Montréal, 16 août 2003  /  No 127  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval, à Québec.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
  
COMMENT L'INDUSTRIALISATION ET LE COMMERCE AIDENT LES GENS DU TIERS-MONDE
 
par Carl-Stéphane Huot
  
   « La résistance au changement n'est que le refus de la croissance. »
 
–Alexander Ruperti
  
  
          En mai dernier, un bouquin fraîchement sorti des presses et traduit par notre directeur, Martin Masse, faisait la une du QL. Il s'agit bien sûr de l'excellent Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste de Johan Norberg. Les quelques commentaires qui suivent s'inspirent de ce volume.
 
Les bienfaits du commerce 
  
          Voici une douzaine d'années, alors que je terminais mon cours secondaire, j'ai été amené à jouer au « Jeu de la survie » dans ma classe d'économie. La mise en scène était la suivante: les trente élèves de la classe étaient des naufragés, qui tentaient de survivre sur une île déserte. Pour cela, nous devions nous procurer un vêtement, un poisson et un abri, symbolisés par des découpages et collages dans du papier ou du carton. Nous avions vingt minutes pour tout faire, sinon, nous mourions. Au signal, chacun pour soi, nous devions utiliser les outils mis à notre disposition – en nombre insuffisant pour tous – pour fabriquer ce dont nous avions besoin. Nous sommes tous morts à ce petit jeu.  
  
          Reprenant le même jeu au cours suivant, nous avions toujours 20 minutes, mais cette fois, avec 5 minutes pour nous organiser. Divisés grosso modo en trois équipes égales, nous sommes parvenus à satisfaire tous les besoins du groupe dans le temps imparti. Je n'ai jamais oublié la leçon, même si aujourd'hui je comprends mieux les principes sous-jacents: la spécialisation du travail, en organisant les ressources rares et en obligeant les travailleurs à se concentrer sur une tâche sans se disperser, peut faire la différence entre la vie et la mort des individus, et, passé certaines limites, accroître leur qualité de vie. 
  
          La spécialisation du travail propre à l'économie industrielle a aussi un effet positif sur la stabilisation et l'amélioration des relations intra et inter États. Parce que chacun ne participe qu'à une minuscule partie de la production qui est nécessaire à sa survie, sinon à son confort, elle oblige les dirigeants à modérer leurs ardeurs belliqueuses contre les factions rivales et à dire adieu aux guerres civiles comme moyen de se maintenir au pouvoir. Elle oblige aussi à trouver des solutions autres que les guerres pour régler les problèmes inévitables avec les pays voisins. Lorsqu'on choisit de faire du commerce, l'une des bases des relations que nous avons avec nos voisins, il devient impossible de lui faire la guerre sans se punir soi-même d'une manière disproportionnée. Pensez seulement à tout ce qui s'est dit et écrit autour de la récente guerre en Irak entre l'Europe et l'Amérique: malgré les noms d'oiseaux échangés, malgré la faille idéologique qui a séparé l'Occident, les représailles ne sont pas vraiment allés loin. 
  
          Le 7 juin dernier, Roland Granier nous entretenait du cas de l'Afrique et de ses misères (voir LES PRÉTENDUS « LAISSÉS POUR COMPTE » DE LA MONDIALISATION: LE CAS DES PAYS AFRICAINS, le QL, no 125). En plus d’une douteuse affiliation avec le socialisme, certains de ces pays, comme la Somalie, sont enfoncés dans d’interminables guerres inter-ethniques. La Somalie est certes encore aux prises avec une famine – que les organismes de charité vont mettre de l’avant pour recueillir des fonds –, mais il est difficile de faire quoi que ce soit de constructif avec des bandes de pillard qui viennent voler ou détruire les récoltes, qui empêchent le passage des biens sur les routes et qui vous obligent à consacrer les maigres revenus des terres à l’armement pour se défendre des vols, viols et meurtres(1) – ce que les organismes de charité ne disent jamais.  
  
