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Montréal, 20 décembre 2003 / No 135 |
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par
Daniel Vignola
À la faveur de quelques clics dans les archives du Québécois Libre, je suis récemment tombé sur un texte d'Edward W.Younkins commentant un ouvrage du penseur catholique américain Michael Novak intitulé The Catholic Ethic and the Spirit of Capitalism. Dans ce compte-rendu (voir MICHAEL NOVAK'S VISION OF DEMOCRATIC CAPITALISM, le QL, no 76), le collaborateur du QL expose les idées de M. Novak, notamment une interprétation de la doctrine sociale de l'Église pendant l'entre-deux-guerres avec laquelle il y a lieu d'être en désaccord. |
M. Younkins écrit (je traduis):
Les tenants de la justice sociale considèrent qu'une inégalité, même lorsqu'elle résulte de décisions prises sans coercition, est le symptôme d'une injustice que l'État doit corriger alors que Hayek explique que la justice, c'est un attribut de la conduite humaine et rien d'autre. Si, au meilleur de leurs connaissances et sans coercition, deux personnes prennent des décisions qui en amènent une à la faillite et l'autre à la prospérité, l'inégalité qui en résulte n'est pas une injustice. Quelques extraits des deux encycliques mentionnées ci-haut illustrent combien les principes de Pie XI conduisent à une redistribution à grande échelle organisée par un État coercitif et omniprésent. De Divini Redemptoris(3):
50. L'homme n'est pas non plus autorisé à disposer au gré de son caprice de ses revenus disponibles. 57. Les ressources que ne cessent d'accumuler les progrès de l'économie sociale doivent donc être réparties de telle manière entre les individus et les diverses classes de la société [...] que soit respecté le bien commun de la société tout entière. Utopie corporatiste Contrairement à une autre affirmation de M. Novak, c'est bel et bien dans le corporatisme que Pie XI fonda l'espoir de réaliser son utopie. À la section 32 de son encyclique Divini Redemptoris, le pape l'affirme sans équivoque:
Afin de favoriser la dissémination des principes du corporatisme dans le grand public, le cardinal encouragea la mise sur pied du magazine L'Ordre Nouveau. Publiée sous ce nom de 1936 à 1939, la publication comptait parmi ses principaux collaborateurs François-Albert Angers et Esdras Minville, économistes et professeurs aux HEC, Alfred Charpentier, président de la Confédération des travailleurs catholiques canadiens, l'ancêtre de l'actuelle CSN, ainsi que Gérard Filion qui allait devenir directeur du Devoir en 1947. En 1939, lorsque la rédaction largement assumée par les Jésuites décida d'élargir son champ d'étude à l'ensemble des questions politiques, sociales et culturelles, elle profita de la transition pour rebaptiser la publication de son nom actuel, Relations. La philosophie du corporatisme conçoit la société non comme une cohabitation d'individus responsables de veiller à leur bien-être personnel mais plutôt comme un regroupement de corps intermédiaires, syndicats et corporations, auquel l'individu est obligatoirement rattaché. Les représentants des corps intermédiaires sont responsables d'appliquer dans leur organisation respective les grands principes décidés en haut lieu par les responsables de l'État en vue du Quadragesimo Anno désigne le syndicat d'employés ou d'employeurs comme étant la courroie de transmission de l'État qui soit la plus proche de l'individu. Tout en présentant l'adhésion au syndicat comme facultative, l'article 92 de l'encyclique spécifie que Celui qui, dans le Canada actuel, n'accepte pas qu'on lui extorque des cotisations syndicales pour financer l'érection d'une statue en l'honneur d'un leader syndical qu'il réprouve ou pour supporter quelqu'autre cause, peut toujours décider de ne pas travailler dans une entreprise syndiquée. Dans la société idéale de Pie XI, toutes les entreprises étant syndiquées, même cette option n'existe plus. L'alternative présentée par Pie XI, c'est financer des activités hostiles à la liberté par ses cotisations syndicales obligatoires ou crever de faim. L'article 93 de Quadragesimo Anno précise que les représentants des syndicats ouvriers et patronaux d'un même secteur d'activités professionnelles sont regroupés au sein de corporations qui sont, aux dires mêmes de l'article, Dans un article qu'il consacrait au corporatisme en 1940, le magazine catholique américain The Catholic Mind précisait le rôle de la corporation:
