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ÉDITORIAL
LES
MÉGABANQUES
ET
LA COMPÉTITION
par Martin Masse
L'annonce d'une seconde fusion entre deux grandes banques canadiennes en
moins de quelques semaines a semé la panique chez plusieurs. Des
petites entreprises s'inquiètent de ne plus pouvoir obtenir de prêts;
des épargnants voient déjà les frais bancaires augmenter;
les syndicats dénoncent les pertes d'emplois éventuelles;
des activistes alarmistes y voient même une menace à la démocratie.
Le dossier est évidemment très complexe mais toutes ces peurs
irrationnelles auraient moins de raisons de s'exprimer si on clarifiait
un peu cette question de la compétition qui est au coeur du problème.
À la merci des géants?
La critique la plus fréquente envers les deux projets de fusion
est que la compétition va presque disparaître et que citoyens
et entreprises seront à la merci de quelques géants qui leur
offriront peu de choix.
Il est vrai que le système bancaire canadien est peu compétitif.
Alors que les États-Unis comptent encore au-delà de 9000
banques de diverses tailles, et ce même après une série
de fusions similaires à celles qui se produisent ici, le Canada
a toujours favorisé la consolidation de quelques mégabanques
de dimension nationale.
Il faut toutefois préciser que les banques ne contrôlent que
47% des avoirs financiers au pays, et que d'autres joueurs comme les compagnies
d'assurances, les fonds mutuels ou les fiducies offrent de plus en plus
des services qui s'apparentent à ce qu'offrent les banques.
Qui plus est, au Québec surtout, les caisses
populaires font bien sûr une concurrence directe aux géants
bancaires. Dans le reste du pays, l'annonce des fusions est déjà
interprétée comme une bonne nouvelle par les coopératives
de crédit similaires au Mouvement Desjardins.
Il faut regarder au-delà du seul secteur bancaire pour prendre une
vue d'ensemble de la situation. Mais même si l'on veut se concentrer
sur celui-ci, les nouvelles ne sont pas aussi mauvaises qu'on le croit.
Les banques étrangères, comme la Banque de Hong Kong ou la
Wells Fargo, sont déjà présentes sur le marché
canadien depuis les années 1980. Elles n'y occupent encore qu'une
petite place, parce que la réglementation et les restrictions auxquelles
elles sont sujettes les confinent surtout aux prêts commerciaux.
Le Groupe de travail sur l'avenir des services financiers, qui doit rendre
son rapport au gouvernement fédéral à l'automne, risque
fort de recommander l'ouverture totale du marché canadien comme
corollaire à la fusion des banques. Ce que souhaitent les banques
étrangères, c'est la permission d'ouvrir ici de simples succursales
de la maison mère, alors qu'elles sont maintenant obligées
de créer des entités autonomes enregistrées comme
banques canadiennes, avec toutes les limites que comporte la mise sur pied
d'une nouvelle institution dans un marché déjà bien
occupé.
L'impact positif qu'aurait une telle ouverture du marché dépasserait
de beaucoup l'effet négatif de la fusion de quelques grandes banques
sur la concurrence. Dans les faits, les citoyens et les entreprises du
Canada auraient potentiellement accès aux meilleurs services dans
le monde. Une banque étrangère capable d'offrir des services
bancaires de plus grande qualité et à moindre coût
que ce qu'offrent les banques d'ici aura tout intérêt à
ouvrir une ou plusieurs succursales et à aller chercher une partie
de la clientèle, forçant par le fait même les institutions
canadiennes à s'ajuster pour rester compétitives.
Il faut enfin mentionner un dernier développement susceptible d'augmenter
la concurrence dans les services financiers: l'arrivée des nouvelles
technologies de l'information. On peut déjà obtenir un prêt
et s'occuper de la plupart de ses transactions bancaires sur internet.
À moyen terme, le potentiel de diversification des services est
énorme. Il n'est pas nécessaire que tout le monde soit prêt
à faire son budget par ordinateur pour que le marché financier
soit affecté par cette réalité. Il suffit qu'une partie
des épargnants soient susceptibles de choisir ce nouveau service
pour, encore une fois, forcer les banques traditionnelles à s'ajuster
pour demeurer compétitives.
La grosseur n'est pas essentielle
En bout de ligne, la grosseur des nouvelles institutions fusionnées
ne sera pas un élément essentiel dans leur compétitivité
et pourrait même devenir un inconvénient; les entreprises
énormes perdent souvent contact avec leur clientèle, ont
tendance à développer des réflexes bureaucratiques
et peuvent commettre des erreurs de stratégie aussi énormes
que leur taille. La compétitivité d'une entreprise dépend
d'abord de sa capacité à développer une niche où
elle peut offrir les meilleurs services, avec les coûts d'exploitation
les plus bas.
Il y a plusieurs niches dans le monde des services bancaires: une pour
les multinationales, une pour les PME, une pour ceux qui souhaitent faire
toutes leurs transactions dans la succursale de leur village, une autre
pour ceux qui veulent tout régler sur internet, et bien plus encore.
Au lieu de faire un power trip en parlant des banques comme s'il
s'agissait d'une extension de la bureaucratie fédérale, le
ministre des Finances Paul Martin devrait indiquer clairement qu'il permettra
la fusion des banques canadiennes, et qu'il ouvrira en même temps
le marché à toutes les institutions qui pourraient leur faire
une véritable concurrence. Tout le monde en sortira ainsi gagnant. |