Montréal,
le 4 avril 1998 |
Numéro
5
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ÉDITORIAL
LES
FASCISTES
DE
LA SSJBM
par Martin Masse
Le président de la Société St-Jean-Baptiste de Montréal,
Guy Bouthillier, n'a jamais caché ce qu'il pensait des anglophones
du Québec: ce sont des étrangers, on doit les tolérer
mais rien de plus.
Alors qu'il était président du Mouvement Québec français
il y a quelques années, il avait dénoncé ainsi le
maire Jean Doré pour avoir dit une évidence, c'est-à-dire
que Montréal est une ville bilingue: « Non, déclare
M. Bouthillier, Montréal n'est pas une ville bilingue.
Bien au contraire, c'est la ville où le français est menacé
par l'impérialisme de l'anglais. (...) C'est le lieu où les
Québécois ont certes fait des gains à leur langue,
mais où les jeux sont loin d'être faits, où les choses
pourraient facilement basculer contre le français. »
(Le Devoir, 3 juin 1992).
C'est clair comme de l'eau de roche. Les Québécois sont,
selon Bouthillier, nécessairement des francophones. Montréal
est donc une ville unilingue francophone où subsiste une situation
anormale intolérable du fait que des étrangers impérialistes
continuent d'y parler anglais. Il faut tout faire pour repousser ces gens
qui nous ont envahis.
C'est le même raisonnement qui a justifié tous les nettoyages
ethniques pratiqués en ex-Yougoslavie depuis le début des
conflits sur ce territoire. Évidemment, au Québec, nous sommes
encore en démocratie et il y a des moyens moins violents et plus
subtils de se débarrasser de ces intrus.
Des citoyens qui maîtrisent «
notre » langue
Bouthillier en a offert un exemple cette semaine, alors qu'il déposait
un mémoire devant une commission de l'Assemblée provinciale
qui se penche sur la loi électorale: on pourrait manipuler les conditions
d'accession à la citoyenneté pour faire en sorte que seuls
ceux qui maîtrisent « notre
» langue puissent voter.
Tous les éléments de la pensée collectiviste, xénophobe
et exclusionniste étaient présents dans l'exposé
de cette comparution, lorsqu'on garde à l'esprit ce que le «
nous » et le « notre » représentent
dans la bouche de cet homme.
Dans le débat politique, il y a ainsi « les amis
du Québec, les partisans du Québec, [et] les adversaires
du Québec, les ennemis du Québec ». Cette
loi électorale doit refléter le fait que nous somme «
maîtres de la façon dont nous allons organiser notre
vie, notre vie collective ».
Mais surtout – et c'est ce qui sous-tend la logique exclusionniste proposée
– « s'il y a un domaine où il faut exprimer cet
état d'esprit [que nous sommes maîtres chez nous], c'est précisément
dans cette loi qui est si intimement liée à notre prétention
que nous formons un peuple et que nous avons le droit de nous autodéterminer
».
La SSJBM propose donc dans un premier temps que le gouvernement du Québec
fasse pression sur Ottawa pour qu'il n'accorde des certificats de citoyenneté
qu'aux immigrants qui peuvent prouver qu'ils maîtrisent l'une ou
l'autre langue officielle. Cela, d'ici à ce que le Québec
dispose du droit d'accorder lui-même la citoyenneté, lorsqu'il
sera indépendant. À ce moment, il n'y aura bien sûr
qu'une seule langue officielle nécessaire pour exercer le droit
de vote, le français. « Le principe démocratique,
le principe du droit de chaque citoyen à participer pleinement et
en toute connaissance de cause à la vie politique, suppose que le
citoyen connaisse la langue dans laquelle ce débat se mène,
se conduit. (...) Comment voulez-vous participer à un débat
si vous ne connaissez pas la langue dans laquelle ce débat se déroule?
»
Si on poursuivait le raisonnement, il faudrait bien sûr enlever le
droit de vote aux élections fédérales aux 60% de Québécois
francophones qui ne maîtrisent pas bien l'anglais, langue dans laquelle
la politique canadienne se déroule en grande partie. Mais l'organisme
ne s'est pas prononcé sur cette question. |
Dérapages fascistes
Un autre xénophobe notoire du clan nationaliste, l'économiste
François-Albert Angers, avait proposé il y a une quinzaine
d'années de ne donner le droit de vote au Québec qu'aux seuls
membres de l'ethnie canadienne-française. Plus modéré,
Bouthillier propose qu'on crée dans les faits une bureaucratie qui
fera passer des tests linguistiques et qui pourra décider si telle
personne mérite ou non sa citoyenneté dans la nouvelle république
de banane québécoise. Les fautifs seront peut-être
envoyés dans des camps de rééducation où, en
plus de leur apprendre les beautés de notre langue, on leur expliquera
comment se comporter en « amis et en partisans du Québec
».
