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Montréal, 21 décembre 2002 / No 116 |
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par
Yvon Dionne
(2e
partie) >>
L'échéance du 31 décembre approche pour l'enregistrement de toutes les armes à feu au Canada(1). Le défaut de s'y conformer est une infraction au Code criminel punissable d'une amende de |
À mon avis, cette loi est à la fois inutile, scélérate,
inapplicable et coûteuse. Elle est coûteuse non seulement en
ce qui a trait au coût monétaire de son application, mais
aussi pour la perte de liberté individuelle, un coût qui passe
trop souvent inaperçu. Par cette loi, le gouvernement instaure un
régime de Sécurité d'État en refusant par exemple
les demandes de permis pour des fins de protection personnelle. Pour les
partisans du bien commun collectivisé, la sécurité
ne peut être obtenue qu'aux dépens de la liberté(3)
alors qu'elle ne peut réellement être fondée, pour
être valable à long terme, que sur un régime de liberté
individuelle. Or l'objectif à long terme de C-68 est d'éliminer
les armes à feu des mains des individus. C-68 n'est en effet qu'une
étape. Un autre incident malheureux conduira à de nouvelles
interdictions et c'est exactement cela que ses défenseurs attendent.
Tel est également l'objectif d'Allan Rock, le père de la loi C-68, qui a déclaré, alors qu'il était ministre de la Justice: Pour vendre leur salade, le gouvernement et les groupes de pression qui l'appuient ont bien sûr fait appel à nos bons sentiments en nous disant que c'est pour notre bien, que c'est comparable à un permis de conduire et à l'enregistrement d'une automobile, qu'une telle législation est nécessaire pour réduire la criminalité et le suicide, bref que c'est nécessaire pour Un bref historique Commençons par un historique des principales étapes de la législation canadienne sur les armes à feu. • En 1892 (l'année du premier Code criminel), les particuliers doivent obtenir un permis pour le port d'une arme de poing. • Jusqu'à 1934, de nouvelles restrictions sont introduites pour les armes de poing, mais ce n'est que cette année-là qu'est généralisée l'obligation de les enregistrer. Toutefois, ce registre est provincial et ne sera centralisé par la police fédérale (la Gendarmerie royale du Canada) qu'en 1951. Cette année-là, la GRC oblige l'enregistrement de toutes les armes automatiques. • En 1977, la loi C-51 est adoptée. Obligation d'obtenir un Certificat d'autorisation d'acquisition d'armes à feu (AAAF) renouvelable à tous les cinq ans. Le AAAF entre en vigueur le 1er janvier 1979. Le port d'arme de poing est prohibé, sauf pour les agents de l'État et quelques exceptions. Parmi les objectifs énoncés par le ministre libéral de l'époque, Francis Fox, il était dit entre autres que la loi vise à réduire l'utilisation criminelle des armes à feu et à empêcher toute personne dangereuse d'avoir accès aux armes à feu. Les seules fins acceptées sont sportives ou récréatives. • Le 6 décembre 1989, c'est la tragédie de l'École polytechnique où 14 étudiantes sont assassinées par un psychopathe après qu'il ait demandé aux hommes de sortir de la dernière salle de cours où il a terminé sa tuerie. L'auteur de cette tuerie, Marc Lépine, avait été renvoyé de l'armée pour des raisons de comportement et détenait son AAAF délivré par la Sûreté du Québec. La SQ a mis 9 minutes à entrer dans l'école après que Lépine se soit suicidé, un délai incompréhensible(7). Par la suite, la déraison s'est répandue comme une peste, par une diabolisation d'abord, et ensuite une criminalisation des propriétaires d'armes à feu. Nous sommes tous devenus des criminels potentiels mis sous haute surveillance par la faute d'un État qui avait laissé les victimes sans défense aucune. • En 1991, adoption de la loi C-17: nouvelles exigences, en particulier l'obligation de fournir deux références pour l'obtention d'un AAAF (en vigueur en 1992) et d'avoir suivi un cours de sécurité dans le maniement des armes à feu (en vigueur en 1994). Nouvelles interdictions quant aux types d'armes et aux chargeurs grande capacité et réglementation sur l'entreposage sécuritaire (pas nécessaire d'avoir une loi pour faire ça). En août 1992, les meurtres perpétrés par Valery Fabrikant à l'Université Concordia, au moyen d'armes de poing enregistrées, allaient donner le coup d'envoi pour ce qui