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Montréal, 8 novembre 2003 / No 132 |
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par
Pascal Salin et Mathieu Laine
Votée au lendemain de quelques scandales retentissants aux États-Unis, la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, dite de sécurité financière, contient une série de dispositions destinées à améliorer la transparence dans l'entreprise. Cette loi offre l'occasion de passer au crible de l'analyse juridique et économique le mythe de la transparence imposée. 1. Depuis la publication des rapports Viénot de 1995 et 1999(1) et, plus récemment, du rapport Bouton(2), le droit des affaires tente de se réformer à la lumière des principes du |
L'effondrement récent de grandes entreprises telles qu'Enron ou
WorldCom et l'adoption, aux États-Unis, de la loi Sarbanes-Oxley(3),
ont relancé cette volonté de
2.
Le troisième volet de cette loi tend ainsi à moderniser le
contrôle légal et à améliorer la transparence
dans l'entreprise. Même s'il devrait faire couler beaucoup moins
d'encre que la très médiatique fusion de la COB et du CMF,
il offre cependant l'occasion de passer au crible de l'analyse juridique
et économique le thème de la transparence financière
et de la régulation imposée.
Après avoir rappelé les principales dispositions récentes
en faveur d'une plus grande transparence financière (I), nous en
présenterons les limites (II) et plaiderons pour la restauration
d'un système autorégulé dans lequel la transparence
serait spontanée (III).
La
transparence imposée
3.
Objectif-roi de la pensée juridique et économique contemporaine,
la transparence fait l'objet d'un nombre croissant de dispositions légales
(A) et semble ne pouvoir être imposée au monde financier que
par le seul vecteur législatif (B).
L'inflation
des dispositions légales relatives à la transparence
4.
Les règles imposées par les lois contemporaines traduisent
une volonté forte du législateur de
5.
Le titre troisième de la loi de sécurité financière
s'inscrit dans cette même logique de lutte contre l'opacité(9)
C'est ainsi que, désormais, les informations relatives à
l'organisation des travaux du conseil d'administration ou du conseil de
surveillance, aux procédures de contrôle interne et aux délégations
de pouvoirs devront être communiquées à l'assemblée
générale des actionnaires(10).
Est aussi prévue l'instauration d'une plus grande transparence dans
les relations qui unissent l'entreprise à ses commissaires aux comptes
en rendant notamment leur rémunération publique(11).
De même, les principaux éléments relatifs au gouvernement
d'entreprise feront, pour les sociétés cotées, l'objet
d'une information du marché sous le contrôle d'un
La loi nouvelle modifie également de nombreuses règles de
fonctionnement de la profession comptable(14)
6.
L'ensemble de ces dispositions constitue donc la réponse étatique
au contexte de défiance supposée à l'égard
du capitalisme depuis les faillites retentissantes de Enron, WorldCom,
Adelphia et autres Tyco. Le gouvernement français a donc suivi l'exemple
américain en faisant le constat que le fonctionnement des entreprises
avait besoin d'être amélioré afin de restaurer la confiance
des épargnants. Il a choisi pour cela la voie législative,
partant ainsi du postulat que la transparence se décrète.
On notera cependant que, si l'État utilise sa force contraignante
pour imposer des comportements types aux entreprises, il n'est pourtant
pas allé jusqu'au bout de cette logique puisque ni la constitution
de comités d'audit ni la fixation d'un quota minimal d'administrateurs
indépendants au sein du conseil d'administration ne sont imposées
par cette loi. Le ministre de l'économie et des finances s'en est
expliqué en affirmant qu'il fallait
Le
consensus méthodologique
7.
La loi apparaît donc comme le levier d'intervention privilégié
par le gouvernement pour
8.
Cette vision du monde économique, fortement teintée d'interventionnisme,
va pourtant à l'encontre du
9.
La voie législative, telle qu'elle est utilisée aujourd'hui,
nuit donc à l'avènement d'une véritable régulation
par le droit. Friedrich Hayek a, en effet, démontré comment
seul le droit, défini comme un ensemble de règles générales
et impersonnelles – et non comme une accumulation de normes techniques,
précises et conjoncturelles (comme le sont la loi NRE et la loi
dite de sécurité financière) – permet aux interactions
individuelles de réaliser un ordre social spontané, c'est-à-dire
d'assurer la régulation(22).
Seule la discipline naturelle de la responsabilité individuelle
permet effectivement aux systèmes sociaux de se réguler.
Ce n'est donc pas en confiant au législateur et à des organismes
publics dépourvus de responsabilité immédiate le soin
de définir des règles et de surveiller les entreprises que
l'on obtient un véritable ordre juridique.
