Montréal, 12 octobre 2002  /  No 111  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de Thatcher à l'Elysée (éditions Odilon Média).
 
OPINION
 
FRANCE: LA DÉCENTRALISATION
OU LA RUINE ANNONCÉE
 
par Michel de Poncins
  
  
          Le nouveau gouvernement décidément persiste et signe. Avant-hier, 26 septembre, Monsieur Jean-Pierre Raffarin, dans l'émission Cent minutes pour convaincre, l'a confirmé. Nous ne pouvons aussi que répéter notre avis sur une erreur magistrale.
 
          Il s'est référé à la première décentralisation, celle de Mauroy et Deferre, pour se répandre en louanges. En fait, la situation générale est si catastrophique qu'il est facile de critiquer le parisianisme: on dit au public frustré que cela irait mieux si les décisions se prenaient à la base. Ce langage arrange les politiciens qui voient dans la décentralisation le moyen de diffuser leur propre richesse en l'étalant dans les provinces. Le scandale de la première décentralisation, contrairement aux louanges convenues, c'est justement le déchaînement des appétits. Chacun connaît le faste des palais régionaux et départementaux qui sont largement à l'origine de l'effet de ruine et des multiples problèmes; chacun connaît aussi grâce aux cumuls la formidable augmentation de richesse qui en est résulté pour les politiques. On dit que la deuxième décentralisation va donner la parole aux régions: en fait ce sont les « parisiens » qui « descendront » une nouvelle fois pour saisir l'argent et les moyens. 
 
Inégalités en vue 
 
          À la même émission, on a vu le sémillant Jack Lang indiquer que, si on décentralise davantage il y aura de l'inégalité entre les régions, par exemple dans le domaine de l'éducation et qu'il faudra faire des péréquations. Sans attendre le chef du gouvernement s'est aligné et a confirmé qu'il y aurait des péréquations. De qui se moque-t-on? Si on voulait décentraliser vraiment, ce serait pour accepter l'inégalité. L'inégalité est créatrice dans tout les domaines; accepter le mythe de l'égalité c'est entrer dans la vulgate marxiste. Si le bonhomme Raffarin veut décentraliser en égalisant ensuite, il va créer des usines à gaz jumelles sous forme d'un déluge de lois et règlements: les règlements de la nouvelle décentralisation et puis la correction ensuite Cela veut dire qu'il n'y aura aucune économie mais l'accroissement des doublons comme cela s'est passé dans la décentralisation « Defferre ». Monsieur Raffarin, contrairement à l'évidence, a prétendu que la décentralisation était facteur d'économies. 
  
          La calamité va être encore accrue par la nouvelle liberté fiscale projetée pour les collectivités. Les projets avancent à ce sujet et on évoque carrément la liberté de lever l'impôt. Patrick Devedjian, ministre délégué aux Libertés locales, avoue franchement l'objectif qui est de libérer davantage les impôts locaux. Il ajoute « la constitution va affirmer le droit des collectivités locales, au nom du principe d'autonomie financière, à disposer librement de leurs ressources ». Il précise que « l'augmentation de la taxe professionnelle ne pourra pas être supérieure de plus de 50% à celle des autres impôts ». En d'autres termes on va « taper » sur les entreprises. Pour justifier la future ruine il rappelle que les élus seront soumis à la sanction du suffrage universel; autrement dit: « Je vous ruine, pour commencer, et on en parlera à la future élection quand le mal sera fait ». 
  
          Ces projets s'analysent comme un nouveau permis de ruiner accordé aux collectivités locales. C'est d'autant plus grave que les édiles locaux sont souvent les mêmes que les édiles nationaux qui trouvent sur le plan local l'occasion de se bâtir ce qu'ils appellent entre eux un « fief », pour que tout le monde comprenne bien de quoi il s'agit en fait. 
 
          L'étatisme que les mêmes consolident depuis quarante ans au moins, en se passant le flambeau de prétendue opposition à prétendue majorité et au profit unique de la classe politique, a ruiné la France. Les problèmes s'accumulent: retraites, assurance maladie, dégradation des soins, écroulement de l'école, destruction de la famille, désordre partout, déroute financière des firmes publiques, appauvrissement dramatique de la nation. Les « nouveaux », qui ne sont que des « anciens » recyclés, ne veulent surtout rien changer; en fait de « signaux forts », ils ont commencé par créer de nouveaux impôts et ne détruisent aucune dépense et surtout pas celles qui réduiraient leur propre train de vie; les problèmes sont repoussés indéfiniment et éclateront bientôt tous ensemble en un phénomène d'entonnoir. 
  
