Montréal,
le 4 avril 1998 |
Numéro
5
|
(page 4)
page précédente
Vos
commentaires
LE QUÉBÉCOIS LIBRE
sollicite des textes d'opinion
qui défendent un point de vue libertarien sur n'importe quel sujet
d'actualité. Les textes doivent avoir entre 700 et 1200 mots. Prière
d'inclure votre titre ou profession, ainsi que le village ou la ville où
vous habitez.
|
|
OPINION
BIG BROTHER,
30 ANS PLUS TARD
par Jean-Luc Migué*
Jusqu'aux années 60, la population n'attendait pas grand-chose du
gouvernement. Chacun pouvait mener sa vie suivant les principes personnels
dictés par les croyances et les contraintes qui l'encadraient. Parce
qu'elle vivait sous un régime de gouvernement limité, la
population n'avait pas lieu de blâmer le gouvernement de ne pas régler
les problèmes qui ne le regardait pas. Cette convention implicite
s'est rompue le jour où le législateur, fédéral
et provincial, s'est avisé de poser que tout relevait désormais
de sa responsabilité.
Naturellement, il est blâmé de ce que les problèmes
ne se résolvent pas. Tout le monde en éprouve une profonde
frustration. Non pas seulement ceux qui s'opposent à chaque étape
à une intervention particulière, mais également ceux
qui font l'objet de sa prédilection, car quoi qu'il fasse comme
gouvernement, ça ne suffit jamais.
Encore dans les années 50, les lois en vigueur n'affectaient pas
immédiatement la vie des individus, ni celle de leurs entreprises.
L'individu qui menait une vie honnête et s'employait à subvenir
aux besoins de sa famille était jugé bon citoyen. Désormais
que les gouvernements prennent parti dans les affrontements qui divisent
la population dans des matières morales qui touchent les gens dans
leurs principes les plus profonds, l'aliénation se généralise. |
L'avortement, le port du turban dans la gendarmerie royale, du voile islamique
à l'école publique, la discrimination active à l'endroit
d'une multitude de minorités, le droit homosexuel, la langue d'affichage
et de travail, les clauses du contrat de mariage, autant d'objet de controverse
morale où le législateur prend parti contre la volonté
de larges fractions de la population.
Tous victimes de la bureaucratie
L'activisme d'État qui a succédé à cette époque
a tout lieu de susciter la crainte chez le grand nombre de citoyens. Tout
employeur appréhende constamment de se retrouver en infraction d'une
loi ou d'un règlement quelconque édicté par la CSST,
le ministère de l'environnement, la Commission des droits de la
personne, la police de la langue, et par quelques dizaines d'autres bureaucraties,
dont les sous-fifres de l'équité dans l'emploi.
Tout contribuable, individuel ou corporatif, doit craindre à tout
moment d'avoir violé l'une ou l'autre des règles fiscales.
Lorsque la prison guette l'agriculteur qui produit du lait ou qui choisit
de transporter ses céréales à la frontière
ou qui a recourt à la carabine pour se débarasser de quelqu'encombrant
rongeur protégé, il y a lieu de parler de harcèlement
des citoyens. Ces malheureuses victimes de la colère bureaucratique
n'ont pas le sentiment de commettre des actes criminels. Ils mènent
une vie honnête de bon citoyen, chargé du bien-être
de sa famille.
Le contrôle du despote bienveillant ne s'est pas attaqué qu'aux
seuls ennemis conventionnels que sont les multinationales, les riches exploiteurs,
les spéculateurs sans âme et en général les
plus productifs des agents économiques. Ce sont nos relations personnelles
et professionnelles qui font désormais l'objet de la plus grande
sollicitude du Big Brother.
Nos contrats de mariage sont visés par le protecteur bureaucratique,
le flirt est devenu du harcèlement et l'aménagement des relations
entre employeurs et employés est désormais fixé par
dictats bureaucratiques. À la maison ou au travail, une multiplicité
de nouveaux risques physiques et psychologiques ont maintenant été
identifiés, que notre ignorance nous empêchait de reconnaître
avant la clairvoyance du régulateur.
(*) Jean-Luc Migué est
professeur à l'École nationale d'administration publique
(ÉNAP).
|