Montréal, 26 octobre 2002  /  No 112  
 
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Christian Michel est propriétaire du site Liberalia.
 
PHILOSOPHIE LIBERTARIENNE
 
ÉCONOMIE SOCIALE-DÉMOCRATE
CONTRE LAISSER-FAIRE CAPITALISTE
 
par Christian Michel
 
 
          Il y a quelque vingt ans, comme j’ai eu souvent l’occasion de le confesser, j’étais un libertarien utopiste. Je croyais à la « minarchie », un régime ultra-libéral où un gouvernement minimum limiterait son pouvoir aux fonctions régaliennes de police, justice et relations avec les autres États. Avec l’âge, je suis devenu réaliste. Je suis anarchiste. L’Histoire et la simple observation des comportements sociaux nous montrent sans qu'il soit possible d'en douter qu’une fois légitimée, on ne peut contenir la violence étatique. Il existera toujours une bonne raison de vouloir l’appliquer à telle ou telle situation qui nous émeut, nous scandalise ou nous effraie. Le Génie hors de sa bouteille n’y retourne pas. Il faut donc complètement abolir l'État. 
  
          À l’époque cependant, j’avais établi une liste des avantages comparés de l’économie sociale-démocrate, qui est toujours la nôtre aujourd’hui, et de l’économie ultra-libérale que j’appelais de mes voeux. Comme tous les libertariens ne sont pas encore des anarchistes, cette liste n’est peut-être pas obsolète. Je la livre donc telle que je l’avais dressée. Comme le nombre des avantages du capitalisme est infini, chacun de vous aura d’autres exemples à y ajouter.
 
 
Économie sociale-démocrate   Laisser-faire capitaliste
     
La consommation tient lieu de morale officielle. La justification du pouvoir social-démocrate est la redistribution des richesses. Or on ne peut pas redistribuer le bonheur, l'amour, l'amitié, la santé. Le gouvernement promet toujours plus de biens matériels parce que ce sont les seuls biens qu'il peut distribuer à ses électeurs (en les confisquant à ceux qui les ont produits).   L'abondance matérielle est un des projets possibles parmi d'autres: quête spirituelle, vie familiale. La société libérale ne privilégie aucun d'entre eux.
     
Le gouvernement décide quels « besoins » sont prioritaires. Par la fiscalité et le contingentement, il restreint la satisfaction de tous les autres.   Les gens établissent eux-mêmes la priorité de leurs besoins.
     
Chacun pour soi, l'État pour tous. Chacun est encouragé à ne pas s'occuper de son voisin et laisser l'administration s'en charger.   Puisque l'administration ne se charge pas des plus démunis, des réseaux de solidarité se constituent, sur une base volontaire, c'est-à-dire morale et non pas imposés: solidarités familiales, syndicats, associations d’entraide et caritatives d'inspiration confessionnelles, ethniques.
     
Négation de la réalité: prix imposés, protectionnisme, subventions, projets étatiques conçus sans souci du marché (c'est-à-dire sans souci des disponibilités de la nature et des besoins des gens).   Respect de la réalité. Écoute des désirs d'autrui (pour être le premier à y répondre efficacement). Attention portée aux prix (c'est-à-dire aux disponibilités de la nature et aux demandes des gens).
     
La prétention de faire aboutir un « projet de société » implique la domination sur les êtres humains et la nature.   De multiples projets individuels et associatifs coexistent. Aucun ne dispose de la puissance publique pour s'imposer. Seuls peuvent réussir ceux qui répondent à une attente des gens et respectent la nature.
     
Rigidité, conformisme social. Statuts figeant les hiérarchies.   Souplesse: les gens se tournent vers ceux qui sont les plus prompts à satisfaire efficacement leurs demandes. Nécessité d'une hiérarchie légère. Sens du risque, du changement, du devenir.
     
Recours à la puissance publique pour préserver les « avantages acquis » au détriment d'autrui.   Les « avantages acquis » ne le restent que tant qu'ils permettent à l'entreprise (commerciale ou associative) de satisfaire les désirs des gens mieux que la concurrence.
     
Bureaucratie. Contrôles. Méfiance envers l'initiative privée. Peur du « vide juridique » (c'est-à-dire peur d'un espace de liberté).   En l'absence d'intervention des administrations, libération des initiatives: « Si je ne le fais pas, l'État ne le fera pas à ma place; si je le fais, l'État ne m'en empêchera pas ».
     
