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Montréal, 25 octobre 2003 / No 131 |
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par
Carl-Stéphane Huot
Contrairement à ce que prétend un beau mythe gauchiste, ce n'est pas du tout en augmentant la protection des travailleurs que l'on crée de la richesse: c'est plutôt en employant au mieux les ressources disponibles, qu'elles soient humaines ou matérielles, qu'on y arrive. C'est pourquoi l'article 45 du Code du travail du Québec est au coeur d'un débat important pour l'avenir des entreprises et des travailleurs d'ici. Le nouveau gouvernement du Parti libéral a promis de déposer un projet de loi au cours des prochaines semaines pour en alléger la portée. |
Que dit l'article 45 au juste? Qu'un changement d'employeur, que ce soit
par la vente ou concession partielle ou totale d'une entreprise, n'élimine
ni l'accréditation syndicale, ni la convention collective ayant
court jusque-là dans cette entreprise. Au fil des ans, les tribunaux
ont interprété ce règlement de façon très
large, si bien que la simple sous-traitance tombe maintenant sous son emprise.
En termes simples, cela signifie qu'une entreprise qui reçoit un
contrat de sous-traitance devra reconnaître pour une durée
spécifiée un syndicat et appliquer les mêmes conditions
de travail que l'entreprise qui sous-traite, empêchant donc celle-ci
de bénéficier des économies qu'elle aurait pu faire.
Bien qu'il existe des moyens quelque peu laborieux de contourner cette
loi – au grand dam des syndicats d'ailleurs –, elle est aujourd'hui contestée
par les patrons parce qu'elle est à contretemps de l'économie
réelle, et constitue un véritable frein à la productivité,
ce qui en bout de ligne nuit à la création d'emplois.
Sous-traitance et économies On l'a déjà dit, les entreprises, afin de répondre à des besoins de plus en plus pointus de la population, offrent une gamme toujours plus variée de produits, qui sont alors manufacturés en moins grande quantité. Ce morcellement des marchés en niches représente un véritable cauchemar pour les plus grandes entreprises, qui sont généralement bien équipées pour produire en très larges séries une gamme réduite de produits. Lorsque le marché a tendance à se segmenter, les grandes entreprises cherchent généralement à sous-traiter une partie grandissante de leurs activités à de plus petites entreprises qui seront à même de maintenir une production à peu près régulière d'un bout à l'autre de l'année, ce qui permet en soit beaucoup d'économies(1). Quelques exemples peuvent être donnés ici. Dans les industries automobile et aéronautique, les constructeurs se concentrent sur trois choses: la conception, l'assemblage final et le marketing. Une compagnie que je connais bien, Procter & Gamble, est d'abord et avant tout une entreprise de marketing et suit à peu près le même schéma. Elle conçoit les produits, en confie toutes les composante à fabriquer à des sous-traitants puis fait le dernier assemblage et emballage – ce qui peut se faire facilement sur des chaînes de montage non spécialisées qu'il est possible d'adapter au jour le jour à divers produits, ce qui réduit énormément les frais d'équipement – avant de les expédier. La spécialisation des entreprises relève d'une saine logique. Les connaissances augmentent chaque jour. Les interrelations entre les différents acteurs de la société – qu'il s'agisse de citoyens, d'entreprises ou autres – se complexifient. Les citoyens deviennent de plus en plus exigeants dans la spécialisation des produits et services qui répondront à leurs besoins. Tout cela mis ensemble fait en sorte que les entreprises, afin non seulement de survivre mais aussi de dégager une certaine marge de profits pour leurs actionnaires, doivent se spécialiser dans au maximum quelques créneaux dans lesquels elles sont vraiment douées et sous-traiter le reste à des entreprises qui seront à même de dégager des profits intéressants.
L'un des cas qui se sont retrouvés dans les médias cette année est celui des employés de cafétéria de Bombardier. Ceux-ci gagnaient 19,50 $ de l'heure avant que le constructeur d'avions ne décide de faire appel à la sous-traitance pour ce domaine. Outre le fait que ce salaire est de deux fois à deux fois et demie le salaire généralement payé dans ce secteur, l'alimentation n'est pas du tout le rayon de Bombardier, ce qui entraîne des coûts supplémentaires pour l'entreprise. Un sous-traitant spécialisé dans les services de buffet/cafétéria sera à même de réaliser des économies d'échelle tant au chapitre des équipements qu'à celui de l'approvisionnement alimentaire proprement dit, parce que ces entreprises ont généralement la gérance de plusieurs dizaines ou centaines de sites du même genre. Il sera à même d'acheter la nourriture et les équipement requis en plus grande quantité, ce qui sauve généralement beaucoup de frais. Il peut, a priori, sembler difficile pour certains travailleurs de voir un emploi mieux payé que la moyenne du secteur disparaître de l'entreprise pour être confié à un sous-traitant. Pourtant, il est logique et sain du point de vue d'une entreprise de maintenir ses coûts à un niveau raisonnable. Parce que les salaires ne sont pas déconnectés de l'économie, ils sont essentiellement le reflet de la productivité et de leur utilité à la société en général. Nous sommes engagés dans un formidable mouvement vers la libéralisation des échanges, qui, à mon avis, va permettre de formidables poussées d'ingéniosité dans tous les domaines de l'économie. Certains n'y trouveront pas leur compte, soit les individus surpayés par rapport à la valeur de la production ou des services qu'ils fournissent. Ces gens forment d'ailleurs le gros du contingent des opposant à la disparition des frontières économiques. Pourtant, malgré les cris des oiseaux de malheur, l'économie occidentale se porte assez bien et les salaires ne chutent pas (ils augmentent même!), et cela même si bon nombre d'industries se dirigent vers le Tiers-Monde. Et en plus, les prix des produits baissent et leur qualité augmente. Tout cela en partie grâce à la progression de la sous-traitance. Les grandes entreprises, comme les petites, doivent faire attention à tous les coûts et revenus de chacune de leurs opérations, et veiller à garder ceux-ci dans des marges raisonnables. Sinon, l'entreprise peut voir gruger toutes ses marges de profits, qui sont nécessaires autant pour assurer sa propre croissance que pour attirer des investisseurs. L'alternative de hausser les prix étant largement limitée par la concurrence, une entreprise joue souvent son avenir sur sa capacité à contenir les coûts, ce que tente justement d'empêcher l'article 45. Voilà pourquoi il faut abolir cette réglementation absurde.
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