10.
Malheureusement, lorsque l'on analyse les mesures qui ont été
jusqu'à présent adoptées ou proposées pour
accroître la transparence financière, on se rend bien compte
que le droit de la régulation n'est finalement rien d'autre qu'une
série de réglementations d'essence et d'origine purement
étatique.
L'utilisation de normes interventionnistes pour imposer un code de bonne
conduite révèle dès lors la grande faiblesse conceptuelle
de la notion de
Il faut donc tirer les conséquences de ce constat en dénonçant
la rigidité congénitale et l'inadaptation chronique des normes
de
Les limites de la
transparence imposée
11.
Les postulats de réflexion qui nourrissent le désir actuel
de régulation par le haut sont le mythe égalitaire (A) et
le mythe de la perfection comptable (B). Ils s'inscrivent dans une dialectique
autoritaire et illusoire et constituent, de ce fait, des limites fortes
à la transparence imposée.
Le
mythe égalitaire
12.
Les dispositions relatives à la transparence financière contenues
dans la loi NRE comme dans la loi de sécurité financière
visent à obtenir une information égale pour tous. Ce faisant,
elles partent du postulat que la transparence financière confère
aux destinataires des informations un meilleur libre-arbitre, une plus
grande faculté de contrôler les dirigeants et une opportunité
plus importante de maximiser leurs investissements. S'il est évident
que l'information est un élément central de toute activité
humaine(24),
au point même que toute activité humaine est une activité
de création et d'utilisation d'informations, et si, en particulier,
l'information est, de ce fait,
13.
Toute intervention étatique dans la production et la diffusion de
l'information représente, en effet, une limitation de la liberté
d'agir des individus et donc une atteinte à leurs droits fondamentaux.
Car l'information n'est pas, contrairement à ce que l'on peut croire,
une sorte d'ingrédient qui permettrait d'améliorer les vies
des êtres humains. Elle est l'expression même de leurs vies,
mais aussi de la diversité de ces vies. La prétention à
déterminer légalement un quelconque niveau d'information
se fonde donc sur l'illusion que le législateur connaîtrait
à l'avance ce qui est précisément l'objet même
des actions humaines et qui doit sans cesse être découvert
par chaque individu.
14.
Comme le droit de la concurrence, le « droit de la
15.
On ne doit pas, au demeurant, ignorer les coûts importants que représentent,
pour l'entreprise, l'augmentation obligatoire de la quantité d'informations
à fournir et l'accélération arbitraire du rythme de
leur communication. Il ne faut pas non plus appréhender l'information
comme un concept global en ne tenant pas compte de la diversité
de ses destinataires. Contrairement au mythe de l'égal accès
à l'information, un petit actionnaire minoritaire n'a pas besoin
des mêmes informations qu'un actionnaire important. De même,
l'actionnaire qui a placé toute sa fortune dans le capital d'une
entreprise a plus intérêt à connaître dans le
détail le fonctionnement de la firme dans laquelle il a investi
qu'un autre qui n'en détient que quelques actions. Il n'y a donc
pas, contrairement à ce que laissent entendre les lois récentes,
un niveau d'information optimal pour tous et la qualité comme la
précision de l'information doit pouvoir être proportionnelle
aux risques personnels de chaque actionnaire.
Le
mythe de la perfection comptable
16.
L'intervention législative se retrouve, par ailleurs, confrontée
à une réalité insurmontable: la quête du paradis
comptable ou informationnel qui, malheureusement, n'existe pas(26).
Il n'y a, en effet, pas de bilan-type, parfait, sans marge d'interprétation
subjective. L'absence d'erreur est par nature impossible non seulement
parce que l'échange est une activité humaine, avec ses imperfections,
mais aussi parce que la science comptable ne pourra jamais être une
science exacte. Il est donc illusoire d'empiler des réglementations
contraignantes pour tenter d'atteindre une pureté comptable inaccessible.
La transparence parfaite est un mythe et il est dangereux de tendre vers
un système qui renforcerait la responsabilité pénale
des dirigeants ou des experts-comptables(27)
alors que l'invention d'instruments financiers de plus en plus raffinés
suppose une évaluation comptable de plus en plus hypothétique
et donc de plus en plus sujette à erreur. L'exigence de transparence,
qui peut paraître louable au premier regard – et c'est d'ailleurs
pour cela qu'elle emporte l'adhésion du plus grand nombre – est
confrontée à des marges d'appréciation nouvelles et
de plus en plus incertaines(28)
dont il faudrait davantage tenir compte. Est-il, en effet, cohérent
de renforcer la sanction du non-respect de
17.
