Montréal, 20 décembre 2003  /  No 135  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
 
 
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CE QUE J'EN PENSE
 
LA LÉGISLATION SUR LES ARMES À FEU NE CONTRIBUE PAS À RÉDUIRE LA CRIMINALITÉ
 
par Yvon Dionne
  
 
          Le professeur Gary Mauser(1) de l'Université Simon Fraser en Colombie-Britannique publiait récemment une intéressante étude comparant le Canada, l'Australie, la Grande-Bretagne, avec les États-Unis en ce qui a trait à la criminalité et à la possession d'armes à feu, dont j'aimerais rapporter ici les faits saillants en y ajoutant des commentaires et informations additionnels.  
  
          Il est d'abord important de souligner que l'étude examine la criminalité dans son ensemble, en particulier le taux d'homicide, non seulement le taux d'homicide par armes à feu comme le font généralement les partisans du contrôle des armes à feu. En effet, comme je l'ai déjà démontré pour les cas de suicides(2), c'est le taux global que nous devons utiliser dans nos comparaisons afin d'éliminer l'effet de substitution entre les divers moyens de suicide ou d'homicide; on ne peut pas dire non plus qu'il soit plus marrant de mourir étranglé plutôt qu'au moyen d'une arme à feu.
 
          Certains événements tragiques ont servi de justification à des législations de plus en plus strictes sur les armes à feu. C'est le cas au Canada, en Angleterre, en Australie. Les médias se sont emparés de l'événement sans aller au fond des choses (par exemple l'incompétence policière est souvent un facteur). Pour bien paraître, les politiciens se sont crus obligés de répondre à une demande qui constituait une réaction purement émotive. 
  
          Comme il était prévisible, les interdictions et contrôles n'ont pas conduit aux résultats escomptés. La raison est bien simple: c'est qu'ils ne visent pas les criminels et que la grande majorité des propriétaires d'armes à feu avaient déjà un comportement responsable. Ces législations ont même produit des résultats à l'opposé de leurs objectifs car les criminels ont désormais le champ libre pour mener leurs activités. 
  
Quelques chiffres 
  • Même si aux États-Unis, en 2001, 63% des homicides étaient par arme à feu, l'accès facile aux armes à feu n'a pas d'influence déterminante sur la criminalité en général. Le port d'arme de poing pour la défense personnelle est permis dans 35 États américains en 2003. Or, c'est précisément dans ces États que les crimes avec violence (incluant ceux avec armes à feu) auraient le plus diminué. Certains États permettant le port d'arme, tels le Maine, le New-Hampshire, le Dakota du Nord et du Sud, ont des taux d'homicide moins élevés que le Canada.

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  • Aux États-Unis, le taux d'homicide est comparativement plus élevé qu'ailleurs (à 5,6 par 100 000 en 2001, soit 5,6 millièmes de 1%); toutefois, il a diminué de 42% depuis 1991. Il a atteint en 2001 son plus bas niveau depuis 30 ans. Si l'on tient compte de l'appartenance ethnique afin d'exclure (arbitrairement, faute de mieux) l'influence des facteurs socio-économiques, le taux américain est similaire au taux canadien; en 2000, le taux d'homicide était de seulement 2,76 chez les Blancs non-hispaniques, comparativement à 22,28 chez les gens de race noire(3).

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  • La violence est aussi un phénomème urbain. Aux États-Unis (voir la référence précédente), 68 des plus grandes villes totalisant 18% de la population américaine comptaient pour 42% des homicides.

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  • En Angleterre, bien que le taux d'homicide par armes à feu soit moins élevé qu'aux États-Unis, il a grimpé de 50% dans les années 90, passant de 10 par million en 1990 à 15 par million en 2000. La hausse des crimes avec violence en général est spectaculaire depuis la législation de 1988 et surtout celle de 1997. Leur nombre est plus du triple de celui des États-Unis. Les crimes contre la propriété y sont près du double du taux américain. En 1997, toutes les armes de poing ont été prohibées suite au massacre de Dunblane en Écosse, en 1996. Pourtant, les crimes avec armes de poing sont à la hausse.

