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Montréal, 7 juin 2003 / No 125 |
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par
Roland Granier
S'il est, hélas, une région du monde laissée pour compte dans le cadre du développement incontestable de l'économie mondiale, c'est bien l'Afrique. Dans son ensemble, certes, mais plus particulièrement dans sa partie sub-saharienne. Travaillant, en fonction des données disponibles, sur un échantillon de 57 pays africains dispersés sur l'ensemble du continent (nord et sud du Sahara), Angus Maddison(1) propose l'estimation suivante de leur évolution démo-économique globale, pour les années 1950-1998, en taux de croissance annuels moyens calculés sur des données exprimées en termes réels: |
Il est tout à fait clair que les performances économiques sont faibles. Elles le sont dans l'absolu, eu égard aux performances généralement observées dans le monde contemporain. Elles le sont aussi en termes relatifs, eu égard notamment à la croissance démographique qui demeure très élevée. Il en résulte une stagnation impressionnante des revenus par tête qui traduit bien l'enlisement dans la pauvreté caractérisant ce continent. On a pu calculer, pour donner une indication frappante, qu'il conviendrait que la plupart des pays du continent africain connaissent un taux de croissance annuel moyen de l'ordre de 12% par an de leur revenu réel par tête pour qu'ils puissent espérer rejoindre les niveaux de vie européens dans un délai de 25 ans, et ceux des pays
Il n'est naturellement pas inintéressant de rapprocher toutes ces
observations de l'évolution des exportations et du degré
d'ouverture sur l'extérieur de l'ensemble du continent(4):
Le degré d'ouverture n'est ni négligeable, ni explosif, de
l'ordre, en gros, de 15% au début et à la fin de la longue
période retenue. Mais, ce qui est le plus frappant, c'est d'une
part la baisse assez générale de la croissance des exportations
de 1973 à 1998 (malgré le sursaut des années 1990-98)
par comparaison à ce qui était observable de 1950 à
1973 et, d'autre part, les importantes fluctuations des taux de croissance
constatés. Voici donc un continent enlisé dans la misère
et la stagnation et doté d'un commerce extérieur à
la fois stagnant et fortement instable... Et la mondialisation est souvent
tenue pour responsable de cet état de choses. La technique des
À un degré aussi général et large d'observation
on ne voit vraiment pas en quoi la mondialisation pourrait être mise
en accusation. D'une part parce que l'Afrique n'est certainement pas le
continent qui y a le plus participé depuis deux ou trois décennies.
D'autre part parce que tout un chacun devrait très bien savoir ou
admettre que cette partie du monde est probablement celle qui a accumulé
le plus d'erreurs et amoncelé les plus nombreuses absurdités,
tant politiques qu'économiques, depuis l'accession de ses diverses
composantes au statut d'États indépendants.
Pour ce qui est tout d'abord du nord du continent, il est clair que l'Algérie,
qui pourrait être aujourd'hui le
D'éminents conseillers de même obédience (à
moins que ce ne soit strictement les mêmes?) avaient précédemment
opéré en Tunisie, pays qui sut à temps renverser (1969)
les curieuses orientations imposées sur leur conseil par le premier
ministre Ahmed Ben Salah, et sévirent ensuite à Madagascar
dont on sait l'actuel état de délabrement économique,
politique et moral... La mondialisation est bien loin, en pareil domaine,
d'apparaître comme un facteur déterminant d'une telle situation,
hélas plutôt lamentable d'autant que, dans le cas de l'Algérie,
les ressources pétrolières n'ont pas fait l'objet d'affectations
rationnelles au profit du développement du pays, mais ont bien plus
souvent alimenté la corruption et les revenus officiels ou occultes
de minorités privilégiées.
Si l'on passe à l'Afrique sub-saharienne, le constat est du même ordre, sinon de même nature. Il suffit de feuilleter deux annuaires statistiques internationaux(5), l'un publié dans le cours des années 1950, l'autre tout récent, pour s'en convaincre. Certes les valeurs absolues ont évolué. Mais les parts relatives des secteurs, l'importance en pourcentage des accroissements de population, la nature des productions et des exportations n'ont que très peu varié au sud du Sahara. À tel point que l'on peut se demander, face à un tel constat, ce qui a bien pu se passer dans ces économies depuis trente, quarante ou cinquante ans. Question d'autant plus pertinente que, cumulativement parlant, l'aide publique – bilatérale, multilatérale, ou encore émanant d'organisations internationales – consentie depuis 1950 aux divers pays d'Afrique doit bien représenter, en dollars constants, la valeur globale de deux Les
raisons de la stagnation
La réponse est relativement simple: fonctions publiques aux effectifs
pléthoriques et injustifiés, entreprises publiques largement
improductives, corruption généralisée impliquant tout
autant les divers responsables publics que ceux du secteur privé,
prolifération d'empereurs d'opérette ou de chefs d'États
mégalomanes et somptuairement dépensiers, exerçant
en outre des pouvoirs à la légitimité le plus souvent
douteuse, essaimage de guerres tribales ou ethniques particulièrement
meurtrières et naturellement déstabilisantes(6),
telles sont à notre sens les raisons essentielles qui peuvent rendre
compte de la stagnation relative de l'Afrique noire.
