Des telles idées plaisent aux masses mal informées. Et elles
sont très populaires auprès des gouvernements engagés
dans une politique d'accroissement de la masse monétaire en circulation
et des dépôts permettant de tirer des chèques. Cependant,
les gouvernements et les partis inflationnistes n'ont pas voulu avouer
ouvertement leur adhésion à la doctrine des inflationnistes.
Alors que la plupart des pays s'engageaient dans la voie de l'inflation
et se lançaient dans une politique d'argent facile, les auteurs
partisans de l'inflationnisme étaient encore dénoncés
comme des « monnayeurs fous ». Leurs
doctrines n'étaient pas enseignées dans les universités.
John Maynard Keynes, feu le conseiller économique du gouvernement
britannique, est le nouveau prophète de l'inflationnisme. La «
révolution keynésienne » a en réalité
consisté à épouser ouvertement les doctrines de Silvio
Gesell. Lord Keynes, qui était le plus en vue des Geselliens britanniques,
avait également adopté le curieux jargon messianique de la
littérature inflationniste et l'avait introduit dans les documents
officiels. L'accroissement du crédit, dit le Paper of the British
Experts du 8 avril 1943, accomplit le « miracle...
de transformer une pierre en pain ». L'auteur de ce
document était, bien entendu, Keynes lui-même. On peut dire
que la Grande-Bretagne a bien évolué depuis les idées
de Hume et de Mill sur les miracles jusqu'à cette affirmation.
- II
-
Keynes entra sur la scène politique en 1920 avec son livre, Les
Conséquences économiques de la paix. Il essayait de prouver
que les sommes exigées pour les réparations étaient
bien plus grandes que ce que les Allemands pouvaient se permettre de payer
et de « transférer ». Le succès
de ce livre fut énorme. La machine de propagande des nationalistes
allemands, bien implantée dans tous les pays, présentait
activement Keynes comme le plus grand économiste et le plus sage
diplomate de Grande-Bretagne.
Ce serait pourtant une erreur de rendre Keynes responsable de la politique
étrangère suicidaire que la Grande-Bretagne poursuivit dans
l'entre-deux guerres. D'autres forces, en particulier l'adoption de la
doctrine marxiste de l'impérialisme et du « bellicisme
capitaliste », furent bien plus importantes dans la
montée de la politique d'apaisement. À l'exception d'un petit
nombre d'hommes clairvoyants, tous les Britanniques soutenaient la politique
qui permit finalement aux nazis de lancer la Seconde Guerre Mondiale.
Un économiste français très doué, Étienne
Mantoux, a analysé point par point le célèbre ouvrage
de Keynes. Le résultat de cette étude très détaillée
et consciencieuse était dévastatrice pour Keynes l'économiste
et le statisticien, ainsi que pour Keynes le diplomate. Les amis de Keynes
n'arrivaient pas à trouver de réponse convaincante. Le seul
argument que son biographe et ami, le professeur E.A.G. Robinson peut avancer
est que cette puissante mise en accusation de la prise de position de Keynes
provenait « comme on pouvait l'attendre, d'un Français
» (Economic Journal, volume LVII, p. 23). Comme si
les effets désastreux de la politique d'apaisement et de défaitisme
n'avaient pas aussi produit ses effets en Grande-Bretagne!
Étienne Mantoux, fils du célèbre historien Paul Mantoux,
était le plus brillant des jeunes économistes français.
Il avait déjà fait de précieuses contributions à
la théorie économique – parmi celles-ci une critique tranchante
de la Théorie générale de Keynes, publiée
en 1937 dans la Revue d'Économie politique – avant de commencer
son ouvrage The Carthaginian Peace or the Economic Consequences of Mr.
Keynes (Oxford University Press, 1946). Il ne vécut pas assez
longtemps pour voir la publication de son livre. Officier des forces françaises,
il fut tué en campagne dans les derniers jours de la guerre. Sa
mort prématurée fut un grave coup porté à la
France, qui a tragiquement besoin aujourd'hui d'économistes sains
et courageux.
