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Montréal, 18 janvier 2003 / No 117 |
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par
Martin Masse
L'histoire récente du Québec est marquée par une césure artificielle profonde, celle de la Ce trou de mémoire existe pour une raison bien précise: il permet de justifier la domination idéologique et politique de la petite clique nationalo-étatiste qui s'est installée au pouvoir après la mort de Duplessis. Si l'on en croit la mythologie officielle, le Québec moderne aurait pratiquement été inventé de toute pièce en 1960 par cette nouvelle élite qui a liquidé le pouvoir de l'Église, nationalisé l'éducation et la santé, créé la Caisse de dépôt et la Société générale de financement, et élaboré une culture |
Cette interprétation réductrice
n'est généralement pas, il faut le souligner, celle des historiens
professionnels, qui savent qu'elle ne correspond pas à la réalité
et qui n'ont aucun intérêt à dévaluer la matière
première sur laquelle ils travaillent. C'est plutôt celle
qu'on enseigne dans les écoles secondaires, la version populaire
de notre histoire qui se perpétue dans les discours et les écrits
de la grande majorité de ceux – journalistes, intellectuels, artistes,
politiciens, syndicalistes, militants – qui façonnent ce qu'on appelle
l'opinion publique.
Se réapproprier l'histoire L'histoire n'est pas une pratique neutre et innocente. Nos choix et nos actions aujourd'hui sont influencés par ce que nous considérons comme les développements positifs et négatifs de l'histoire. Ceux qui réussissent à imposer leur interprétation du passé pourront faire miroiter la vision de l'avenir qui en découle et plus facilement influer sur les décisions prises au présent. On ne pourra battre en brèche cette hégémonie nationalo-étatiste qu'en se réappropriant l'histoire qu'on a voulu évacuer et en démontrant que l'interprétation dominante est une grossière déformation de la réalité. On peut recréer une continuité historique de deux façons. D'abord en montrant que loin d'être une petite société pauvre et arriérée, ultraconservatrice et intolérante, jusqu'à la Révolution tranquille, le Québec (ou le Canada français) a au contraire été depuis la colonie une société relativement dynamique, prospère, ouverte et libérale (voir L'EXEMPLE DU PASSÉ QUÉBÉCOIS À L'ORÉE DU 21e SIÈCLE, le QL, no 73). Et cela, si on le compare non pas seulement à ses voisins anglophones (la société la plus prospère et dynamique de la planète depuis le 19e siècle), mais aussi au reste de l'Occident et du monde. Il est illogique de penser que le Québec d'aujourd'hui est radicalement différent de celui d'il y a cent ans, que les conditions de vie qui sont les nôtres ont soudainement émergé du néant et n'ont aucun rapport avec celles de nos ancêtres. Si nous sommes devenus ce que nous sommes aujourd'hui, c'est parce que ceux qui nous ont précédés ont posé les fondations de la société d'aujourd'hui. La deuxième façon est de montrer que le nationalo-étatisme de gauche, prétendument C'est cette perspective qui sert de toile de fond au dernier livre de l'historienne et politicologue Esther Delisle, Essais sur l'imprégnation fasciste au Québec. Dans l'introduction, elle propose de dévoiler cet Travail d'exhumation Depuis la parution de son premier livre il y a une décennie, Esther Delisle a suscité la controverse en déterrant un passé sur lequel plusieurs auraient préféré garder un voile discret. Dans Le Traître et le Juif puis dans Mythes, mémoire et mensonges: L'intelligentsia du Québec devant la tentation fasciste, elle a mis au jour les attitudes antisémites et les sympathies fascistes qu'on retrouvait couramment dans les milieux nationalistes de l'époque qui va de la Dépression à la fin de l'ère Duplessis. La probité scientifique des travaux de Mme Delisle a été mise en doute: interprétation fautive, mise en contexte déficiente, biais idéologique. Peut-être y avait-il matière à critique; je n'ai pas lu ces deux livres et je ne peux me prononcer. À ma connaissance, les critiques n'ont toutefois jamais nié la véracité des citations que l'auteure a mis au jour dans son patient travail de recherche d'archives. Le premier des trois essais contenus dans son plus récent ouvrage renoue avec ce travail d'exhumation. On y retrouve les figures de proue du nationalisme de droite qu'étaient alors le chanoine Lionel Groulx, André Laurendeau et François Hertel. Des personnages qui ont plus tard dominé les manchettes, comme le futur maire de Montréal Jean Drapeau et le syndicaliste Michel Chartrand, font aussi de brèves apparitions. Il est étonnant de lire par exemple des extraits d'un texte de 1938 où ce vieux démagogue mal engueulé, qui fraye aujourd'hui avec les crackpots de l'Union des forces progressistes (une coalition marginale d'extrême gauche qui inclue le Parti communiste), loue
La deuxième débute pourtant bien. Elle est censée illustrer le fait que cette coupure historique est en fait artificielle et que même si les réformateurs nationalistes se disent maintenant de gauche, Il y a bien dans ce deuxième essai quelques éléments d'information intéressants, mais la majeure partie n'apporte rien de nouveau et ne permet surtout pas vraiment de faire le parallèle entre ce discours nationaliste et étatiste Manque de structure Ce qui manque à ce livre, c'est surtout une structure qui se tient. L'idée de publier trois essais distincts n'est pas nécessairement mauvaise, s'il y a justement un fil conducteur suffisamment solide qui les relie. Mais Esther Delisle n'approfondit en fin de compte nulle part sa thèse fondamentale, qui est que le discours et les objectifs des idéologues nationalistes et étatistes de droite est en fait très similaire à ceux des idéologues nationalistes et étatistes de gauche. Elle n'y réfère pratiquement jamais pour mettre en contexte et interpréter pour nous les divers propos et événements qu'elle rapporte, ce qui aurait apporté au livre cette unité et cette cohérence qui lui manquent. Elle ne semble pas non plus avoir fait le même travail de recherche approfondie pour la période post-1960 qui lui aurait permis de faire ces parallèles. Même si les idéologues des deux côtés de cette frontière artificielle qu'est le Esther Delisle aurait pu s'appuyer sur toute une littérature d'inspiration libérale et libertarienne pour rappeler et expliquer cette perspective. La montée de l'étatisme de droite et de gauche n'est en rien un phénomène typiquement québécois, c'est au contraire le fil conducteur de l'histoire de l'Occident tout entier. Déjà en 1944, En démasquant les pseudo révolutionnaires tranquilles, on pourrait également s'apercevoir que le régime duplessiste, loin d'être quasi fasciste comme on l'affirme couramment, était au contraire plutôt libéral. On ne cesse de donner comme exemple le fait que Duplessis aurait En bref, ce livre propose une thèse d'une importance cruciale qui permettrait non seulement de mieux comprendre l'histoire récente du Québec, mais aussi d'influer sur les débats actuels si elle venait à être comprise et adoptée. Il rate malheureusement sa cible. J'exprimerai simplement le souhait qu'Esther Delisle poursuive son travail et qu'elle finisse par produire le livre qui donnera une vue cohérente de la montée de l'étatisme québécois, tout en permettant de renouer avec le Québec d'avant 1960 et de mettre ainsi fin à notre schizophrénie historique.
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