Une suspicion similaire réside à l'encontre des règles
impératives visant à séparer l'audit et le conseil(30).
La loi nouvelle prévoit que le commissaire aux comptes ne pourra,
à titre personnel, fournir des conseils à la personne dont
il certifie les comptes. Elle dispose également que les auditeurs
légaux affiliés à un réseau ne pourront pas
certifier les comptes d'une société qui entretient par ailleurs
avec ce réseau des relations contractuelles ayant pour objet la
fourniture de toute prestation de services(31).
Aucune voix ne semble s'être élevée contre une séparation
aussi radicale. Il faut dire que l'affaire Enron demeure, sur ce point,
dans tous les esprits. Et pour cause, l'un des principaux reproches adressés
au cabinet Andersen est d'avoir perçu davantage d'honoraires au
titre des prestations de conseil que du contrôle légal des
comptes, ce qui, pour certains, permettait de douter de l'indépendance
des commissaires aux comptes. Cependant, là encore, faut-il conclure
aussi rapidement à la nécessité de séparer
autoritairement et définitivement les deux activités? La
réponse à cette question n'est pas si tranchée. En
effet, il peut y avoir un intérêt, pour une entreprise, à
confier à la même société des missions d'audit
et de conseil. Le prestataire, titulaire de cette double compétence,
est ainsi détenteur d'une information de grande qualité pour
exercer ses missions et il peut bénéficier d'une synergie
positive d'informations. Et si, dans un système non réglementé,
des entreprises peuvent décider de ne pas confier à la même
société ces deux activités, d'autres peuvent préférer
faire le choix inverse. Et rien, dans la logique économique, ne
peut venir trancher définitivement cette difficulté. Dans
une telle circonstance, ne peut-on pas, alors, s'interroger sur la légitimité
d'interdire définitivement le cumul d'activités? La seule
proposition recevable sur ce sujet pourrait éventuellement être
d'imposer aux entreprises de communiquer, en cas de cumul, le montant des
sommes versées au cabinet d'audit en règlement de ses activités
de conseil. Mais, là encore, ne peut-on pas laisser aux actionnaires
le soin d'exiger une telle information s'ils en éprouvent le besoin?
18.
La loi de sécurité financière prévoit, par
ailleurs, sur proposition du Sénat(32),
que l'AMF puisse surveiller les agences de notation(33)
et que l'activité d'analyse financière soit encadrée(34).
Cependant, outre la difficulté d'appliquer ces dispositions à
des analystes ou à des agences de notation étrangers, il
faut se demander jusqu'où doit aller un tel contrôle de la
part de l'autorité réglementaire. L'actionnaire lambda est,
en effet, bien souvent davantage influencé par la presse économique
et financière, les sites internet spécialisés ou même
l'avis du voisin de palier. Faudrait-il, si l'on devait suivre la logique
du législateur, que l'AMF puisse, également, contrôler
l'ensemble de ces acteurs? C'est, en partie, ce que recommandait le rapport
Bouton en suggérant l'instauration d'un code de déontologie
strict à l'égard de la presse financière.
L'on ne peut, bien entendu, que s'inquiéter de ces tentations d'hyper-contrôle
et de cet angélisme excessif qui, sous prétexte de réguler
le marché et de protéger les actionnaires, finit par imposer
un ordre moral utopique et contre-productif. Le risque fait partie de la
vie d'un actionnaire. En achetant des actions, en se fiant à telle
information plutôt qu'à telle autre, il accepte ce risque.
Et c'est, là encore, par l'effet du tâtonnement que la multiplicité
des actionnaires mettent à jour, naturellement, les bonnes et les
mauvaises sources d'information.
La transparence imposée revêt donc des limites si regrettables
qu'il convient de les comparer à ce qui résulterait d'un
système autorégulé de transparence spontanée.
Pour une transparence
spontanée
19.
La transparence spontanée a le double avantage de reposer sur des
bases éthiques (A) et de permettre à l'autorégulation
d'apporter une réponse rapide et adaptée aux éventuelles
défaillances (B).
Fondements
éthiques
20.
Si l'on analyse la faiblesse des postulats de réflexion de la transparence
imposée, on comprend qu'il convient de se méfier de la tendance
réglementariste actuelle et de privilégier une approche
En effet, l'objectif premier du débat sur la transparence financière
consiste à s'assurer que l'entreprise est gérée conformément
aux intérêts des actionnaires. Il faut donc leur laisser le
libre choix d'organiser et d'imposer aux dirigeants la qualité d'information
qu'ils souhaitent obtenir(36).
C'est à eux d'en mesurer le coût et l'utilité.