- III
-
Ce serait également une erreur de faire rendre Keynes responsable
des erreurs et des échecs des politiques financières et économiques
britanniques. Quand il commença à écrire, la Grande-Bretagne
avait abandonné depuis longtemps le principe du laissez-faire. On
le devait à des hommes comme Thomas Carlyle et John Ruskin et, plus
particulièrement, aux Fabiens. Les gens nés dans les années
1880 et plus tard étaient les simples épigones des socialistes
des universités et des salons de la fin de la période victorienne.
Ils ne critiquaient pas le système en place, comme leurs prédécesseurs
l'avaient fait, mais chantaient les louanges des politiques du gouvernement
et des groupes de pression, dont l'insuffisance, la futilité et
le caractère nuisible devenaient chaque jour plus évident.
Le professeur Seymour E. Harris vient de publier un gros volume d'essais
de différents auteurs, universitaires et bureaucrates, traitant
des doctrines que Keynes a développées dans sa Théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt et de la
monnaie, publiée en 1936. Le titre de ce recueil était
The New Economics, Keynes' Influence on Theory and Public Policy
[La nouvelle économie, l'influence de Keynes sur la théorie
et sur la politique publique] (Alfred A. Knopf, New York, 1947). Il n'est
pas important de savoir si le keynésianisme a légitimement
droit à l'appellation de « nouvelle économie
» ou s'il n'est pas plutôt un retour aux sophismes mercantilistes
si souvent réfutés et aux syllogismes de nombreux auteurs
voulant rendre les gens heureux avec de la fausse monnaie. Ce qui compte
ce n'est pas de savoir si une doctrine est neuve mais si elle est saine.
Le point remarquable de ce symposium est qu'il n'essaie même pas
de réfuter les objections justifiées portées
contre Keynes par des économistes sérieux. L'éditeur
semble incapable de concevoir qu'un homme honnête et non corrompu
puisse être en désaccord avec Keynes. Selon lui, l'opposition
à Keynes provient des « intérêts
directs que les chercheurs trouvent dans l'ancienne théorie
» et de « l'influence prépondérante
de la presse, de la radio, de la finance et de la recherche subventionnée
». À ses yeux, les non-keynésiens ne sont qu'une
bande de sycophantes corrompus, indigne de la moindre attention. Le professeur
Harris adopte ainsi les méthodes des marxistes et des nazis, qui
préféraient insulter les critiques et mettre en doute leurs
motifs plutôt que de réfuter leurs thèses.
Quelques contributions sont écrites dans un langage digne et sont
réservées, voire critiques, dans leur appréciation
des accomplissements de Keynes. D'autres sont simplement des explosions
dithyrambiques. Ainsi, le professeur Paul E. Samuelson nous dit: «
Être né en tant qu'économiste avant 1936 était
une bénédiction – oui. Mais pas trop longtemps avant!
» Et il se met à citer Wordsworth:
Qu'il
était voluptueux de vivre dans cette aube,
Mais
être jeune était véritablement divin!
Redescendant des hauteurs élevées du Parnasse dans la vallée
prosaïque de la science quantitative, le professeur Samuelson nous
fournit l'explication exacte de la prédisposition des économistes
envers l'évangile keynésien de 1936. Ceux qui avaient moins
de 35 ans comprenaient parfaitement, au bout d'un moment, ce qu'il voulait
dire; ceux qui aveint plus de 50 ans se montraient imperméables
et les économistes entre ces deux limites étaient divisés.
Après nous avoir ainsi servi une version réchauffée
du thème de la giovanezza de Mussolini, il nous offre encore
d'autres slogans éculés du fascisme, comme la «
vague du futur ». Cependant, sur ce point, un
autre contributeur, M. Paul M. Sweezy, n'est pas d'accord. À ses
yeux, Keynes, infecté par « les défauts
de la pensée bourgeoise », n'est pas le sauveur
de l'humanité mais uniquement le précurseur dont la mission
historique est de préparer l'esprit britannique à accepter
le marxisme pur et à rendre la Grande-Bretagne idéologiquement
mûre pour le socialisme intégral.