Dirigisme.   Esprit d'entreprise, que ce soit pour créer un commerce ou une association sans but lucratif.
     
Paternalisme. Couper les gens de la réalité en les dissociant des conséquences de leurs actes. S'ils réussissent, les produits de cette réussite seront confisqués. S'ils échouent, il dépendra de leur poids politique qu’ils soient assistés, subventionnés.   Respect de la réalité. Responsabilisation des gens. Reconnaissance de leur dignité d'êtres humains capables de jugement. Les gens peuvent apprendre des conséquences heureuses ou malheureuses de leurs actions. Assistance volontaire et pas obligatoire.
     
Collusion des pouvoirs économique et politique. Les ministres se font les commis voyageurs des grandes sociétés industrielles, en échange de faveurs inavouables. Les entreprises exercent un chantage (à l'emploi, par exemple) en échange de subventions ou de marchés protégés.   Les gouvernants ne sont pas soumis à la tentation de la corruption pour la simple raison qu’ils n'ont aucun pouvoir pour favoriser ou défavoriser une entreprise.
     
Les grandes administrations privées et étatiques finissent par se ressembler. Elles attirent l'élite du pays. Dans leur échelle de valeur, la réussite se mesure en termes de pouvoir sur les gens.   Les administrations improductives disparaissent dès que les gens peuvent choisir de traiter avec des organisations plus attentives à leurs soucis. Les valeurs adoptées par les élites sont celles de l'innovation plutôt que du pouvoir. La réussite se mesure en termes de créativité, au sein d'entreprises commerciales comme d'associations sans but lucratif.
     
Les impôts, la Sécurité Sociale, les règlements, établissent des divisions entre les activités désintéressées et le travail rémunéré, et entre les catégories de travail: temporaire, occasionnel, temps partagé...   Le retrait de l'administration permet d’adapter l’emploi bénévole ou rémunéré aux besoins de chacun.
     
L'État étant unique apporte une réponse unique aux problèmes complexes. Sa taille même rend inévitable les moyens extrêmes (exemple: crise de l'énergie = centrales nucléaires). Pour masquer l'éventuelle banqueroute de la solution qu'ils ont choisie (après tout, personne n'est infaillible), les hommes de l'État interdisent toutes les autres réponses possibles au problème. Ils font respecter par la force le monopole de leurs entreprises au nom du « service public ».   Une économie fondée sur l'initiative individuelle engendre une multiplicité de réponses. Les mieux appropriées finissent par être les plus suivies. Les grands projets sont possibles, mais ils ne peuvent pas être décidés par quelques technocrates utilisant l'argent d'autrui. De nombreux partenaires doivent être d'accord de s'y engager, avec leurs compétences et leurs fonds propres. Ces projets doivent donc répondre à des besoins réels. En outre, ils n'excluent pas d'autres réponses.
     
La possibilité ouverte aux politiciens d'intervenir dans l'économie invite à la démagogie. L'action des politiciens a pour échéance le calendrier électoral. Elle privilégie le résultat spectaculaire à court terme.   Non-intervention des politiciens dans les décisions économiques. Chaque individu, entreprise ou association fixe comme il l'entend les échéances de son action à court ou à long terme.
     
À chaque échéance électorale la politique économique du pays peut être remise en cause (exemple: nationalisations/dénationalisations). La possibilité de spoliation, le changement arbitraire des réglementations, du régime de l'impôt, etc., augmentent le risque pour l'entrepreneur, qui privilégie dès lors l'investissement à court terme.   L'absence du risque d'arbitraire étatique permet une meilleure prévision des résultats et un engagement sur le long terme. C’est dans le contexte du capitalisme le plus libéral que furent financés par des investisseurs privés ces projets gigantesques comme le Canal de Suez, les chemins de fer transcontinentaux, les mines andines et africaines, les aciéries, etc., dont l’amortissement ne pouvait être prévu que sur des décennies.
     
La limitation de la propriété privée déresponsabilise chacun du sort de la nature.   La propriété privée conduit à un plus grand respect de la nature: il est facile de polluer un lac qui n'appartient à personne, mais qui va permettre que l'on pollue son lac?
 
 
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