Montréal, 9 novembre 2002  /  No 113  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval, à Québec.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
LE CITOYEN-CONSOMMATEUR FACE AUX ENTREPRISES: DAVID CONTRE GOLIATH?
 
par Carl-Stéphane Huot
 
 
          On l'a vu encore récemment lors des manifestations anti-ZLÉA (Zone de libre-échange des Amériques(1)), les opposants à la mondialisation et au libéralisme économique veulent que le « politique » restreigne autant que faire se peut la marge de manoeuvre de l'économique. Leur argumentation se base notamment sur l'idée que le citoyen n'a aucun poids face à ces grandes corporations anonymes et que cela met en danger les emplois et les avantages sociaux. Ce n'est pas vrai, et voici pourquoi.
 
          Malgré ce que peuvent en dire les critiques, le niveau de vie en Occident a crû de manière phénoménale au 20e siècle, autant par la hausse globale des salaires que par la baisse des coûts de production – qui permet de diminuer globalement les prix. Il s'est aussi amélioré grâce à des innovations telles les différentes découvertes médicales (hygiène, médicaments, soins, etc.). 
 
          Depuis un certain nombre d'années déjà, l'augmentation de la productivité passe par l'implantation de machineries diverses qui, outre le fait qu'elles peuvent travailler 24 heures sur 24, sont capables de travailler dans des environnements hostiles et ont une productivité élevée à qualité constante et continue. Cela ne fait pas l'affaire des syndicats, qui y voient une source de revenus de moins pour eux-mêmes et, de façon secondaire, pour leurs membres. 
 
          Le choix de déplacer une industrie vers un pays du Tiers-Monde repose essentiellement sur une réduction des coûts de main-d'oeuvre. En conséquence, les industries à très haut contenu de travail, c'est-à-dire celles qui ont beaucoup d'opérations manuelles, migrent notamment vers l'Asie du Sud-Est. 
 
          Dans notre monde industrialisé, le consommateur a un choix toujours plus vaste. Il choisit ce qui est le plus près de ses besoins au coût qu'il est prêt à payer. S'il est prêt à investir de gros montants dans certains domaines pour obtenir des biens de bonne qualité – sa maison, son automobile, son système de son –, il peut très bien opter pour des biens de qualité plus « standard », à faible coût, dans certains autres. Un cas patent est celui des marques maison d'épicerie, qui, parce qu'elles ne sont pas – ou très peu – poussées par le marketing, sont offertes, à qualité égale, à des prix de l'ordre de 20% inférieurs à ceux des grandes marques. 
 
Dolloramascope 
 
          Une chaîne de magasins qui exploite à fond le concept de « bas prix » versus « qualité, basse à standard » est Dollarama, où tous les biens se vendent à 1$, voire à 2 ou 3 pour 1$. On y trouve de la vaisselle, des bonbons, différentes revues et livres périmés, des cartes de souhait, des jouets, toute la gamme des savons domestiques et j'en passe. Afin de garder les prix à ce niveau ou plus précisément en dessous de 0,70$ – les détaillants ayant besoin d'une marge globale de 30% pour fonctionner –, les dirigeants utilisent trois sources d'approvisionnement: premièrement, certains produits sont fabriqués au Canada en dessous de ce prix; deuxièmement, certains magasins font faillite, et les dirigeants peuvent se procurer les inventaires à bas prix; enfin, le reste est fabriqué pour la chaîne de magasins en Chine, un emplacement de choix pour réduire les coûts. Et cela fonctionne! 
 
          Les travailleurs peu scolarisés du monde occidental n'apprécient pas du tout cette concurrence, qui a notamment fait mal aux industries textiles, de la chaussure et, plus récemment, à l'industrie nord-américaine de l'automobile, qui migre lentement mais sûrement vers le Mexique. 
 
     « On ne peut pas exiger des pays du Tiers-Monde qu'ils ajustent leurs conditions de travail aux nôtres avant de leur ouvrir la porte. C'est impossible, et c'est injuste, compte tenu de notre énorme avance au niveau des technologies, de l'éducation, des infrastructures et autres. »
  
          Pourtant, il s'agit d'une réaction saine des entreprises. Aux prises avec une concurrence souvent très féroce, et des consommateurs qui en veulent toujours plus pour leur argent, les entreprises peuvent alors économiser beaucoup d'argent en se délocalisant. 
 
