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Montréal, 15 avril 2004 / No 141 |
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par
Marc Grunert
Pendant qu’en Irak le gouvernement américain tente de réaliser par la force la «fin de l’Histoire» prophétisée par le néoconservateur hégélien Fukuyama, la France a vécu un de ces non-événements qui décrivent si bien la routine démocratique d’une «Histoire» accomplie, si, par là, on entend dire que la «démocratie» est le point de rationalité totale de l’Histoire politique – comme le pensent à peu près tous les intellectuels médiatisés, à commencer, en France, par le plus lucide d’entre eux, Jean-François Revel. |
Un
non-événement de la démocratie
Les élections régionales ont été un revers
cinglant pour le gouvernement Raffarin. Une seule région métropolitaine
est restée fidèle à sa tradition politique de centre
droit, l’Alsace. Toutes les autres régions ont politiquement basculé
à gauche. Le présentateur télé nous montre
une carte avec deux couleurs, bleue pour la «droite» et rose
pour la «gauche». Le contraste des couleurs est saisissant:
vague rose!
Mais le contraste entre les couleurs ne reflète pas du tout celui
des idées et des pratiques politiques. Si ça devait être
le cas, on aurait une carte avec du rose vif et du rose pâle. C’est
ça la fin de l’Histoire… démocratique. Une sorte de convergence
pratique vers la social-démocratie régulée par les
mécanismes suivants:
Le
pouvoir pour quoi faire?
Que veulent les socialistes qui ont gagné les élections?
Rien, si ce n’est le pouvoir. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter
en coulisses les chefs du parti(1).
Le pouvoir pour quoi faire? Pour répondre à la demande bien entendu, car la démocratie fonctionne comme un marché. La loi de l’offre et la demande régit le marché politique, comme l’a bien décrit Schumpeter dans Capitalisme, socialisme et démocratie. Sauf que ce marché est lui aussi réglementé. Ce n’est pas un marché libre, ce qui devrait être le cas dans une démocratie authentique. Ainsi, les partis politiques majoritaires, se refilant le pouvoir périodiquement, s’arrangent pour empêcher la concurrence. La difficulté de présenter des candidats aux élections en raison des coûts et des contraintes administratives est très dissuasive. Sans parler des manoeuvres réglementaires destinées à éliminer des partis minoritaires des assemblées et dont le Front national est chroniquement victime. Ainsi, non seulement la démocratie réelle converge-t-elle vers une démocratie sociale de marchandage où un pouvoir alterne avec son clone, mais, en même temps, la loi «démocratique» n’est même plus respectable. En effet, il y a des «lois» justes et des «lois» injustes, fussent-elles votées à la majorité absolue d’une Assemblée nationale, elle-même composée de politiciens élus à la majorité relative (minorité réelle) des électeurs. Il y a un consensus au sujet de ces règles de décision car une grande majorité de la population désire une société pacifiée. Mais ce qu’on observe néanmoins est une certaine lassitude. Lassitude exprimée par l’abstentionnisme qui démontre que l’Histoire politique n’est peut-être pas finie.
Cette lassitude traduit la prise de conscience par les gens que la démocratie
réelle, en produisant un monopole politique de fait et réglementaire,
convergeant idéologiquement et méthodologiquement, crée
une division sociale entre la classe politique et le reste de la société(2).
Alors, le pouvoir, pour quoi faire? Manifestement pour se maintenir
en place et rien d’autre. Le reste est subalterne. Telle est la loi de
la démocratie réelle.
Démocratie
collectiviste
S'agissant de la démocratie, il faut aussi parler de son collectivisme
dans la mesure où les droits de propriété individuels
sont bafoués, autant de fois que le prétendu «intérêt
général» permet de les piétiner (or comme le
rappelle souvent Christian
Michel: le seul intérêt général, c’est le
Droit).
