Montréal,
le 4 avril 1998 |
Numéro
5
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«
Les citoyens branchés sont clairement libertariens – ils
ont beaucoup plus confiance dans la capacité des entreprises et
des individus à solutionner des problèmes que dans celle
des gouvernements. »
(sondage, décembre
1997)
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LE MARCHÉ LIBRE
LES ACTES DE DIEU
ET LA PROVIDENCE DE L'ÉTAT
par Pierre Desrochers
Après plus d'une semaine éprouvante à regarder les
rivières Chaudière, Châteauguay et leurs affluents
envahir les sous-sols de nombreux riverains, le premier ministre Bouchard
a tenu à conforter ses ouailles. Que les bons citoyens soient rassurés,
leurs élus mettent en place un nouveau programme pour soulager les
victimes de la fureur de l'enfant Jésus (El Nino). De telles
mesures sont toutefois jugées insuffisantes par certains intervenants
qui, à l'instar du maire Bourcier de Châteauguay, réclament
de vastes travaux d'aménagement et d'endiguement des rivières
pour protéger leurs commettants pour les siècles des siècles...
On oublie toutefois un peu trop rapidement que c'est la main visible de
la providence de l'État qui est la véritable cause des problèmes
actuels. En fait, comme le rappelait récemment un porte-parole de
la Sécurité civile, les inondations actuelles «
ne sont pas les plus importantes à toucher nos régions
» car l'on pouvait observer une situation similaire il y a
quatre ou huit ans selon les zones touchées (Le Devoir, 21
mars 1998). Les crues printanières actuelles n'ont rien d'étonnant
car on en a observé plusieurs similaires dans le passé. C'est
le nombre accru de résidants dans les plaines inondables qui posent
aujourd'hui problème.
Blâmer El Nino ou nos politiciens
Nos politiciens sont évidemment rapides à pointer du doigt
certains facteurs ayant joué un rôle dans nos problèmes
printaniers (déboisement, température exceptionnelle, etc.).
Les véritables causes des récentes inondations découlent
toutefois directement de trois mesures mises en place par nos décideurs
publics.
1) Les subventions pour le drainage
des terres agricoles.
Afin d'augmenter le rendement des terres agricoles québécoises,
certains fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ont eu l'idée
au milieu des années soixante-dix de subventionner le drainage des
terres agricoles par l'installation de boyaux et le déblaiement
des cours d'eaux. On a toutefois constaté que le gain de terres
agricoles a été nul, car l'eau évacuée a eu
la fâcheuse habitude d'inonder les terres non-drainées situées
en aval. |
2) Les subventions à la construction résidentielle.
Il y a maintenant près de cinquante ans que tous les paliers gouvernementaux
promeuvent intensément la construction résidentielle. Si
les premiers bungalows subventionnés étaient construits de
façon non-économique dans des endroits sécuritaires,
il n'en va plus de même depuis plus de deux décennies alors
que l'on a souvent donné des dégrèvements fiscaux
aux gens allant s'établir en zones inondables. C'est ainsi que partout
au Québec, le nombre de résidences construites dans des secteurs
truffés de zones inondables, de ruisseaux, de marécages et
de sols argileux a grimpé en flèche et provoqué les
problèmes actuels.
Comme le rappelait le rapport d'un comité fédéral-provincial
sur la régulation des eaux de la région montréalaise
paru au milieu des années 1980: « tant que ces
rives étaient peu habitées, ces caprices de la nature ne
causaient pas de problèmes importants ». Qui
se souvient d'ailleurs que 90% des dégâts survenus lors du
déluge du Saguenay ont touché des résidences situées
en zones inondables? (La Presse, 12 juillet 1997)
3) L'aide d'urgence de l'État.
Les citoyens qui habitent en bordure d'un plan d'eau s'y installent de
leur propre chef. Ceux qui veulent occuper de riches résidences
ou de grands ensembles de condominiums le long des cours d'eau choisissent
librement et consciemment leur site. Les dédommager lors d'inondations
revient donc à pénaliser les contribuables prévoyants
pour l'irresponsabilité d'une tranche de la population aux revenus
supérieurs à la moyenne. Loin d'être une mesure généreuse
et responsable, l'aide gouvernementale en cas de sinistres récompense
l'imprévoyance et l'irresponsabilité.
Pour éviter le déluge...
Il y a trois approches pour éviter que notre catastrophe printanière
ne se reproduise. La première est d'investir massivement dans les
barrages et les digues. Cette solution est toutefois peu prometteuse, car
elle a échoué partout où on l'a mise en pratique.
La vallée du Tennessee est le cas typique. Malgré les milliards
de dollars investis par la Tennessee Valley Authority à cet
effet, plus de personnes vivaient dans des zones à risque au début
des années 1970 qu'avant l'intervention massive de l'État
au début des années 1930. L'expérience nous enseigne
que construire une digue ou un barrage crée un sentiment de fausse
sécurite qui incite un nombre accru de citoyens à se localiser
en zones à risque.
La seconde facon d'envisager le problème est d'adopter l'approche
du Parti québécois suite aux événements du
Saguenay. Pour citer les propos du ministre Jacques Brassard: «
Il pourrait arriver que les municipalités qui autorisent
des constructions doivent assumer la responsabilité financières
des indemnisations. » (La Presse, 12 juillet
1997). On en reviendrait donc encore une fois à pénaliser
les contribuables prudents pour l'irresponsabilité des riverains.
La pilule est encore plus difficile à avaler lorsqu'il est de notoriété
publique que les permis de construction en zones inondables ont typiquement
été des cadeaux politiques...
La dernière façon d'envisager le problème est de couper
toutes les subventions au drainage des terres agricoles, à la construction
résidentielle et aux programmes massifs d'aide d'urgence aux sinistrés
tout en adoptant une interprétation stricte des droits de propriété
privés. Dans le cas des plans d'eau, la principale priorité
des pouvoirs publics seraient alors de bien définir la propriété
des ponts, des rives, de l'eau et du sous-sol fluvial. Les acheteurs de
maisons seraient dès lors entièrement responsables de leurs
actes. Sachant qu'ils ne seraient pas remboursés immédiatement
en cas de sinistres, ils y penseraient à deux fois avant de s'établir
en zones risquées, ce que ne manqueraient d'ailleurs pas de leur
rappeller les institutions financières et les compagnies d'assurance
dans un tel contexte.
N.B. Le lecteur voulant un examen
plus détaillé de cette problématique pourra
consulter le chapitre
« Le Projet Archipel: une occasion manquée? »
d'Éric Duhaime et Pierre
Desrochers paru dans
le livre Practising
Sustainable Water Management: Canadian and International Experience
de Dan Shrubsole et Bruce Mitchell, Canadian Water Resources Association,
1997.
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