- IV
-
En ayant recours à la méthode de l'insinuation et en essayant
de rendre leurs adversaires suspects par l'utilisation de termes ambigus
autorisant diverses interprétations, les partisans de Lord Keynes
ne font qu'imiter les procédés de leur idole. Car ce que
beaucoup ont appelé avec admiration « le style
brillant » et « la maîtrise
du langage » n'étaient en réalité
qu'astuces rhétoriques bon marché.
Ricardo, dit Keynes, « conquit l'Angleterre aussi complètement
que la Sainte Inquisition avait conquis l'Espagne. »
[Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt
et de la monnaie, Livre I, Chapitre 3, paragraphe III. NdT] C'est la
comparaison la plus vicieuse que l'on puisse imaginer. L'Inquisition, à
l'aide d'agents armés et de bourreaux, avait soumis le peuple espagnol
par la force. Les théories de Ricardo furent acceptées comme
correctes par les intellectuels britanniques sans que la moindre pression
ou contrainte soit exercées en leur faveur. Mais en comparant ces
deux choses si différentes, Keynes suggère indirectement
qu'il y a avait quelque chose de honteux dans le succès des enseignements
de Ricardo et que ceux qui les désapprouvent sont des champions
héroïques, nobles et intrépides de la liberté,
à l'image de ceux qui combattirent les horreurs de l'Inquisition.
Le plus fameux des aphorismes de Keynes est: « Deux
pyramides, deux messes pour un mort, valent deux fois plus qu'une seule.
Mais ceci n'est pas vrai de deux voies ferrées reliant Londres à
York. » [Idem, Livre III, Chapitre 10, paragraphe
VI. NdT] Il est évident que cette boutade, digne d'un personnage
d'une pièce d'Oscar Wilde ou de Bernard Shaw, ne prouve nullement
la thèse selon laquelle « [c]reuser des trous
dans le sol aux frais de l'épargne accroît non seulement l'emploi
mais encore le dividende national réel en biens et services utiles.
» [Idem, Livre III, Chapitre 16, paragraphe III. NdT]
Mais cela place l'adversaire dans la situation délicate de laisser
un semblant d'argument sans réponse ou de devoir employer les instruments
de la logique et du raisonnement discursif contre un brillant mot d'esprit.
Un autre exemple de la technique de Keynes nous est fourni par sa description
malveillante de la Conférence de la Paix de Paris. Keynes n'était
pas d'accord avec les idées de Clemenceau. Il essaya dès
lors de ridiculiser son adversaire en dissertant longuement sur ses habits
et sur son apparence qui, semble-t-il, ne correspondaient pas aux critères
établis par les spécialistes de la confection pour hommes
de Londres. Il est difficile de trouver le moindre lien avec le problème
des réparations allemandes dans le fait que les chaussures de Clemenceau,
« très solides, mais rustiques, étaient
en épais cuir noir,et parfois attachées curieusement sur
le devant par une boucle qui tenait lieu de lacets. »
[Les Conséquences économiques de la paix, Chapitre
III. NdT] Après que 15 millions d'êtres humains périrent
dans la guerre, les hommes d'État les plus éminents du monde
s'étaient rassemblés pour donner à l'humanité
un nouvel ordre international et une paix durable... et l'expert financier
de l'Empire britannique s'amusait du style rustique des chaussures du Premier
Ministre français.
« En ayant recours à la méthode de l'insinuation et
en essayant de rendre leurs adversaires suspects par l'utilisation de termes
ambigus autorisant diverses interprétations, les partisans de Lord
Keynes ne font qu'imiter les procédés de leur idole.
» |
|
Quatorze ans plus tard, il y eut une autre conférence internationale.