          Pour les militants gauchistes, il s'agit là d'un sacrilège: comment pourraient-ils lutter pour « améliorer » leurs conditions de travail, si des millions de travailleurs du Tiers-Monde acceptent de faire le même travail pour le quart du salaire minimum en Occident? C'est l'une des principales raisons de l'opposition de la gauche à l'élimination des barrières tarifaires, qui permettent de maintenir les prix très élevés pour les consommateurs. 
 
Rétrograde et dévastateur 
 
          Le nationalisme économique suppose que l'achat de produits provenant presque uniquement de son propre pays, doublé d'exportations massives, constitue la seule voie logique à suivre. Pourtant, c'est impossible, autant pour des raisons économiques que pratiques. Aucun pays n'accepterait de se voir imposer des barrières tarifaires tout en ouvrant la porte toute grande aux produits étrangers. Ensuite, rares sont les produits qui peuvent être fabriqués sans faire appel au moins en partie à des matières premières étrangères.  
 
          Quant à l'argument voulant que la perte d'une ou l'autre industrie soit irréparable pour un pays, elle n'est pas fondée. À moyen et long terme, d'autres industries naissent, déplaçant la main-d'oeuvre d'un secteur à l'autre. Il est de plus bien démontré économiquement que l'association de plusieurs pays, chacun exploitant ses créneaux d'excellence, crée de la richesse pour tous. Enfin, qui dit ouverture commerciale vers le Tiers-Monde dit aussi consommateurs et, à plus long terme, amélioration des conditions de vie pour ceux-ci. On ne peut pas traverser le pont avant d'y être arrivé, c'est-à-dire exiger des pays du Tiers-Monde qu'ils ajustent leurs conditions de travail aux nôtres avant de leur ouvrir la porte. C'est impossible, et c'est injuste, compte tenu de notre énorme avance au niveau des technologies, de l'éducation, des infrastructures et autres. 
 
          Ultimement, c'est le consommateur qui fixe les prix et la qualité en choisissant tel produit plutôt que tel autre. Si les gens étaient prêts à payer plus pour le maintien de certains emplois dans le pays même, le signal donné aux entreprises ne serait certainement pas le même qu'actuellement. Peu de gens, finalement, sont sensibles au nationalisme économique au point d'accepter de payer plus cher pour un bien produit dans leur pays, à qualité et caractéristiques égales. À la limite, les gens vont privilégier leur propre pays si celui-ci réussit à produire un bien au même prix pour une qualité égale. 
 
          Si la gauche peut oublier commodément les énormes pressions faites sur les entreprises pour qu'elles soient rentables – et donc, qu'elles vendent leurs produits –, les entreprises, elles, ne peuvent se le permettre. Un cas d'école a été la réaction des consommateurs nord-américains lors des crises pétrolières des années 70, où le prix du pétrole avait quadruplé. Profitant de la situation, les Japonais ont envahi le marché avec leurs petites Toyota et Honda très performantes et économiques. La réaction des trois grands de l'automobile a été des plus molles. Ils refusaient de croire que les Nord-Américains se souciaient du prix du pétrole au point d'oublier une hausse du pétrole de 400%. Résultat: ces entreprises ont failli se casser la gueule, notamment Chrysler, qui a dû aller demander au gouvernement américain de la ramasser(2). Et aujourd'hui, les produits japonais demeurent encore au sommet, tant pour leur qualité, leur fiabilité, leur bas prix et leur valeur de revente. 
 
          Le nationalisme économique est rétrograde et dévastateur pour l'économie. Il est injustifiable pour les consommateurs, parce qu'ils n'y trouvent pas leur compte. Les gens font comme ce monsieur que j'ai déjà rencontré au Dollarama: il pestait contre les conditions de travail en Chine, tout en continuant de remplir son panier de produits « Made in China » 
 
 
1. Une réunion des ministres du commerce se tenait à la fin octobre à Quito en Équateur pour en discuter.  >>
2. Voir entre autres, la biographie de Lee Iaccoca, très instructive à ce propos.  >>
 
 
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