Montréal, 6 décembre 2003  /  No 134  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.
 
ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
DEUX MYTHES À PROPOS DE LA MONNAIE *
 
par André Dorais
  
 
          La monnaie est-elle un bien de consommation ou de production? Elle facilite la production et la consommation, mais n'est ni l'un ni l'autre. Est-ce alors une forme de capital? Elle constitue en fait une troisième catégorie et une augmentation de sa quantité ne confère donc aucun avantage. Démystifions ces quelques concepts.
 
Mythe no. 1: Il existe une quantité optimale de monnaie 
  
          La perte d'un bien de consommation ou d'un bien de production résulte en un appauvrissement. Au contraire, le gain ou l'ajout d'un tel bien amène un enrichissement. Cependant, la même chose ne peut être dite d'un ajout ou d'une perte d'argent dans un système économique. Comme l'écrit Ludwig von Mises dans The Theory of Money and Credit: « Une augmentation de la quantité de monnaie ne peut pas davantage accroître le bien-être des membres d'une communauté qu'une réduction de monnaie ne peut le détériorer. » [Traduction libre] C'est que les changements de valeur de la monnaie s'ajustent à la demande de celle-ci. De sorte qu'en dépit des variations dans la quantité de monnaie la richesse totale demeure la même. 
  
          Les biens de production tirent leur valeur des biens de consommation qu'ils servent à produire. Plus il y a de biens de production, plus on est prospère. Mais il n'en va pas de même de la monnaie. Il n'y a aucun avantage à obtenir d'une quantité additionnelle de monnaie pour l'économie dans son ensemble. Les lois qui gouvernent la valeur d'une monnaie sont différentes de celles qui gouvernent la valeur des biens de production et de consommation. 
  
          Lorsque la demande d'un individu est comblée par une production accrue, il y a enrichissement social car au moins deux individus sont satisfaits, soit le consommateur et le producteur. Cependant, même dans un système où la quantité de monnaie est équivalente à une quantité d'or librement produite, il n'y a pas d'avantage social à l'inflation (= croissance) monétaire malgré le fait que l'échange entre un acheteur et un producteur d'or soit satisfaisant pour chacun. En effet, une tierce partie s'appauvrit en voyant la valeur de ses avoirs monétaires diminuer – toutes choses étant par ailleurs égales – suite à une augmentation de la quantité d'or. On ne peut pas dire que, malgré la redistribution de richesse que cela occasionne, la satisfaction totale demeure inchangée, car la satisfaction ne se mesure pas.  
  
          En somme, la monnaie est un bien économique qui n'est ni un bien de consommation ni un bien de production. Elle exige donc une grille d'analyse différente. Les changements dans l'offre de monnaie ne confèrent ni une augmentation ni une réduction de valeur sociale. Tout ce qu'on peut dire de celle-ci est qu'elle ne se mesure pas. Rappelons que pour bien comprendre la monnaie il faut comprendre que la valeur est subjective. 
    
          Puisque le marché tend à déterminer le pouvoir d'achat là où l'offre et la demande de monnaie coïncident, il ne peut jamais y avoir un surplus ou une pénurie de monnaie. « La quantité de monnaie disponible dans l'économie est toujours suffisante pour permettre à chacun tout ce que la monnaie fait et peut faire. » (Human Action, p. 421, traduction libre) 
  
          La monnaie commence à circuler dans les marchés en des points spécifiques, c'est-à-dire par l'entremise d'échanges volontaires entre particuliers. Elle se répand de façon asymétrique selon qu'un individu y accède tôt ou tard. Les premiers à y mettre la main s'enrichissent, car ils se procurent des biens aux prix actuels. Les biens les plus désirés subissent alors une hausse de leurs prix. L'augmentation des prix se poursuit mais de façon moins intensive jusqu'à ce que tous les biens soient affectés à divers degrés. Les derniers à s'approprier ce nouvel argent voient leurs revenus diminuer à cause de la réduction du pouvoir d'achat de la monnaie comme conséquence inévitable d'une augmentation de sa quantité.  
  