Cette fois, Keynes n'était pas un simple conseiller annexe, comme
en 1919, mais l'une des principales figures. Concernant cette Conférence
économique mondiale de Londres en 1933, le professeur Robinson remarque:
« De nombreux économistes du monde entier se
souviendront [...] de la représentation de 1933 à Covent
Garden en l'honneur des délégués de la Conférence
économique mondiale, dont la conception et l'organisation étaient
dues en grande partie à Maynard Keynes. »
Les économistes qui n'étaient pas au service de l'un de ces
gouvernements lamentablement ineptes de 1933, qui ne figuraient donc pas
parmi les délégués et n'avaient pas assisté
à la délicieuse soirée de ballet, se souviendront
de la Conférence de Londres pour d'autres raisons. Elle constitua
en effet l'échec le plus spectaculaire, dans l'histoire des affaires
internationales, des politiques néomercantilistes soutenues par
Keynes. Comparé à ce fiasco de 1933, la Conférence
de Paris de 1919 apparaît comme une grande réussite. Mais
Keynes ne publia aucun commentaire sarcastique sur les manteaux, les chaussures
et les gants des délégués de 1933.
- V
-
Bien que Keynes considérait « l'étrange
prophète Silvio Gesell qui a été injustement méconnu
» comme un précurseur, ses propres enseignements différent
considérablement de ceux de Gesell. Ce que Keynes lui a emprunté
ainsi qu'à la foule des autres propagandistes pro-inflationnistes
n'était pas le contenu de leur doctrine, mais leurs conclusions
pratiques et les tactiques qu'ils utilisaient pour saper l'influence de
leurs adversaires. Ces stratagèmes sont les suivants:
a)
Tous les adversaires, c'est-à-dire tous ceux qui ne considèrent
pas l'accroissement du crédit comme la panacée, sont mis
dans le même sac et appelé orthodoxes. Il est sous-entendu
qu'il n'y a pas de différences entre eux.
b)
On suppose que l'évolution de la science économique a connu
son apogée avec Alfred Marshall et s'est terminée avec lui.
Les découvertes de l'économie subjectiviste moderne sont
écartées.
c)
Tout ce que les économistes ont fait, de David Hume jusqu'à
nos jours, pour clarifier les conséquences des modifications de
la quantité de monnaie et des substituts monétaires est simplement
ignoré. Keynes ne s'est jamais attelé à la tâche
sans espoir de réfuter leurs enseignements par le raisonnement.
Sur tous ces points, les participants du symposium ont adopté la
technique de leur maître. Leur critique vise un corps de doctrine
créé par leur propre imagination, qui ne ressemble en rien
aux théories proposées par des économistes sérieux.
Ils passent sous silence tout ce que les économistes ont dit sur
la conséquence inévitable de l'accroissement du crédit.
Ils donnent l'impression de n'avoir jamais entendu quoi que ce soit de
la théorie monétaire du cycle économique.
Pour apprécier l'ampleur du succès que la Théorie
générale de Keynes a rencontré dans les cercles
universitaires, il faut prendre en compte les conditions qui prévalaient
à l'université dans l'enseignement de l'économie durant
la période de l'entre-deux-guerres.
Parmi les tenants des chaires d'économie au cours des toutes dernières
décennies, seule une poignée d'entre eux était de
véritables économistes, c'est-à-dire des hommes parfaitement
au courant des théories développées par l'économie
subjectiviste moderne. Les idées des anciens économistes
classiques, tous comme ceux des économistes modernes, étaient
caricaturées dans les manuels et dans les classes: on parlait d'économie
démodée, orthodoxe, réactionnaire, d'économie
bourgeoise ou d'économie de Wall Street. Les enseignants tiraient
fierté d'avoir réfuté pour toujours les doctrines
abstraites de l'École de Manchester et du laissez-faire.
L'antagonisme entre les deux écoles de pensée se focalisa
en pratique sur le traitement du problème syndical. Les économistes
traités d'orthodoxes enseignaient qu'une hausse permanente des taux
salariaux pour tous ceux qui désirent toucher un salaire n'est possible
que dans la mesure où la quantité de capital investi par
tête et la productivité du travail augmentent. Si – par un
décret du gouvernement ou sous la pression des syndicats – les taux
de salaire minimums sont fixés au-dessus du niveau auquel aurait
conduit un marché libre, il en résulte un phénomène
de chômage permanent massif.