Bien sûr, chaque actionnaire ne pourra que difficilement exprimer
individuellement sa propre demande d'information. Mais c'est aux dirigeants
des entreprises de rechercher, par des processus d'essais et d'erreurs,
le type d'information désiré par leurs actionnaires. Ils
y sont, en réalité, incités car plus ils satisferont
leurs actionnaires sur ce point, plus ils auront de chance de conserver
leur confiance et même d'en attirer de nouveaux(37).
21.
Le rôle principal que devrait jouer l'actionnaire en matière
de transparence trouve son fondement éthique dans le
Il faudrait, pour la même raison, se garder d'importer aveuglément
une solution suggérée par le rapport Bouton(38)
sans en avoir, au préalable, mesuré la légitimité.
La commission Bouton(39)
propose, en effet, de donner à des administrateurs indépendants,
détachés de tout lien avec l'entreprise, une part significative
au sein du conseil d'administration. Ainsi, le conseil d'administration
serait davantage apte à gérer dans l'intérêt
de la société et des actionnaires et aurait une plus grande
propension à diffuser une information de qualité. Indépendants,
ces administrateurs sauraient, mieux que les autres, quelle est la stratégie
optimale à tenir.
Cette solution, qui est souvent présentée comme la solution
à toutes les dérives, est pourtant une illusion. Souvenons-nous,
par exemple, que le Conseil d'administration de Vivendi Universal était
composé, juste avant sa réorganisation, de 19 administrateurs
dont 13 étaient indépendants! Quand on sait que le rapport
Bouton était censé tirer les leçons des récentes
déconvenues de grandes entreprises comme Vivendi, la surprise est
de taille.
22.
Une meilleure gouvernance des entreprises nécessite, au contraire,
une plus grande responsabilisation des membres des conseils d'administration.
Or, nul n'est plus responsable d'une chose que son
Il est également primordial que le conseil d'administration devienne
un véritable organe d'impulsion et de contrôle. Or, dans la
pratique, trop de conseils d'administration sont composés d'administrateurs
ne connaissant pas l'entreprise, ayant été élus par
cooptation mondaine à des postes honorifiques dans lesquels ils
ne s'investissent que trop peu. Se réunissant quatre ou six fois
par an, ils sont déconnectés de la réalité
quotidienne de la firme. Il serait donc préférable que le
nombre des administrateurs soit moins élevé, qu'ils s'impliquent
davantage et qu'ils se réunissent plus régulièrement.
Mais, là encore, c'est à la pratique d'évoluer et
de définir, au sein de chaque entreprise, quelle est la composition
efficiente du conseil d'administration et à quel rythme celui-ci
doit se réunir. L'intuitu personae et l'intuitu societatis
jouent, en effet, un rôle trop important pour qu'une loi vienne
dicter des normes en la matière.
Par ailleurs, ceux qui proposent de donner aux administrateurs dits indépendants
un poids plus conséquent oublient – ou omettent de révéler
– que ces administrateurs sont, en réalité, bien souvent
dépendants de la personne qui les coopte. Car s'ils sont censés
être désignés par l'assemblée générale
des actionnaires, ils sont, le plus souvent, choisis initialement par le
président du conseil d'administration. L'augmentation de leur nombre
serait donc une création prometteuse pour tous ceux qui entendent
se retirer de la vie des affaires avec les honneurs mais ne contribuerait
en rien à un meilleur gouvernement des entreprises.
Ce
dernier exemple montre, une fois encore, qu'il est essentiel de se méfier
des solutions
Autorégulation
et défaillances
23.
L'autorégulation est bien souvent la cible d'une certaine défiance
de la part de ceux qui, croyant plutôt dans les vertus régulatrices
de la loi, considèrent que le marché est incapable de réagir
aux défaillances éventuelles du système économique(41).
Il est pourtant instructif de constater que, alors que Enron ou WorldCom
ont été sanctionnés par la chute de leurs cours de
bourse(42),
une entreprise comme Amazon, qui affichait, en toute transparence, des
pertes depuis des années, ne l'a pas été. C'est dire
combien les acteurs du marché non seulement réagissent au
cas par cas mais sont aussi sensibles au fait que les entreprises affichent,
en toute transparence, leurs résultats, qu'ils soient positifs ou
négatifs.
Autre constat révélateur: la bourse a manifesté ses
inquiétudes à l'égard d'Enron – par la diminution
des cours – bien avant la SEC (Security and Exchange Commission),
pourtant chargée, en principe, du contrôle des entreprises
cotées aux États-Unis. Cette défaillance de la SEC
illustre le caractère illusoire des contraintes réglementaires
et témoigne de l'impossibilité de réguler un système
économique – c'est-à-dire un système humain – par
l'intermédiaire d'organismes dépourvus de responsabilité
immédiate. L'autorégulation par des actionnaires 24.