          Même si les pertes des derniers correspondent aux profits des premiers, on ne peut affirmer que cette redistribution constitue un « jeu à somme nulle », car il est impossible de comparer les valeurs entre les individus. En d'autres mots, dans une théorie de la valeur exclusivement subjective on ne peut légitimement établir des comparaisons interpersonnelles d'unités de satisfaction. Ainsi, peut-être que le perdant ne s'en fait pas et que le gagnant est fou de joie ou vice versa.  
  
          Puisque les changements dans la quantité de monnaie ne sont pas neutres, c'est-à-dire qu'ils entraînent inévitablement des gagnants et des perdants, quels sont les avantages d'une production libre de monnaie par rapport à la production monopolisée par la banque centrale? Précisons d'abord que le mythe d'une quantité optimale de monnaie n'est qu'une variation du mythe de sa neutralité. La réalité nous indique plutôt qu'il y a des conséquences aux variations de quantité de monnaie et qu'il n'en existe pas de quantité optimale. 
  
          Le principal avantage d'une monnaie métallique est que l'expansion monétaire est limitée par les coûts d'exploration et d'exploitation minière. Au contraire, il ne coûte pratiquement rien aux hommes de l'État pour produire le papier-monnaie et comme on peut le constater, ils en profitent allégrement. Cette production sans contrainte rend la monnaie sujette à des fluctuations de prix de beaucoup supérieures à ce qui existait lorsqu'une monnaie métallique était d'usage. Ces fluctuations, à leur tour, entraînent une plus grande redistribution des richesses, donc moins de liberté.  
  
Mythe no. 2: La banque centrale peut stabiliser les prix 
  
          Les politiciens et les fonctionnaires des banques centrales disent travailler à la stabilité des prix. Ils y travaillent, certes, en engageant d'autres fonctionnaires qui tentent de contrôler les prix des biens et services qui sont inévitablement touchés par la production de papier-monnaie, et de manière beaucoup plus prononcée que dans un système où la production de monnaie n'est pas monopolisée. Ainsi, l'intervention de l'État dans la production de monnaie entraîne plusieurs autres interventions sous prétexte de contrôler les prix. Or, si ces interventions réussissent, pour un temps, à contrôler certains prix, c'est au « prix » d'une plus grande variation de prix des biens et services non encore contrôlés par l'État. De plus, vous payez sans cesse davantage, par vos taxes, tous ces fonctionnaires qui contrôlent et redistribuent. Imaginez tout ce qu'il vous resterait sans eux!  
  
     « Le principal avantage d'une monnaie métallique est que l'expansion monétaire est limitée par les coûts d'exploration et d'exploitation minière. Au contraire, il ne coûte pratiquement rien aux hommes de l'État pour produire le papier-monnaie et comme on peut le constater, ils en profitent allégrement. »
 
          Dans une économie en croissance la division du travail s'accentue et la population a tendance à croître, ou du moins à rester stable par l'entremise des naissances ou de l'immigration. Dans ces conditions, une augmentation de la demande de monnaie prévaut. Cette demande accrue de monnaie augmente son pouvoir d'achat. Toutefois, cette augmentation de pouvoir d'achat est contrebalancée par la production de monnaie métallique, voire complètement renversée par la mise en circulation de papier-monnaie. Il s'agit de deux phénomènes différents qui ne se neutralisent pas nécessairement. 
  