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  • En Australie, malgré la législation de 1997 (qui a suivi le meurtre de 35 personnes à un site touristique de Tasmanie en avril 1996), le taux d'homicide global est demeuré stable jusqu'en 2002; cette année-là, on observe 20% plus d'homicides qu'en 2001. Le taux d'homicide y est de 2 par 100 000 comparativement à six aux USA. Les vols à main armée ont augmenté de 166% depuis six ans malgré la confiscation d'armes à feu acquises légalement (la confiscation a coûté 500 M$; au Canada, il n'y a eu aucune compensation. C'est le vol légalisé). Évidemment, ce ne sont pas les criminels qui ont remis des armes au gouvernement pour être détruites. Le taux des vols contre la propriété a augmenté en Australie et baissé aux USA; il a rejoint le taux américain. Finalement, même si on se suicide moins par armes à feu en Australie, on s'y suicide plus (tous moyens confondus).

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  • D'après une autre source non citée par Mauser, les homicides par armes à feu dans le seul État de Victoria (Australie) ont augmenté de 300%.

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  • Au cours de la dernière décennie, le taux de crimes avec violence a augmenté au Canada alors qu'il a baissé aux États-Unis. Il est d'au moins 40% plus élevé au Canada. La baisse du taux d'homicide a été plus prononcée aux États-Unis (de 10,5 en 1991 à 5,6 en 2001). Depuis une quinzaine d'années, le taux de suicide est moins élevé aux États-Unis.

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  • Voici des chiffres non cités par Mauser(4): en 2002, le nombre d'homicides au Canada a augmenté de 29, passant à 582, alors qu'il y a eu 22 victimes de moins par armes à feu. Le taux d'homicide est maintenant de 1,85 par 100 000 de population, une hausse de 4%. Principales causes d'homicide: armes blanches (31,3%), armes à feu (25,6%).

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    • 66% des homicides par armes à feu l'ont été par des armes de poing (98 sur 149).
    • 72% des armes de poing trouvées sur la scène d'un crime n'étaient pas enregistrées alors que l'enregistrement est obligatoire depuis 1934.
    • 62% des meurtriers et 50% des victimes avaient déjà un casier judiciaire.
    • 68% des meurtriers avaient consommé de l'alcool et/ou des drogues au moment du crime.
    • Bien que les Autochtones ne forment que 3% de la population ils comptent pour 21% des personnes accusées de meurtre. Ces données ethniques ne sont plus collectées par la « police montée » (Gendarmerie royale), rectitude politique oblige.
          Si je croyais les sophismes des défenseurs des contrôles je conclurais, après cette lecture, qu'il nous faudrait aussi contrôler les couteaux, les cordes, etc. 
  
Pas plus de criminels chez les chasseurs et les amateurs de tir que chez les policiers 
  
          Au sujet de la tuerie de Polytechnique du 6 décembre 1989 (14 étudiantes tuées, 13 étudiants blessés dont 4 hommes), Mauser rappelle que Marc Lépine (de son vrai nom Gamil Gharbi, son père était algérien arabe et un batteur de femmes) a côtoyé environ une centaine d'étudiants et au moins trois professeurs, mais que personne n'a rien fait pour l'arrêter. « Most did what they were told ». La tuerie était terminée quand la police est arrivée sur les lieux; celle-ci ne savait même pas où se trouvait l'édifice de Polytechnique sur le campus de l'Université de Montréal. Marc Lépine avait le permis d'acquisition d'armes à feu (AAAF en français et FAC en anglais) émis par la Sûreté du Québec. Ce sont les propriétaires d'armes à feu qui ont écopé. 
  
     « La réalité est qu'il y aura toujours des criminels, que les policiers arriveront toujours en retard sur les lieux d'un crime et que nous devons d'abord compter sur nous-mêmes pour nous défendre. »
 
          Les données de Statistique Canada, dit Mauser, révèlent que le portrait du meurtrier n'est pas celui du membre d'un club de tir ou d'un amateur de chasse. Le meurtrier typique a déjà un casier judiciaire chargé, est sous une interdiction de posséder des armes à feu, est un consommateur d'alcool et/ou de drogues et est sans emploi. 
  