Toute une série de médiations existe entre l'électeur et le pouvoir politique. On observe une sorte de convergence idéologique des partis les plus importants, également une certaine autonomie des politiciens dans leur action. Cette autonomie, cette convergence et cet accord implicite des citoyens contribuent à créer le marécage collectiviste où chacun accepte d'abandonner partiellement la jouissance de sa propriété, au profit des autres, du moment que c'est en échange d'un renoncement équivalent des autres. «La liberté des uns est limitée par celle des autres», nous ressasse-t-on, comme si c'était là le principe limitant du libéralisme. Ce n'est qu'une rhétorique qui camoufle une vérité bien plus désagréable: la liberté que vous perdez sert aux politiciens à acheter leurs clientèles électorales. Et comme toutes les clientèles y trouvent plus ou moins leur compte, il s'instaure une sorte d'équilibre. Mais il s'agit tout de même d'un équilibre instable, ancrée dans un collectivisme de fait, même si celui-ci n'est pas pensé. C'est une conséquence involontaire (pour être charitable) du mécanisme démocratique. Chacun devient l'instrument des autres dans le but de réaliser un état social «meilleur». La
politique naturelle
On peut hésiter devant l’adjectif «naturelle» accolé
à «politique». Il faut simplement entendre par là,
comme Hayek (Droit, Législation et liberté, tome 1,
PUF Quadrige), un phénomène «spontané»
c’est-à-dire non délibéré, non conventionnel,
non planifié.
La «politique naturelle» s’oppose à la politique des soviets, celles des élus soi-disant représentatifs. La politique naturelle est fondée sur l’évidence des droits de chacun, les droits de propriété. Ceux que chacun présuppose dès qu’il commence à parler sans préjugé idéologique. Ceux que chacun revendique dès que ses biens et son intérêt sont mis en jeu. Pour exemple, je citerais volontiers l’enjeu électoral du canton de Strasbourg-Neudorf où j’ai soutenu par sympathie la candidate UMP, surtout par répulsion à l’égard du candidat socialiste. La politique municipale de transport public, en parfaite cohérence avec celle de la municipalité de gauche précédente, consiste à étendre le réseau du tramway pour desservir les quartiers périphériques et désengorger le centre-ville du trafic automobile individuel. Mais ce faisant, il faut bouleverser la structure des quartiers dont certaines niches ont été préservées de la circulation routière, ouvrir certaines impasses, etc., faire une saignée dans un parc dont l’intégrité est chère aux habitants du coin. La candidate UMP a perdu son mandat à cause de ce projet. Alors je me pose la question: Étant donné que ce projet relève des compétences de la municipalité, dont le mandat dépend de tous les électeurs de l’agglomération et non pas du conseil général (départemental), étant donné que la défaite de la candidate UMP ne changera rien à la mise en oeuvre du projet, comment interpréter les résultats de cette élection? Les exégètes «démocrates» nous disent qu’il s’agit d’un vote protestataire. Soit. Mais protestataire pourquoi? Tout simplement parce qu’il est naturellement inadmissible que les gens non concernés directement par les changements aient le droit d’imposer leur décision. Pourquoi les électeurs de Tartempion-les-asperges auraient un droit d’influence sur le devenir d’un petit quartier de Strasbourg-Neudorf? La démocratie, telle que nous la connaissons pourtant, le permet. C’est que cette pseudo-démocratie a encore des aspects collectivistes qui violent le droit naturel des individus.
Alors, en réfléchissant, on peut se dire que si les électeurs
allaient au bout de la logique de leurs raisons, ils devraient choisir
entre la démocratie collectiviste telle que nous la connaissons,
telle que nous la subissons actuellement, et la privatisation des espaces
publics, la propriété privée, c’est-à-dire
la politique naturelle qui est implicite dans les comportements
quotidiens des gens et qui transparaît dans leur attitude électorale.
Cette politique naturelle n’est rien d’autre que libertarienne:
souveraineté des droits de propriété, règne
du libre-échange et du contrat.
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