          Si l'offre de monnaie est relativement stable, ce qu'elle est dans un marché libre, ceux qui désirent plus de monnaie doivent offrir plus de biens en échange, ce qui a pour résultat de hausser le prix de la monnaie et de réduire le prix des biens. Dans ces circonstances, il y a davantage de biens et services disponibles. Cette augmentation de choix est également une augmentation de richesse. Notons que celle-ci est accompagnée de prix à la baisse des biens et services, un phénomène associée à la déflation qui, selon la plupart des économistes sauf ceux de l'école autrichienne, est à éviter. On sort souvent des épouvantails lorsque ne peut expliquer un phénomène (voir FAUT-IL CRAINDRE LA DÉFLATION?, le QL, no 127). Dans le cas qui nous concerne il ne s'agit pas de déflation, mais de simple baisse des prix grâce à la compétition qui pousse les producteurs à offrir leurs produits à meilleur coût. Cela n'est pas à éviter mais à rechercher.  
  
          Dans un marché libre, les prix des biens et de la monnaie ne sont pas stables, mais ils le sont encore moins dans une économie comme la nôtre. L'offre et la demande de biens ainsi que l'offre et la demande de monnaie sont changeantes, car les goûts et les évaluations des gens changent. Malgré cela, étant donné qu'un producteur minier doit rentabiliser son entreprise il n'est pas en mesure de produire de la monnaie à volonté, de sorte que l'inflation qu'il produit est limitée par sa quête de profit. Ce qui, à son tour, réduit la variation des prix.  
  
          Les tenants d'une banque centrale soutiennent que puisque la productivité est grande il faut davantage d'inflation, c'est-à-dire de monnaie en circulation, pour stabiliser les prix. Cependant, pour en arriver à cette conclusion ils doivent mesurer la productivité, l'inflation et les prix. Or, malgré qu'on nous rabâche constamment ces statistiques dans les médias populaires aucune d'elles ne peut être mesurées scientifiquement.  
  
          Mises formulait les critiques suivantes à propos de ces indices: Primo, ils ne mesurent pas les changements dans la qualité des produits. Secundo, ils ne mesurent pas les changements d'évaluation des gens, qui, à leur tour, entraînent des changements dans l'offre et la demande. Tertio, ces indices requièrent de la part de leurs utilisateurs une pondération différente selon les produits et services, ce qui est pour le moins arbitraire. Quarto, ils requièrent l'utilisation de moyennes qui donnent des résultats différents selon la méthode choisie (mode, médian, arithmétique, géométrique, etc.).  
  
          Les économistes ayant la prétention de stabiliser les prix ne sont même pas en mesure de déterminer d'où proviennent les variations du pouvoir d'achat. Viennent-elles de la quantité accrue de monnaie? Du désir des gens de dépenser? D'épargner? D'une évaluation révisée de leurs besoins? Comment stabiliser les prix lorsqu'on est incapable de déterminer la source de leurs variations? Rappelons également que les indices de production (PIB) et d'« inflation » (IPC) additionnent et multiplient des objets qui ne peuvent l'être. Il faut donc prendre ces statistiques avec un grain de sel (voir DONNER UN SENS AUX INDICES ÉCONOMIQUES, le QL, no 107).  
  
          Le nouvel argent en circulation est dépensé en des points spécifiques. On ne peut échapper à la façon asymétrique dont il est répandu. L'effet de richesse n'est pas le même pour tous. La notion de neutralité de la monnaie est aussi contradictoire que celle de la stabilité des prix. « La monnaie est un élément de l'action et conséquemment du changement. » (Human Action, p. 419, traduction libre) À moins de vouloir fixer à jamais les échanges et d'abandonner l'économie de marché, tenter de stabiliser le pouvoir d'achat de la monnaie est illusoire.  
  
          Un marché libre utilise à son plein potentiel la quantité d'argent en circulation. Une augmentation de la quantité de monnaie par l'entremise de production minière est lente et prévisible et par conséquent préférable au monopole d'État. Dans un contexte où l'offre de monnaie n'est pas monopolisée par l'État et que la production croît par l'extension de la division du travail, les prix devraient constamment baisser. 
  
  
* Il s'agit d'un résumé personnalisé des 2e et 3e parties de Mises on Money de Gary North. 
  
 
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