Montréal, 20 décembre 2003  /  No 135  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
 
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LIBRE EXPRESSION
  
PAUVRETÉ À L'UNIVERSITÉ: ENTRE LE JOURNALISME ET LA PROPAGANDE
 
par Gilles Guénette
 
 
          Le 9 décembre dernier, La Presse nous apprenait que la pauvreté est grandissante sur les campus universitaires au Québec. La même journée, la Fédération étudiante universitaire du Québec déposait à l'Assemblée provinciale sa « grande pétition pour une loi-cadre sur l'accessibilité aux études et un réinvestissement dans les universités ». Coïncidence? 
 
Porte-panier 
  
          Si l'on se fie à l'article de la journaliste Marie Allard, « La pauvreté est parfois là où on ne l'attend pas, notamment sur les campus du Québec, où les demandes de paniers de Noël sont croissantes. » À l'Université de Montréal, on en aurait distribué près de 200 l'année dernière, de dire Alain Vienneau, directeur du service d'action humanitaire de l'établissement. « Nous le faisons depuis dix huit ans, et les étudiants sont toujours plus nombreux à en demander. »
 
          À l'Université de Sherbrooke, ce sont cinquante étudiants qui recevront un panier de victuailles au cours des prochains jours. À temps, nous dit-on, pour améliorer leur performance aux examens de fin de session. Selon l'abbé Philippe Labelle, aumônier de l'institution, « Tout le monde ne roule pas sur l'or dans le haut lieu de savoir qu'est l'université, au contraire! »  
  
          Maria, étudiante en sciences de l'éducation à l'Université de Montréal et mère de trois enfants, en sait quelque chose, poursuit Mme Allard. « J'ai une bourse, mais elle suffit tout juste à payer le loyer, le téléphone et l'électricité, témoigne-t-elle. Je voudrais travailler pour gagner davantage, mais mon permis de séjour comme étudiante étrangère ne me le permet pas. Alors le panier de Noël est attendu, surtout par mes enfants! Ils savent qu'ils auront un cadeau, ce qui arrive rarement. »  
  
          On imagine cette Maria monoparentale, en tout cas, le descriptif de sa situation le laisse sous-entendre. Pas l'ombre d'une mention d'un conjoint ou d'un mari pour lui venir en aide. On l'imagine seule à subvenir aux besoins de ses trois enfants. Comment se nourrissent-ils donc tous si elle réussit « tout juste à payer le loyer, le téléphone et l'électricité »? On imagine le pire, c'est le but de l'exercice. 
  
          La journaliste relate ensuite le tragique cas d'un jeune homme qui a failli y laisser sa peau: « L'an dernier, nous avons dû hospitaliser un étudiant souffrant d'un empoisonnement au sodium, dixit l'abbé Labelle. Depuis des semaines, ils se nourrissait exclusivement avec de la soupe en sachet du Dollarama. » (ces magasins spécialisés dans la vente de produits à 1$.)  
  
          Encore une fois, on ignore tout de ce jeune homme. Dépend-t-il uniquement du régime des prêts et bourses? Est-il issu d'une famille très pauvre? A-t-il toute sa tête? On l'imagine « victime » du « système » alors qu'il préfère peut-être mettre son argent ailleurs que dans la bonne bouffe. Peut-être a-t-il une vieille voiture qui consomme beaucoup d'essence? Nulle part on ne dit que c'est à cause d'un manque d'argent qu'il se nourrissait exclusivement de soupe en sachet, mais à lire l'article, c'est ce qu'on en vient à croire. Et on imagine le pire, c'est le but de l'exercice. 
  
     « Pour ceux qui seraient tentés de penser qu'il s'agit ici d'une bien petite proportion d'étudiants sur les milliers qui fréquentent les universités, on s'empresse de souligner que ce ne sont pas tous les étudiants qui sont aidés en priorité. On ajoute qu'il n'est pas facile d'aller quémander de l'aide quand on est étudiant... »
 
          Pour ceux qui seraient tentés de penser qu'il s'agit ici d'une bien petite proportion d'étudiants sur les milliers qui fréquentent les universités, on s'empresse de souligner que ce ne sont pas tous les étudiants qui sont aidés en priorité. On ajoute qu'il n'est pas facile d'aller quémander de l'aide quand on est étudiant et que, par conséquent – on lit entre les lignes –, plusieurs s'endorment le ventre creux. « Je ne connais personne qui aime demander un panier de Noël », de dire M. Vienneau. 
  