Presque tous les professeurs des universités à la mode attaquèrent
vivement cette théorie. Au cours de l'histoire économique
des deux cents dernières années, telle que l'interprètent
ces doctrinaires soi-disant « hétérodoxes »,
la montée sans précédent des taux de salaire et des
niveaux de vie réels seraient la conséquence du syndicalisme
et de la législation pro-syndicale du gouvernement. Le syndicalisme
était, selon eux, très avantageux pour les véritables
intérêts de tous les salariés et de toute la nation.
Selon eux, seuls des apologistes malhonnêtes des intérêts
manifestement injustes d'exploiteurs insensibles pourraient trouver quelque
chose à redire sur les actes violents des syndicats. La préoccupation
principale du gouvernement populaire, disent-ils, devrait être d'encourager
autant que possible les syndicats et de leur prêter toute l'assistance
dont ils ont besoin pour combattre les intrigues des employeurs et pour
fixer des taux de salaire de plus en plus hauts.
Mais dès que les gouvernements et les législatures eurent
investi les syndicats de tous les pouvoirs dont ces derniers avaient besoin
pour faire respecter les taux de salaire minimums, les conséquences
prédites par les économistes « orthodoxes »
apparurent: le chômage d'une partie considérable des forces
potentielles de travail fut prolongé année après année.
Les doctrinaires « hétérodoxes »
étaient plongés dans la perplexité. Le seul argument
qu'ils avaient avancé contre la théorie « orthodoxe
» était d'en appeler à leur propre interprétation
fallacieuse de l'expérience. Mais désormais les événements
s'étaient développés précisément comme
l'avait prédit « l'École abstraite
». La confusion régnait au sein des « hétérodoxes
».
C'est à ce moment que Keynes publia sa Théorie générale.
Quel soulagement pour les « progressistes » embarrassés!
Ici, au moins, ils avaient quelque chose à opposer à la vision
« orthodoxe ». La cause du chômage n'était
pas les politiques du travail inopportunes, mais les défauts du
système monétaire et du système du crédit.
Nul besoin de se préoccuper plus longtemps de l'insuffisance de
l'épargne, ni de l'accumulation du capital ou des déficits
publics. Au contraire. La seule méthode pour éliminer le
chômage était d'augmenter la « demande
effective » au travers de la dépense publique,
financée par l'accroissement du crédit et par l'inflation.
Les politiques recommandées par la Théorie générale
étaient précisément celles que proposaient les «
monnayeurs fous » depuis longtemps et que la
plupart des gouvernements avaient adoptées lors de la dépression
de 1929 et des années suivantes. Certains pensent que les écrits
précédents de Keynes ont joué un rôle important
dans le processus qui convertit les gouvernements les plus puissants du
monde aux doctrines de la dépense insouciante, de l'accroissement
du crédit et de l'inflation. Nous pouvons laisser ce point mineur
en suspens. En tout cas, on ne peut nier que les gouvernements et les peuples
n'ont pas attendu la Théorie générale pour
entreprendre des politiques « keynésiennes »
– ou, de façon plus précise, « Geseliennes ».
- VI
-
La Théorie générale de Keynes de 1936 n'a pas
inauguré une nouvelle ère de politiques économiques:
elle a plutôt marqué la fin de cette période. Les politiques
recommandées par Keynes étaient déjà très
proches du moment où leurs conséquences inévitables
apparaîtraient clairement et où leur poursuite serait impossible.
Même les keynésiens les plus fanatiques n'ont pas osé
dire que la misère actuelle de l'Angleterre serait l'effet d'une
trop grande épargne et d'une dépense insuffisante. L'essence
des politiques économiques « progressistes »
tant vantées au cours des dernières décennies était
de s'approprier une part sans cesse croissante des hauts revenus afin d'employer
les fonds ainsi levés pour financer le gaspillage public et pour
subventionner les membres des groupes de pression les plus puissants. Aux
yeux des « hétérodoxes », tout type
de politique, aussi évidente puisse être son insuffisance,
se justifiait comme moyen de conduire à plus d'égalité.