Raisons culturelles (lato sensu) si l'on veut, mais surtout raisons
politiques et, dans une certaine mesure tout au moins, raisons historiques.
La dimension politique est sans doute la plus grave. En l'absence de toute
culture moderne d'État et de structures politiques et administratives
rationnelles et authentiquement démocratiques, face aussi à
l'impuissance engendrée par celles qui existent, les dirigeants
de ces pays semblent s'imaginer que la seule solution à leurs difficultés
réside dans une superposition de réglementations ou d'accords
qui lieraient les partenaires en présence dans l'ordre des relations
commerciales internationales. On retrouve ici la vieille manie africaine
de recourir toujours à l'Administration ou à toute autre
forme d'intervention ou de réglementation publique, dès qu'une
difficulté est rencontrée.
Comme le note pertinemment Jean-Louis Caccomo,
Cinquante années, cela constitue pourtant une assez longue période.
Toute une vie humaine dans le relatif de nombre de ces pays. Deux
Ainsi l'adoption de la
Le
cas des pays pétroliers
De même, penchons-nous quelques instants sur le proche passé
des pays
Et commençons par un peu d'histoire. Pour l'École mercantiliste
(qui s'étend approximativement du début du XVIe siècle
au milieu du XVIIIe siècle), la possession des métaux précieux,
qui servaient alors de monnaie, était source de richesse et de puissance
économique. Sans doute cette pensée, du moins dans ses formulations
les plus rudimentaires et les plus précoces, fait-elle une certaine
confusion entre sources et effets de la richesse. Quoi qu'il en soit, l'afflux
d'or et d'argent d'Amérique Latine vers l'Espagne et le Portugal
a, on le sait, provoqué de grands bouleversements dans la vie économique
de l'Europe occidentale: d'abord, bien entendu, dans la péninsule
ibérique où les pouvoirs publics ont essayé, en vain,
d'interdire l'exportation des métaux précieux, puis dans
les pays environnants (France, Pays-Bas, Royaume-Uni) fournisseurs de produits
finis à destination des Espagnols et Portugais, soudainement enrichis
et avides de biens de luxe. On peut soutenir, en résumant certes
beaucoup, que ces pays n'ont pas su profiter de cette manne, car ils ont
préféré consommer des produits importés des
nations plus industrieuses plutôt qu'investir, chez eux, dans l'agriculture
et l'industrie. L'analogie avec quelques pays exportateurs de pétrole
au cours des années 1973-90 est évidente...
Chacun sait qu'en matière de ressources naturelles extraites du
sous-sol les
Au début des années 80, on pouvait dresser le bilan suivant
des montants des revenus annuels engendrés par les productions minières
mondiales:
Et l'on se souviendra que le soi-disant revenu par tête atteignait
des sommets, à l'époque, dans certains pays peu peuplés
de l'OPEP:
Évidemment, ces valeurs – constituées, répétons-le,
pour l'essentiel de rentes minières analogues à des rentes
foncières perçues par de riches propriétaires terriens
– sont très fluctuantes, les prix du pétrole, du gaz, de
l'or et autres produits des industries extractives étant soumis
à des soubresauts brutaux. Par exemple, entre juillet 1980 et novembre
1986, le prix du pétrole a chuté de 70%; de même le
prix de l'or a perdu près de 60% en l'espace de trois ans, entre
1980 et 1983 exactement (chute de
Qu'est devenue cette manne? Certains de ces États ont essayé,
avec un certain succès, de s'industrialiser et de développer
l'éducation générale et la formation professionnelle,
gages d'une croissance future moins aléatoire (Arabie Saoudite,
par exemple, mais c'est là un cas malheureusement isolé).
D'autres ont constitué un véritable empire financier dans
les pays riches (Koweït): l'impossible absorption de sommes considérables
a alors bien plus débouché sur des investissements et placements
extérieurs que sur l'installation de structures productives intérieures
fiables. D'autres encore ont plutôt décidé d'accroître
massivement leur consommation civile, à coups d'importations généralement
luxueuses, au profit, bien sûr, de minorités privilégiées
(Algérie, Gabon, Venezuela). D'autres, enfin, ont cru devoir consacrer
l'essentiel de leurs surplus financiers à des dépenses militaires
aussi improductives que dangereuses et, aujourd'hui, menaçantes
(Libye et, jusqu'à une date récente, Irak).
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