          Or, il y aurait 131 000 personnes sous une interdiction de posséder des armes à feu, mais la police ne tient même pas compte de leurs changements d'adresse. Comparativement, un détenteur d'un permis d'arme à feu doit aviser le Centre canadien des armes à feu à l'intérieur d'un délai de 30 jours d'un changement d'adresse, sinon il peut écoper d'une peine d'emprisonnement de deux ans. 
  
          Une autre croyance populaire auprès des partisans des contrôles est que les armes utilisées pour commettre un crime ont, au départ, été acquises légalement. La réalité est tout autre. Au Canada par exemple, les armes de poing sont utilisées dans la majorité des homicides par armes à feu et seulement 28% des armes de poing trouvées sur la scène d'un crime étaient enregistrées; en Australie, le taux est de 10%. 
  
          La conclusion de Mauser est celle-ci: « Clearly, there is no evidence that firearm laws have caused violent crime to fall. The firearm laws may even have increased criminal violence by disarming the general public. » La situation en Angleterre est particulièrement frappante à cet égard. Même pour la législation canadienne de 1977, une analyse statistique de Mauser tend à démontrer que si la législation sur les armes à feu d'alors a eu un effet sur la criminalité, cet effet a été positif en... l'augmentant. 
  
          Les seuls gagnants ont été les bureaucrates et les politiciens qui se sont fait du capital politique en diabolisant les propriétaires d'armes à feu. La réalité est qu'il y aura toujours des criminels, que les policiers arriveront toujours en retard sur les lieux d'un crime et que nous devons d'abord compter sur nous-mêmes pour nous défendre. 
  
Le 12 décembre, le moine n'a fait que changer d'habit 
  
          Il est peut-être déplorable mais néanmoins prévisible que les politiciens au pouvoir à Ottawa (et ceux qui les appuient dans l'opposition ainsi que le gouvernement Charest à Québec) n'aient pas encore compris que la criminalité ne se combat pas par la prohibition. Ils propagent leur foi prohibitionniste à l'étranger, à l'ONU par exemple. Allan Rock, le père de la Loi sur les armes à feu de 1995, a été nommé par le nouveau premier ministre Martin le 12 décembre ambassadeur du Canada à l'ONU. L'ONU soutient le gouvernement socialiste du Brésil qui vient d'adopter une loi similaire à la loi canadienne, avec l'appui du Canada. La loi brésilienne impose jusqu'à six ans d'emprisonnement à une personne détenant une arme à feu non enregistrée (au Canada, la pénalité peut atteindre dix ans). L'enregistrement est la porte grande ouverte à la confiscation puisque la même loi prévoit un référendum en 2005 prohibant la vente des armes à feu. 
  
          Ce même gouvernement avait remboursé les dépenses de Wendy Cukier (de la Coalition pour le contrôle des armes), pour sa participation à une conférence onusienne sur le contrôle des armes à feu qui s'était tenue au Brésil en décembre 1997. 
  
          Paul Martin a aussi nommé Anne McLennan à la tête d'un super-ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, en charge entre autres du contrôle des armes à feu (une fonction qu'elle a déjà eue en tant que ministre de la Justice) qui était sous la responsabilité du Solliciteur général.  
  
          Les Canadiens n'ont pas eu un nouveau gouvernement le 12 décembre; il faudrait mettre de côté cette illusion. L'adage dit que l'habit ne fait pas le moine; le 12 décembre, le moine n'a fait que changer d'habit. 
  
  
1. Gary A. Mauser, « The Failed Experiment – Gun Control and Public Safety in Canada, Australia, England and Wales », Institut Fraser , Public Policy Sources, novembre 2003. Mauser a déjà publié, entre autres, « Misfire: Firearm Registration in Canada », Institut Fraser, Public Policy Sources no 48, 2001.  >>
2. Yvon Dionne, LA LÉGISLATION SUR LES ARMES À FEU: INUTILE, SCÉLÉRATE, INAPPLICABLE ET COÛTEUSE, le QL, no 116>>
3. Voir la page Gun Homicides sur le site GunCite.com>>
4. Source: Garry Breitkreuz, Homicide in Canada, 2002 Report>>
  
 
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