Ce procédé touche désormais à sa fin. Avec
les taux d'imposition pratiqués et les méthodes appliquées
pour contrôler les prix, les profits et les taux d'intérêt,
le système s'est lui-même détruit. Même la confiscation
de tout penny au-dessus de 1 000 livres par an ne procurera
aucune augmentation perceptible des rentrées fiscales britanniques.
Les Fabiens les plus fervents ne peuvent pas ne pas comprendre que, dès
lors, les fonds destinés à la dépense publique doivent
être pris aux mêmes personnes qui sont supposées en
profiter. La Grande-Bretagne a atteint à la fois la limite de l'expansionnisme
monétaire et celle de la dépense publique.
La situation des États-Unis n'est pas fondamentalement différente.
La recette keynésienne pour faire grimper les taux de salaire ne
marche plus. L'accroissement du crédit, appliquée dans des
proportions jusqu'alors inconnues par le New Deal, différa
pour un court instant les conséquences des mauvaises politiques
du travail. Durant l'intervalle, le gouvernement et les leaders syndicaux
purent se vanter des « gains sociaux »
qu'ils avaient obtenus pour « l'homme ordinaire
». Mais les conséquences inévitables de l'accroissement
de la quantité de monnaie et des dépôts est maintenant
devenue visible: les prix montent de plus en plus. Ce qui se passe aujourd'hui
aux États-Unis est l'échec final du keynésianisme.
Il n'y a pas de doute que le public américain s'éloigne des
idées et des slogans keynésiens. Leur prestige diminue. Il
y a encore quelques années, les politiciens discutaient naïvement
du montant du revenu national en dollars, sans tenir compte des changements
que l'inflation créée par le gouvernement avaient apportés
au pouvoir d'achat du dollar. Les démagogues précisaient
le niveau auquel ils voulaient conduire le revenu national (en dollars).
Aujourd'hui, ce mode de raisonnement n'est plus populaire. «
L'homme ordinaire » a finalement appris que l'augmentation
de la quantité de dollars ne rendait pas l'Amérique plus
riche. Le professeur Harris fait encore l'éloge du gouvernement
Roosevelt pour avoir augmenté les revenus en dollars. Mais une telle
logique keynésienne ne se rencontre plus aujourd'hui que dans les
salles de cours.
Il y a encore quelques enseignants qui racontent à leurs étudiants
qu'une « économie peut se soulever elle-même
à la force de ses propres poignets » et que «
nous pouvons dépenser tout en nous dirigeant vers la prospérité.
»(1)
Mais le miracle keynésien n'arrive pas à se matérialiser.
Les pierres ne se transforment pas en pain. Les panégyriques des
auteurs érudits qui ont contribué à la production
du volume dont nous parlons se contentent de confirmer la phrase d'introduction
de l'éditeur selon laquelle « Keynes pouvait
éveiller chez ses disciples une ferveur quasi religieuse envers
son approche économique, ferveur qui pouvait être exploitée
efficacement pour la propagation de la nouvelle économie.
» Et le professeur Harris de continuer: « Keynes,
de fait, apportait la Révélation. »
Il est inutile de discuter avec des gens qui sont conduits par «
une ferveur quasi religieuse » et croient que
leur maître « apportait la Révélation
». L'une des tâches de l'économie est d'analyser
soigneusement chaque plan inflationniste, ceux de Keynes et de Gesell tout
autant que ceux de leurs innombrables prédécesseurs, de John
Law au Major Douglas. Et pourtant, personne ne doit s'attendre à
ce qu'un argument logique, ou la moindre expérience, puisse ne serait-ce
qu'ébranler la ferveur quasi religieuse de ceux qui croient au salut
par la dépense et l'accroissement du crédit.
1.
Cf. Lorie Tarshis, The Elements of Economics, New York, 1947, p.
565. >>
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