va suivre. • En 1993, le Parti libéral de Jean Chrétien prend le pouvoir et accouche en 1995 de la loi C-68, loi qui (en résumé) crée le Centre canadien des armes à feu (CCAF) et transforme le permis d'acquisition de 1979 (AAAF) en un permis de possession (PPS) ou de possession et d'acquisition (PPA). Les nouveaux permis entrent en vigueur le 1er janvier 2001; ils sont désormais requis pour l'achat de munitions. Au moment du renouvellement de leur permis, les détenteurs d'un PPS devront se soumettre au long questionnaire des détenteurs du PPA (le PPS, c'était seulement pour les faire mordre à l'hameçon). C-68 exige aussi l'enregistrement de toutes les armes à feu avant le 1er janvier 2003. Le titulaire d'un PPS qui n'enregistre aucune arme avant cette échéance verra son permis révoqué... La Loi sur les armes à feu ne fait qu'énoncer la pléiade d'exigences administratives (permis, enregistrement); les dispositions punitives sont contenues dans le Code criminel. • Le 15 juin 2000, la Cour suprême rend jugement sur la contestation de 6 provinces et 2 territoires qui soutenaient que l'enregistrement des armes est de juridiction provinciale (à l'exemple des automobiles). Remarquons qu'à toutes ces étapes de la législation sur les armes à feu, il n'y a jamais eu d'évaluation sérieuse de leur impact sur la criminalité. Et il ne peut pas y avoir d'impact positif réellement mesurable car cette législation ne s'applique pas aux vrais criminels et aux vraies causes de la criminalité. Le gouvernement, exploitant la peur, se fonde plutôt sur des sondages d'opinion auprès d'une population à 80% urbaine qu'il n'a pas informée à la fois des coûts et de la pertinence du contrôle des armes à feu. Le CCAF se base même sur des sondages pour estimer le nombre d'armes à feu en circulation. Le rapport rendu public le 3 décembre par la Vérificatrice générale, Mme Sheila Fraser, a semblé prendre tout le monde par surprise alors que l'opposition allianciste – via son porte-parole en la matière, Garry Breitkreuz –, les diverses associations sportives et les chroniqueurs de chasse (tel André Bellemare du quotidien Le Soleil) en parlent depuis sept ans! 1. Une loi inutile Voyons maintenant les objectifs explicites de cette législation. Dans sa propagande pour conditionner la population (pour l'obliger à saliver), le gouvernement attribue à la législation sur les armes à feu la baisse observée depuis 1977 du taux de décès par balles (toutes causes confondues: suicides: 77%; homicides: 15%; autres causes: 8%)(8). Dans l'historique ci-dessus, nous avons vu que les mesures restrictives s'appliquant aux armes de chasse (permis obligatoire en tout temps et enregistrement de toutes les armes) n'auront plein effet qu'à compter du 1er janvier 2003. De plus, la grande majorité des propriétaires d'armes à feu ne détenaient pas le permis requis depuis 1977 (le AAAF). Par conséquent, comment peut-on sérieusement soutenir que la loi C-68 doit être créditée pour la baisse du taux de décès par balles depuis 1977? Tel est pourtant le message insensé qui nous est répété continuellement. Puisque la majorité des décès par balles sont des suicides, comment la législation sur les armes à feu a-t-elle pu en réduire le nombre? Par l'entreposage sécuritaire, hérité de la loi de 1977? Ces questions à elles seules soulèvent de nombreuses interrogations sur la pertinence de la loi de 1995 et sur la bonne foi de ses défenseurs. Voyons quelques données sur le sujet. 1.1 Les homicides Le taux d'homicide est plus représentatif de l'évolution de la criminalité que le taux d'homicides par armes à feu puisque celles-ci ne sont qu'un des moyens utilisés. Or le taux d'homicides (nombre/100 000 hab.), tout comme le nombre d'homicides, ont diminué depuis 1977. Le pourcentage des homicides avec armes à feu a aussi diminué, passant de 36,6% en 1977 à 30,9% en 2001. Même si le pourcentage d'homicides par des moyens autres a augmenté, son nombre a diminué de 15% de 1977 à 2001 (passant de 451 à 383): on ne peut certes attribuer cette dernière baisse à la législation sur les armes à feu, puisque ces homicides n'ont pas été commis par ce moyen. On ne peut d'autant plus lui attribuer cette baisse que le taux d'homicide était moins élevé avant le milieu des années 1960 (il est passé de seulement 0,9 en 1964 à 3,03 en 1975, pour diminuer par la suite).