À l'emploi de qui? 
  
          Ce qu'il y a d'insidieux avec ces « portraits » de la pauvreté, c'est qu'ils sont incomplets. Qu'ils ne présentent qu'une bien mince facette de la situation financière de leurs sujets. Qui nous dit que Maria n'est pas la petite amie du président d'une importante entreprise cotée en bourse? Qui nous dit que le jeune homme ne travaille pas à temps plein et qu'il ne souffre tout simplement pas d'un eating disorder? Impossible de savoir. 
  
          Impossible de savoir non plus d'où la journaliste tient ses informations. S'est-elle levée un bon matin en se disant (ou en se faisant dire par son « affectateur »): tiens!, il faudrait bien enquêter sur la place qu'occupe la pauvreté sur les campus québécois à quelques jours de Noël? Impossible. Si c'était le cas, La Presse en aurait fait un dossier spécial – elle n'est pas à un dossier près! Le texte dont il est question ici ne fait pas 500 mots. 
  
          Je parierais mon prochain resto que Marie Allard a reçu les informations d'une quelconque organisation d'étudiants. Et n'allez pas croire qu'il s'agit-là d'un sombre complot journalistique visant à faire avancer la cause étudiante au Québec! Non. Il s'agit en fait d'une pratique très répandue dans les salles de presse. Les groupes de pression, les syndicats, les associations étudiantes... tout ce beau monde produisent des communiqués de presse comme certains adolescents produisent des boutons. En quantité industrielle. 
  
          Gageons que les cas de Maria et de notre amateur de soupe se trouvaient sur l'un de ces communiqués. Gageons que la journaliste a pris ce dernier, qu'elle l'a retravaillé un peu et hop! qu'elle est passée à autre chose. À tous les jours, des tas de journalistes de quotidiens, de radios ou de télés repassent des communiqués de presse presque mot pour mot à leurs lecteurs/auditeurs. Les groupes organisés leur font dire ce qu'ils veulent. 
  
          Pas surprenant que la journée même où ce petit article était publié dans le plus important quotidien francophone d'Amérique du nord, la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) débarquait à l'Assemblée provinciale pour déposer une pétition dont le but était de réclamer une loi-cadre sur l'accessibilité et un réinvestissement majeur dans les universités. 
  
          Bien sûr, ce n'est pas ce petit article qui va changer quoi que ce soit. Ni cette pétition. Ça en prend un peu plus, Thank God!, à nos politiciens pour prendre des décisions qui, rappelons-le, ont toujours des répercussions sur notre porte-feuille de contribuables. Ces deux éléments s'insèrent tout simplement dans une longue démarche de revendications qui n'est pas prête de prendre fin. 
 
Pour la cause 
  
          Les journalistes sont d'éternels do-gooders. Ils veulent faire le bien. Ils veulent se dire qu'en participant aux causes des « laissés pour compte » et des « plus démunis », ils aident à construire un monde meilleur. Mais leurs lecteurs ne sont pas dupes. Plusieurs se rendent compte que la « réalité » qu'ils présentent cadre de moins en moins avec celle qu'ils vivent (voir BIAS: COMMENT LES MÉDIAS DÉFORMENT LA RÉALITÉ, le QL, no 106). Plusieurs se rendent compte que la rhétorique « so-so-so-solidarité » est de plus en plus difficile à avaler. 
  
          On peut très bien vivre sur les prêts et bourses – mes trois années passées à l'UQAM me l'ont prouvé. Si les étudiants ont de la difficulté à joindre les deux bouts, ils n'ont qu'eux-mêmes à blâmer (voir DEUX FOIS MOINS DE PAUVRES AU CANADA, PAS SURPRENANT!, le QL, no 86). Quiconque a fréquenté l'université le sait, les priorités des étudiants ne sont pas toujours à la bonne place. Qui n'a pas connu d'étudiante qui préférait les week-ends de ski à la réserve de bouffe pour la semaine? Qui n'a pas connu d'étudiant pour qui les soirées bien arrosées étaient cent fois plus importantes qu'une alimentation équilibrée? 
  
          Parce que les journalistes ne semblent pas s'offusquer de servir d'accessoires dans les campagnes de relations publiques des fédérations étudiantes, des groupes de pression et des centrales syndicales, une bonne dose de scepticisme reste de mise lorsque l'on s'informe – ou se désinforme, c'est selon... 
  
 
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