Comme tous les groupes anti-démocratiques qui utilisent un double
langage pour cacher leurs buts véritables, la SSJBM fait appel au
droit de chaque citoyen à participer pleinement à la vie
politique pour... justifier qu'on dépouille éventuellement
de leurs droits démocratiques ceux qui ne correspondent pas à
sa définition de la tribu! On peut bien vouloir jouer sur les mots,
il n'y a pas cinquante-six définitions de l'idéologie fasciste.
Il s'agit d'une doctrine autoritaire qui glorifie l'appartenance au groupe
tel que défini par une petite clique d'illuminés, et dont
on se sert pour dépouiller de leurs droits et persécuter
ceux qui ne cadrent pas avec cette définition. Dans le cas de la
SSJBM, on ne parle plus simplement de nationalisme avec ses perversions
mineures, on parle carrément de fascisme.
On dira encore une fois que tout ça est impossible ici, que nous
sommes une vieille démocratie, que les dérapages n'auront
pas lieu. En France, un pays qui a pourtant connu les affres de la guerre,
qui se débat encore avec son passé collaborationniste et
antisémite, un citoyen sur six donne aujourd'hui son vote à
des extrémistes de droite. L'échiquier politique est chambardé
depuis les élections régionales d'il y a deux semaines, qui
voyaient le Front national faire de nouveaux gains. Comme les dérives
intellectuelles de la « mère patrie »
ont toujours un écho chez nous, il ne faudrait pas se surprendre
de voir le même pattern se développer ici.
Apartheid linguistique
Cet homme, Guy Bouthillier, qui n'est rien d'autre que le Jean-Marie Le
Pen du Québec, a accès à toutes les tribunes médiatiques,
les mêmes où l'on vilipende et traite d'extrémistes
des anglophones qui réclament le simple droit d'utiliser
leur langue sans restriction. Mais ce n'est pas tout.
C'est la SSJBM qui reçoit officiellement le mandat, année
après année, d'organiser les festivités de la Fête
nationale du Québec, et son point de vue est donc jugé acceptable
par le gouvernement qui le lui donne. Quelles que soient ses prétentions
à l'ouverture — que plus personne ne croit depuis la déclaration
de Jacques Parizeau le soir du référendum — voilà
qui en dit plus long sur le positionnement idéologique réel
du gouvernement péquiste que les déclarations mielleuses
sur l'égalité des citoyens qu'il nous sert régulièrement.
Encore une fois cet été le 24 juin, des dizaines de milliers
de gens brandiront des drapeaux et proclameront leur fierté, à
l'appel d'un groupe qui fait la promotion d'un apartheid linguistique.
Et nos vierges offensées se plaindront de nouveau que le Québec
a mauvaise presse à l'étranger lorsqu'on relèvera
ce fait!
Commentant les suggestions qui venaient d'être faites à la
commission, le député péquiste Jean-Claude St-André
a rajouté, avec un à-propos pour le moins bizarre quant au
pays choisi comme exemple, « ça me paraît
être incontournable. Moi, comment je pourrais concevoir, par exemple,
de vivre en Allemagne et de ne pas connaître l'allemand pour pouvoir
participer à la vie de ce pays-là? Il me semble que c'est
une question qui se pose. » La question qui se pose
est plutôt celle-ci, et elle n'est pas innocente: Qui déterminera
ceux qui méritent d'être des citoyens de plein droit, et selon
quels critères? On n'a qu'à consulter les livres d'histoire,
notamment ceux du pays qui semble intéresser le député,
pour connaître les réponses auxquelles mènent ces spéculations.
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
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« Après avoir pris ainsi tour à tour dans
ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à
sa guise, le souverain étend ses bras sur la société
tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites
règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers
lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses
ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas
les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force
rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse;
il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise
point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint,
il hébète, et il réduit enfin chaque nation à
n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont
le gouvernement est le berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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