Qui plus est, 64,3% des homicides par armes à feu ont été perpétrés par des armes de poing en 2001, contre seulement 23,5% en 1977. Or, si on se réfère à l'historique ci-dessus, les armes de poing doivent être enregistrées depuis 1934! Le député de l'Alliance canadienne Garry Breitkreuz(11), citant des données de Statistique Canada, souligne que 74% des armes de poing récupérées sur la scène de 143 homicides survenus entre 1997 et 2001 n'étaient pas enregistrées. Outre qu'ils ne peuvent faire automatiquement le lien entre le nom du propriétaire et le criminel, comment les policiers, demande Breitkreuz, étant appelés d'urgence à un domicile, peuvent-ils prétendre se fier à un registre qui pourrait comprendre entre 8 et 16 millions d'armes à feu quand le nouveau registre des armes de poing et des armes prohibées, qui en comprenait seulement 400 000 en octobre 2002, n'est même pas fiable et est incomplet après 68 ans? Le nombre des homicides perpétrés au moyen d'un fusil ou d'une carabine est passé de 161 en 1977 à 46 en 2001 (de 61,9% à 26,9%) sans que ces armes soient enregistrées et alors que la majorité de leurs propriétaires n'avaient même pas de permis. Garry Breitkreuz cite d'autres chiffres: 65% des personnes accusées d'homicide et 51% des victimes avaient déjà un casier judiciaire; 75% des auteurs d'homicides avaient consommé de l'alcool et/ou des drogues au moment du meurtre; 10,5% des homicides sont attribuables à des bandes criminelles; 25% des personnes accusées sont des Autochtones alors que ceux-ci composent seulement 3% de la population totale. C'est aussi chez les Autochtones que l'on trouve un taux d'homicide entre conjoints huit fois plus élevé que chez les non-Autochtones. Néanmoins les Autochtones et Inuits, en vrais coureurs des bois (ou coureurs de toundra...), s'opposent à la législation sur les armes à feu et ils ne l'appliquent pas! Un juge du Nunavut vient d'ailleurs de rejeter, en faveur des Inuits, les principales dispositions de C-68. Dans l'étude précitée du criminologue Marc Ouimet, celui-ci montre un graphique fort éloquent de l'évolution du taux d'homicides au Canada et aux États-Unis depuis 1901(12). M. Ouimet a calculé (par régression) que le rapport É-U/Canada est de 3,6 de 1962 à 1999. Autrement dit, il y avait 3,6 fois plus d'homicides aux États-Unis qu'au Canada durant cette période. Le coefficient était plus élevé de 1905 à 1960, mais les deux courbes suivent les mêmes tendances, à la hausse ou à la baisse. Or, la question est de savoir si l'on peut associer la baisse du taux américain d'homicide depuis environ 1977 à la législation sur les armes à feu en vigueur dans ce pays. La réponse, semble-t-il, saute aux yeux. Le port d'armes de poing est octroyé automatiquement dans 31 États, si certaines conditions sont remplies(13). Parmi ceux-ci, l'État du New Hampshire (dont la devise est Live Free or Die) avait un taux d'homicides en 1998 de 1,1, inférieur au taux canadien de 1,8 cette même année. Ce sur quoi tous peuvent s'entendre, c'est que l'évolution de la criminalité est influencée par plusieurs facteurs et que la présence d'armes à feu, dans une société qui a d'autres moyens de régler ses conflits, n'est pas un facteur déterminant. Le nombre d'armes à feu en circulation aux États-Unis a augmenté de 50% de 1972 à 1995, sur une base per capita, sans qu'il y ait d'effet sur le taux d'homicide ou de suicide. Comme le souligne Marc Ouimet, « les explications démographiques, économiques et culturelles semblent plus aptes à rendre compte des baisses de la Il semble donc que les défenseurs du contrôle étatique des armes à feu se sont trompés de cible pour ce qui est des homicides. Qu'en est-il des suicides? 1.2 Les suicides Combattre le suicide est un des passe-temps favoris des chemises noires de la santé publique. Et pourtant... En privilégiant le contrôle des armes à feu, la santé publique a oublié les autres moyens de suicide. En 1998, il y a eu au Canada 816 suicides par armes à feu (22,1% du total des suicides: 26% chez les hommes et 6,6% pour les femmes) contre 151 homicides, soit 5,4 fois plus de suicides que d'homicides par armes à feu(15). En 1977, on comptait 1271 suicides par armes à feu contre 260 homicides. Le moyen privilégié de suicide est la pendaison (chez les deux sexes) et on ne peut pas dire que ce moyen est moins violent que l'usage d'une