Afflux de capitaux 
 
          Cet été, par exemple, certains pays d’Europe sont aux prises avec une vague de canicule, qui risque de détruire une partie des récoltes. Voit-on des gens paniquer en pensant à de ce qu’ils vont manger cet hiver? Non, bien sûr. Il sera possible à l’Europe d’importer ce qui lui manquera d’un pays qui sera en position de surplus, quitte à ce que la composition de l’assiette change quelque peu: un peu moins de pain et un peu plus de riz, par exemple. Et personne ne chicanera pour laisser passer les biens, même si tous les pays européens ont une liste plus ou moins longue de contentieux avec chacun des autres pays du continent. 
  
     « L’afflux de capitaux et de salaires plus élevés permet à de nombreuses entreprises de petite taille de naître et de se développer, que ce soit directement pour offrir une certaine sous-traitance aux usines nouvellement installées ou pour offrir certains nouveaux produits et services à la population locale, qui était auparavant trop pauvre pour faire plus que vivoter. »
 
          En Occident, on compte grosso modo 3% de la population qui est impliquée directement dans l'agriculture, contre 85% il y a 150 ans. Les gains de productivité dans ce domaine, de même que dans l’ensemble des secteurs primaires (agriculture, pêche, chasse, forêt, mines) et secondaires (transformation), permettent aujourd’hui de libérer un nombre grandissant de travailleurs pour d’autres activités comme l’éducation et la santé. 
  
          Ces gains, ajoutés à d’autres, comme le développement d’infrastructures de transport, d’aqueducs, d’énergie ou de traitement des déchets liés aux besoins de développement industriel des régions du Tiers-monde, finissent par profiter aux populations, les coûts décroissant fortement avec l’ampleur des infrastructures. En effet, lorsqu'on installe l’eau courante pour quelques usines, de même qu’une centrale de traitement, il n'en coûte pas beaucoup plus cher d’augmenter le débit d’eau pour installer des fontaines d’eau potable et des bains publics. 
  
          L’afflux de capitaux et de salaires plus élevés permet à de nombreuses entreprises de petite taille de naître et de se développer, que ce soit directement pour offrir une sous-traitance aux usines nouvellement installées ou pour offrir de nouveaux produits et services à la population locale, qui était auparavant trop pauvre pour faire plus que vivoter. 
  
Frontières ouvertes 
 
          En ouvrant nos frontières au commerce, nous ne faisons pas qu’aider les plus pauvres que nous: nous nous aidons nous-mêmes et nous nous enrichissons, monétairement parlant, en délocalisant des activités que d’autres pourraient faire bien mieux que nous. Un exemple assez simple le prouve. 
  
          Supposons que deux pays fabriquent les produits A et B. Chacun des pays a 50% de ses travailleurs qui produisent chacun des produits et un nombre total à peu près égal de travailleurs. Posons comme hypothèse que le premier pays produit 60 000 unités du produit A et 25 000 unités du produit B par mois, tandis que le second, beaucoup moins productif, réussit à produire seulement 28 000 unités du produit A et 35 000 unités du produit B par mois. Au total, les deux pays produisent 88 000 A et 60 000 B par mois. En se spécialisant chacun dans le secteur où il est le meilleur, le premier pays peut produire 120 000 A et le second 70 000 B. Au total, les deux pays portent leur production globale de 148 000 à 190 000 unités par mois, avec les mêmes ressources humaines, soit un gain de productivité de près de 30%, qui finit, avec la compétition, par faire baisser le prix des produits et monter les salaires.  
  
          Certes, ce processus prend toujours un certain temps à se concrétiser. Les « altermondistes » peuvent bien vitupérer contre l’ouverture des marchés, il n’y a pas péril en la demeure pour ce qui est de notre qualité de vie. En plus, nous sécurisons d’avantage notre planète en poussant les cinglés qui dirigent certains États et territoires vers la retraite, tout en assurant notre alimentation contre les aléas météorologiques. Cela a bien sûr pour conséquence de frustrer des privilégiés qui s'engraissent indûment derrière des frontières hermétiquement fermées, mais la population en entier profite, au moins à moyen terme, d’une vie plus saine et plus prospère. Que la mondialisation capitaliste soit! 
  
  
1. Voir entre autres le livre La Chute du faucon noir de Mark Bowden – d’où a été tiré le film de Ridley Scott – qui illustre le problème de la Somalie de manière frappante.  >>
 
 
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