Violences fascistes Dans son ouvrage The Catholic Ethic and the Spirit of Capitalism, Michael Novak fait grand cas du fait qu'au printemps 1931, peu de temps après la publication de Quadragesimo Anno, les Chemises noires de Mussolini commencèrent à harceler et à violenter les membres de l'Action catholique italienne, une organisation vouée à la promotion des enseignements de l'Église auprès de la jeunesse. M. Novak attribue cette violence envers l'Action catholique au fait que Nulle part, cependant, Quadragesimo Anno ne dénonce le fascisme. L'objet de l'encyclique consiste à condamner le libéralisme, le socialisme et le communisme ainsi qu'à présenter un type d'organisation sociale conforme à la doctrine de l'Église. Plutôt que d'avoir été des vengeances de Mussolini à l'encontre d'un prétendu antifascisme de Pie XI, les agressions fascistes du printemps 1931 contre l'Action catholique s'expliquent par le principe guidant l'État fasciste: Dans son encyclique Non Abbiamo Bisogno rendue publique le 29 juin 1931, Pie XI confirma n'avoir aucune velléité antifasciste. Après avoir reconnu à la section 20 l'apport du fascisme à la religion, le pape déclarait à la section 50:
D'ailleurs, durant la brève controverse entourant l'Action catholique italienne, Pie XI témoigna de sa bonne foi envers le fascisme en révélant s'être inspiré de la Charte du travail de l'Italie fasciste de Mussolini pour élaborer les modalités de l'organisation syndicale et corporative de la société qu'il avait présentée dans son encyclique. Dans un exposé qu'il fit le 31 mai 1931, Pie XI déclarait: Jamais les conflits entre le régime de Mussolini et le Vatican ne portèrent sur la légitimité ou le bien-fondé de l'organisation sociale du fascisme. Plusieurs autres déclarations de Pie XI l'illustrent de façon limpide. En voici quelques-unes: Il Nous reste à voir si [des] difficultés peuvent dériver du caractère corporatif de l'État [fasciste italien]. [...] En vérité, on ne voit pas quelles peuvent être ces difficultés et comment elles peuvent surgir. [...] Le caractère corporatif résulte, en définitive, d'une spéciale, pacifique organisation des différentes classes de citoyens, avec une ingérence plus ou moins accentuée de l'État, de la loi, de la magistrature, en ce qui concerne le travail, la production, etc., toujours, bien entendu, dans l'ordre naturel et civil, tandis que l'Action catholique, comme on l'a dit, reste sur le terrain spirituel et surnaturel. Activité corporative [fasciste] et Action catholique ne pourront manquer de se rencontrer étant donné l'identité du sujet humain, individuel et collectif; mais, moyennant la sincère bonne volonté et le sincère désir du bien de part et d'autre, la rencontre des deux activités ne pourra que produire un très heureux effet: celui de se coordonner pour le plus grand bien, pour le bien complet, s'il se peut, des individus, des classes, de la société. Les autorités fascistes italiennes avaient déclaré essentielle la prestation d'un serment d'allégeance au régime pour joindre les organisations du parti ainsi que pour exercer certains emplois (professeurs d'université, etc.). Selon la section 56 de l'encyclique Non Abbiamo Bisogno, même les membres des organisations de la jeunesse fasciste Balilla devaient prêter le serment d'exécuter sans discuter, jusqu'au sang, les ordres que leurs donneraient leurs supérieurs. Rappelons que des aumôniers catholiques cautionnaient le travail des Balilla. Bien que Pie XI ait critiqué cette pratique, il n'en accepta pas moins le principe. À la section 59 de Non Abbiamo Bisogno, au lieu de dénoncer l'existence même d'un tel serment, le pape suggéra à ses ouailles qui avaient déjà prêté le serment d'allégeance d'ajouter La servilité de l'Église Si M. Novak mentionne le début de la campagne fasciste du printemps 1931 contre l'Action catholique italienne, jamais il n'en souligne la fin survenue en septembre 1931. Jamais, il ne fait état des nombreuses manifestations de servilité de l'Église envers le fascisme, au nom de l'unité organique de la société. Une fois la paix conclue entre le