arme à feu. Il est au contraire plus cruel puisque la mort peut survenir après plusieurs minutes de souffrance. En 1977, il y a eu au total (tous moyens confondus) 3317 suicides contre 710 homicides; en 1998, le total des suicides au Canada se chiffre à 3698, contre 557 homicides. Le nombre de suicides augmente alors que celui des homicides est en baisse. Que se passe-t-il? Sur une plus longue période, on constate que le taux de décès par suicide n'était que 7,8/100 000 hab. en 1950 (pour 1067 suicides). Ce n'est que vers le milieu des années 1960 qu'il a commencé son ascension, passant de 7,6 en 1963 à 14 en 1998. Les années 1960 ont donc vu une hausse substantielle à la fois du taux de suicide et du taux d'homicide. Il faut donc chercher ailleurs que dans la loi C-68 de 1995 (et C-51 de 1977) le facteur explicatif de l'évolution du taux de suicide. Cette législation n'a pu influer que sur le choix des moyens. Et, oh surprise! le taux américain de suicide (même si là-bas le moyen privilégié est l'arme à feu) est inférieur au taux canadien (12 contre 14). Comment expliquer ce phénomène? Pourtant, selon les arguments du lobby étatiste (et subventionné) des anti-armes à feu nous devrions nous attendre à quelque chose comme un taux de suicide 3 ou 4 fois plus élevé aux États-Unis. Puisque le suicide est un acte désespéré, faut-il conclure qu'il y a moins de désespoir au sud de la frontière? Le site Web américain GunCite sur le contrôle des armes à feu donne l'exemple du Japon où moins de 1% des ménages détiennent des armes à feu, mais où le taux de suicide est plus élevé qu'aux États-Unis. Le Québec détient à cet égard une autre distinction peu honorable: après 40 ans de social-démocratie, c'est en effet la province où le taux de suicide est le plus élevé. Il est passé de 3,7 en 1950, à 12 en 1977, et à 21,3 en 1998. Il est plus élevé en Abitibi-Témiscamingue qu'ailleurs au Québec et c'est en Gaspésie que le taux est le plus bas (un bon sujet de recherche car les armes à feu sont présentes à armes égales dans les deux régions). M. Jean Caron, professeur en sciences du comportement à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, a examiné l'évolution des moyens utilisés pour le suicide dans sa région avant et après la loi C-17 de 1991. Dans cette région située au nord-ouest du Québec, où l'activité économique est cyclique (puisque basée sur les forêts et les mines), M. Caron note que l'utilisation d'une arme à feu, avant la loi C-17, y était le moyen le plus fréquent tant chez les hommes que chez les femmes, en moyenne de 61% plus élevé qu'ailleurs au Québec. Suite à la loi, il constate de 1992 à 1996 une forte diminution du suicide par armes à feu. Simple coïncidence, puisque le règlement sur l'entreposage n'a pu avoir d'effet aussi immédiat? Quoi qu'il en soit, Le tamisage des demandes de permis (au moyen d'un questionnaire qui présume que les répondants vont dévoiler tous leurs petits et gros bobos passés ou à venir) aurait-il permis de réduire le nombre de suicides par armes à feu? Bien devin qui pourrait le dire. La police ou les fonctionnaires du CCAF ne sont pas les mieux placés pour en juger. Un homicide ou un suicide fait avec arme à feu n'est pas plus prévisible que s'il était commis par une arme blanche ou une corde. Ce sont les proches et le médecin (le cas échéant) qui peuvent, mieux qu'un questionnaire, juger si le comportement d'une personne présente un danger sérieux. Quant à la police, elle connaît déjà les principaux cas à risque, sans qu'il soit nécessaire de remplir une demande de permis et de renouveler cette demande à tous les cinq ans: ce sont les personnes qui ont un casier judiciaire et celles qui sont sous une ordonnance d'interdiction de posséder des armes à feu. C'est ce qu'elle devrait voir mais qu'elle ne fait pas. Et même les policiers et les membres des forces armées ne sont pas exempts d'un comportement potentiellement dangereux.
Donc, au mieux, si on se suicide moins par balles, on se suicide plus par
d'autres moyens. Mais le résultat est le même! À l'instar
des homicides, le suicide a des causes plus profondes que le simple fait
de posséder une arme à feu. Vouloir réglementer l'usage
de tous les moyens de suicide est au mieux une utopie, et au pire, une
tyrannie. Les solutions réelles sont ailleurs.
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