Dans une économie capitaliste, fondée sur la liberté
et la responsabilité, l'erreur est, en effet, rapidement sanctionnée
et les leçons sont naturellement tirées car l'intérêt
bien compris d'une entreprise ne consiste pas à faire des profits
à court terme mais à durer. Ainsi, si une transparence plus
grande est exigée par les investisseurs, les entreprises réagiront
et informeront spontanément ces derniers au niveau qu'ils attendent.
C'est ainsi, en tous les cas, que les choses se passent dans la réalité
tranquille de l'économie(43).
Certes, les quelques accidents récents (Enron et autres) en font
également partie mais ils sont peu nombreux et sont, finalement,
inéluctables, quelque soit le niveau de réglementation en
vigueur(44).
Le simple fait qu'ils aient eu lieu ne peut donc en aucun cas justifier
la mise en route de la machine législative.
La loi de sécurité financière offre, en réalité,
une nouvelle illustration du phénomène par lequel «
le législateur est porté à restreindre la liberté
de tous quand il constate que quelques-uns ont abusé de leur liberté
»(45).
C'est ce que l'on appelle, en sociologie de la législation,
Le niveau optimal d'information doit, au contraire, être établi
au cas par cas par les actionnaires. Il pourra dès lors être
facilement modifié et sera en mesure de s'adapter rapidement à
l'évolution de la conjoncture comme à la prise de conscience
de nouveaux risques. D'ailleurs, le cas Enron(48)
a déclenché de multiples réactions de la part
des actionnaires d'un très grand nombre d'entreprises qui, d'eux-mêmes,
et sans attendre une quelconque intervention législative, ont automatiquement
affiné leurs exigences en matière d'information comptable(49).
Cette quête du niveau optimal de l'information est donc bien une
préoccupation naturelle et permanente des actionaires qui met en
balance le coût de l'information, la qualité et les exigences
de ses récepteurs, ainsi que la prise en compte du contexte économique.
25.
D'aucuns répliqueront que, dans une économie libre, les actionnaires
majoritaires seront les seuls à pouvoir, au regard du fonctionnement
démocratique d'une entreprise, imposer leurs volontés et
obtenir satisfaction en matière d'information. Ceux-là estimeront
corollairement qu'il est nécessaire d'assurer, par la voie législative,
un minimum d'informations aux actionnaires minoritaires. Pour leur répondre,
il faut revenir à la logique originelle des droits des actionnaires.
Si une personne physique ou morale décide de prendre une participation
minoritaire dans une entreprise, c'est après s'être informée
sur les conditions d'organisation et de gestion de l'entreprise mais aussi
de communication de l'information aux actionnaires. Ainsi, si, au moment
de son entrée dans le capital, l'entreprise définit contractuellement
avec l'actionnaire le niveau et la qualité d'information qu'il percevra
à ce titre, l'actionnaire s'engage en pleine connaissance de cause
et ne pourra pas se plaindre de n'avoir que l'information prévue
conventionnellement(50).
Si, en revanche, rien n'est prévu à ce sujet lors de son
entrée dans le capital, l'actionnaire minoritaire est pleinement
conscient qu'il prend le risque d'être mal informé. Et en
investissant dans une société sans s'assurer de la qualité
d'information qu'il serait susceptible de recevoir, il a pris un risque
qu'il doit assumer.
Y aurait-il une difficulté morale à le reconnaître?
Certainement pas car, d'une part, l'actionnaire dispose de nombreux modes
alternatifs de garantie et de défense (assurances, associations
d'actionnaires minoritaires, etc.) et, d'autre part, il est sain
qu'un actionnaire soit pleinement conscient que l'investissement boursier
est, par essence, risqué. Il n'y a donc aucune nécessité
à instituer légalement une protection des actionnaires minoritaires
parce qu'ils ont, eux-mêmes, la possibilité de choisir une
entreprise qui leur garantisse une bonne information et que rien ne justifie
que l'on tende à limiter, ipsa vi legis, les conséquences
dommageables d'une activité qui s'avère par nature livrée
aux lois du risque.
En définitive, les autorités publiques auraient sans doute été mieux inspirées de laisser la transparence se développer naturellement, spontanément, de la manière la plus adaptée possible au sein de chaque entreprise, plutôt que d'utiliser la puissance législative pour tenter d'atteindre, notamment avec la loi de sécurité financière, un objectif idéalisé d'information financière.
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