Vatican et les autorités fascistes, Pie XI accepta le serment d'allégeance au régime fasciste sans aucune réserve. Le New York Times du 4 décembre 1931 (p.10) rapporta une déclaration de l'Osservatore Romano qui allait dans ce sens. À peine le Vatican eut-il donné son aval complet au serment fasciste que le New York Times révélait qu'onze professeurs d'université venaient de perdre leur emploi pour avoir refusé de prêter le dit serment (19 décembre 1931, p.10). Le 9 janvier 1932, Pie XI honora Mussolini en le consacrant membre de l'Ordre papal de l'Éperon d'or (New York Times, 10 janvier 1932, p.9). Le 11 février 1932, Pie XI reçut le Duce pour un long entretien ainsi que pour lui accorder sa bénédiction (New York Times, 12 février 1932, p.1). Le clergé italien bénit d'innombrables ralliements fascistes. Pie XI accorda des audiences à de jeunes fascistes provenant de différents pays du monde alors qu'ils visitaient l'Italie (New York Times, 8 septembre 1934, p.17); des évêques italiens rendirent publics leurs dons de bijoux au régime fasciste afin de renflouer les réserves d'or de l'Italie grandement mises à contribution pour financer l'invasion de l'Éthiopie (New York Times, 29 novembre 1935, p.11); le cardinal Schuster de Milan, référant aux Italiens morts lors de l'invasion de l'Éthiopie, confia aux fascistes rassemblés lors d'une messe spéciale en leur honneur que Quelques années après que Pie XI eût expliqué au monde que sa rencontre avec Mussolini avait été voulue par la Providence, que c'était le dédain de Mussolini pour les Le signal fut donné en 1933 dans une Lettre collective de l'épiscopat catholique allemand qui proclama haut et fort son allégeance au régime nazi:
Si l'individu cesse de considérer le Tout national ou s'il se flatte de posséder en lui-même l'étalon qui permet de le juger, il peut bien se former un groupement d'hommes intéressés, mais il n'en sortira jamais une famille et une prospérité nationales véritables. C'est seulement quand l'individu se considère comme le membre d'un organisme et place le bien général au dessus de son propre intérêt qu'il redevient capable d'une humble obéissance et qu'il sait joyeusement mettre sa vie au service de son pays, ainsi que le réclame la foi chrétienne. [...] À nous, catholiques, il ne semble nullement difficile d'admettre et d'apprécier cette énergique réaffirmation de l'autorité dans la vie organique de l'État allemand et de nous y soumettre avec cette bonne volonté qui est non seulement une vertu naturelle, mais encore, une vertu surnaturelle; car dans l'autorité humaine nous voyons comme un reflet de l'autorité divine, comme une participation à l'éternelle autorité de Dieu. D'autre part, nous pouvons nous attendre à ce que l'autorité de l'État, de même que celle de l'Église catholique, ne restreindra la liberté individuelle qu'en la mesure exigée par le bien commun. (Le Devoir, 6 juillet 1933, p.1) C'était la répétition de ce que Pie XI avait fait en Italie quelques années plus tôt: lâcher le Parti populaire italien d'allégeance chrétienne, contraindre à l'exil les dirigeants catholiques hostiles à leur absorption par le parti fasciste et espérer que la nouvelle alliance avec le fascisme conduirait au renouveau chrétien de la société. Parmi les catholiques qui acceptèrent de joindre Hitler, on comptait Franz von Papen qui devint vice-chancelier du régime nazi. Dans ses mémoires, voici ce qu'il écrivit au sujet des affinités entre la Loi du travail nazie proclamée en 1934 et les principes de Quadragesimo Anno:
Que par la suite les espoirs de Pie XI envers Hitler aient été déçus ne doit pas nous faire oublier les motifs qui incitèrent l'Église de Pie XI à conclure alliances et concordats avec les régimes corporatistes de Mussolini et Hitler et par la suite avec ceux de Salazar, Franco et Pétain. Ce que Pie XI partageait avec ces potentats, c'était la même conception de l'unité organique de la société qui déresponsabilise l'individu au point de faire passer chaque décision le concernant par les filtres du syndicat, de la corporation et de l'État. Là où Pie XI et les leaders fascistes divergèrent d'opinion à l'occasion, ce ne fut que dans la définition du Voilà ce qui en est véritablement du
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