doit s’épanouir), l’échec massif en 1ère année d’université (c’est gratuit, pourquoi se priver?). Il note aussi que les filières scientifiques ne trouvent plus assez de candidats, rendant très aléatoire tout développement scientifique à long terme en France. Pas une fois il n’envisage l’université libre, non, il faut « favoriser les vocations scientifiques » 
  
          Le domaine de la créativité pure, la culture, reste sous la mainmise de l’État: bibliothèques, « mécénat », « droits sociaux » et « droit au prêt » (je n’invente pas) pour les auteurs, pas de privatisation en vue pour les chaînes de télé publiques non plus. Décidément, Raffarin fait peu confiance aux Français pour décider quoi acheter ou voir! 
  
          Dernier thème abordé par Raffarin dans son discours, la « mondialisation humanisée ». Ça commence avec l’Europe: « Nous voulons un projet européen fort, une Europe des hommes, une Europe qui sait faire respecter notre patrimoine humaniste. » Et qui va nous l’apporter cette Europe merveilleuse? Valéry Giscard d’Estaing bien sûr! L’hydre européenne n’est donc pas prête de perdre des têtes.  
  
          Concernant l’environnement, je vais citer Jacques Chirac dans son entrevue du 14 juillet à l’Élysée: « ce que je sais, c'est que la planète aujourd'hui se dégrade à un rythme plus rapide que sa capacité de régénération. Ça, c'est un fait certain. » Vous imaginez la suite: c’est du José Bové(8) tout craché, la violence physique en moins, la violence fiscale et législative en plus. 
  
          Voilà, tout est dit. Ceux qui avaient des illusions devraient les avoir perdues maintenant. Mais il serait injuste de terminer cet article sans redonner la parole à Jean-Pierre Raffarin: « Nous avons chacun à défendre notre conception de l’intérêt général ». Bravo M. Raffarin, mais vous n’avez pas tiré toutes les conclusions de votre trait de génie, pourquoi n’êtes-vous pas libéral? Laissez-donc à chaque personne le soin de construire son propre « intérêt général »! 
  
 
1. Nom de Lionel Jospin à l'Organisation Communiste Internationale, groupe trotskiste qui a formé de nombreux politiciens, infiltrés au PS ensuite. Dossier complet sur le site Conscience Politique>>
2. Le groupuscule Unité Radicale est en voie d’interdiction après le geste d’un fou, Maxime Brunerie, qui a tiré sur le président Chirac le 14 juillet dernier (voir La Page Libérale). Aucune preuve d’un quelconque complot n’a été apportée pour interdire le groupement politique.  >>
3. NSA: National Security Agency, l’un des multiples agences américaines de surveillance du territoire. Celle-ci est chargée principalement des écoutes de toutes sortes: web, téléphone, email, fax…  >>
4. EDF: Életricité de France, compagnie monopolistique d’État produisant et distribuant l’électricité. GDF: pareil, pour le gaz. SNCF: Société Nationale des Chemins de Fer, compagnie monopolistique d’État exploitant le réseau de chemin de fer en France, environ 9 milliards d’euros de subventions par an, 150 000 employés environ, championne toutes catégories du nombre de jours de grève par an depuis des décennies.  >>
5. Ironie, bien entendu. L’État utilise la coercition pour arriver à ses fins, et l’abandon n’a rien eu de volontaire.  >>
6. Le nombre de personnes diplômées en médecine dépend du ministère de l’Éducation nationale. La production de médecins, infirmières et autres dépend donc du bon plaisir d’un ministre qui alors même qu’il faut dix ans pour devenir médecin sera parti dans deux ou trois ans maximum.  >>
7. Claude Allègre, alors ministre de l’Éducation Nationale en 1997.  >>
8. José Bové, libéré le 1er août après 1 mois et demi de prison pour avoir détruit un McDonald’s avec une horde d’agriculteurs.  >>
 
SOURCES
Discours de politique générale du 3 juillet de J.-P. Raffarin; Le projet de Raffarin; Le projet de Chirac; Discours de Chirac du 14 Juillet.
 
 
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