     « On prétend transférer des compétences aux régions. C'est le cas par exemple de la création d'entreprise que l'on veut "confier" aux régions: en quoi l'intervention de fonctionnaires régionaux, par nature aussi incompétents que les fonctionnaires centraux, améliorerait-elle la création d'entreprise? »
  
          Peu d'entre nous se rappellent le début du gouvernement Juppé. Avant d'être nommé Premier ministre, il avait obtenu la victoire électorale en clamant partout, pendant la campagne, que la France était en perdition. Cela ne l'avait pas empêché, le lendemain de sa nomination de courir à Bordeaux, en vue de préparer son élection à la Mairie. La France avait appris ces faits avec stupéfaction et par un pur hasard, des soldats français se trouvant dans les Balkans en très fâcheuse position. Aussitôt le capitaine avait réintégré son poste par mystère et les médias aux ordres avaient célébré ce « sens du devoir ». Aujourd'hui, le titulaire dans le même poste est à l'origine du Futuroscope dont les chiffres publiés dans la presse montrent bien qu'il a ruiné les Poitevins et peut-être d'autres dans les alentours. 
  
Une apparence de démocratie 
 
          L'un des arguments mis en avant par les médias est que l'on rapprochera les décisions du peuple. Ce sont les mêmes qui accusent de « populisme » ceux qui veulent s'opposer si peu que ce soit à leurs desseins ruineux. On fait miroiter des référendums et beaucoup vont se laisser prendre à cette apparence de démocratie. Mais on prend grand soin d'éviter le référendum d'initiative populaire; l'exemple de la Suisse, un des rares pays vraiment démocratiques, fait trembler de peur les politiques car ils voient bien que le peuple suisse parvient à freiner ou arrêter leurs camarades suisses dans certaines entreprises vraiment ruineuses. S'il y a référendum dans les régions ce sera seulement sur l'initiative des pouvoirs régionaux. 
  
          On prétend transférer des compétences aux régions. C'est le cas par exemple de la création d'entreprise que l'on veut « confier » aux régions: en quoi l'intervention de fonctionnaires régionaux, par nature aussi incompétents que les fonctionnaires centraux, améliorerait-elle la création d'entreprise? L'exemple de ce qui s'est passé jusqu'ici est catastrophique. Les régions financent les écoles: la belle affaire! Le résultat est que personne ne voit clair dans les écoles. Quelle est l'importance de financer les écoles si on ne fixe pas les programmes et si on ne choisit pas les professeurs? La seule façon de gérer les écoles est de proclamer la liberté de l'enseignement avec pour commencer le bon scolaire. Les idéologues au pouvoir n'en veulent surtout pas car cela leur enlèverait le droit de « bourrer le crâne » de la population dès l'enfance en lui diffusant leur idéologie.  
  
          La catastrophe administrative est telle que les politiques ont avoué sans honte aucune qu'il existait des « structures administratives non identifiées »: les « SCOT » (Schémas de cohérence et d'organisation territoriale) et les « CRAT » (Comités Régionaux d'Aménagement du territoire). De même pour les hôpitaux. La santé se dégrade avec, en particulier, 60 000 lits en trop. Or cette surabondance est le fruit de la gloire misérable des maires qui ont sacrifié le bien commun à leur intérêt propre. 
  
          Le pouvoir en parlant de transférer des compétences va en fait diffuser l'interventionnisme au niveau des régions et multiplier l'effet de ruine. C'est déjà commencé pour les chemins de fer que pourtant, avant-hier, Raffarin a cité en exemple. Plutôt que d'avouer le scandale de la SNCF qui ruine la France chaque année de l'équivalent d'un « Crédit Lyonnais » et de prendre les solutions nécessaires, le gouvernement va noyer la catastrophe au niveau des régions et la multiplier. 
  
          Le ministre délégué aux Libertés locales, Patrick Devedjian déjà cité, montre d'ailleurs par avance l'effet de ruine en avouant tout cru: « toute réforme à ses débuts coûte de l'argent ». Un gouvernement libérateur détruirait au plus vite certaines « compétences » publiques et rendrait leur liberté aux Français en leur rendant les impôts correspondants et en laissant le marché jouer. 
  
          Remarquons pour terminer que l'étatisme échevelé que nous connaissons, s'il explique sans du tout le justifier le mouvement de décentralisation, est aussi à l'origine des visées indépendantistes qui se manifestent parfois avec violence. Les mafias politiques locales ne comprennent pas pourquoi ce serait les mafias énarcho-parisiennes qui prospéreraient sur les immenses sommes d'argent ramassées par la force pour satisfaire la machinerie étatique et elles veulent leur part du gâteau républicain. 
  
          Raffarin pour se justifier veut « libérer les énergies ». Ce n'est pas les énergies publiques qu'il faut libérer; il faut, au contraire, faire reculer l'État au profit du marché et au plus vite. Mais pour y parvenir, il faut croire aux vertus du marché et de la liberté, ce qui n'est nullement le cas du pouvoir en place. 
 
 
Articles précédents de Michel de Poncins
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO