Montréal,
le 25 avril 1998 |
Numéro
8
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« Les citoyens
branchés sont clairement libertariens — ils ont beaucoup plus confiance
dans la capacité des entreprises et des individus à solutionner
des problèmes que dans celle des gouvernements. »
(sondage, décembre
1997)
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LE MARCHÉ LIBRE
TOUCHE PAS À
MA POMPE
par Pierre Desrochers
Un sondage récent mené pour le compte de l'Institut canadien
des produits pétroliers (ICPP), un regroupement des principales
compagnies pétrolières, nous apprenait que près de
deux Québécois sur trois ne souhaitent pas que les fonctionnaires
établissent le prix de l'essence. Ce sondage était rendu
public dans un contexte où la Régie de l'énergie du
Québec sera amenée en juin à déterminer les
coûts d'exploitation « raisonnables » que
doit supporter un détaillant de produits pétroliers (Le
Devoir, 16 avril 1998).
On se souviendra que l'intervention du gouvernement québécois
dans ce domaine remonte à la guerre des prix de l'essence à
la pompe de l'été 1996. Les médias avaient alors pris
fait et cause pour certains détaillants indépendants se disant
incapables de suivre le mouvement à la baisse des prix. Le gouvernement,
prétextant les intérêts à long terme des consommateurs,
avait alors volé au secours des petits détaillants.
L'argument invoqué pour justifier l'intervention des fonctionnaires
est bien connu. On soutient que les grandes entreprises baissent leur prix
de vente au détail jusqu'à ce qu'il soit plus bas que le
coût de production de leurs petits compétiteurs. Une fois
que la concurrence est éliminée, les grandes entreprises
occupent totalement le marché et se comportent en cartel, c'est-à-dire
qu'elles facturent des prix abusifs à des consommateurs n'ayant
désormais plus d'alternatives. C'est donc pour les assurer d'un
sain niveau de compétition que les fonctionnaires québécois
font en sorte que les consommateurs de la Belle province paient un prix
plus élevé pour leur essence!
Cet argument de « prédation par les prix
» (predatory pricing) remonte, dans sa forme moderne,
à la seconde moitié du dix-neuvième siècle.
Il a notamment servi à scinder la Standard Oil de John D. Rockefeller
en plusieurs compagnies. Ce qu'on oublie toutefois de dire, c'est que la
position dominante de la Standard Oil était uniquement attribuable
à une gestion serrée, une série d'innovations techniques
et d'escomptes imputables au volume de ses ventes qui lui avait permis
de diminuer de façon importante ses coûts de production.
Les prix de vente de ses produits n'avaient jamais cessé de diminuer
lors des périodes de forte croissance de l'entreprise, profitant
ainsi à des dizaines de millions de consommateurs américains.
Les concurrents de la Standard Oil eurent alors deux options: innover dans
leurs méthodes de gestion et de production afin de baisser eux aussi
leurs coûts de production; se plaindre auprès des fonctionnaires
de l'État pour que ces derniers neutralisent l'entreprise de Rockfeller.
La deuxième option a malheureusement été retenue. |
Il y a toutefois un sérieux problème pour les tenants de
la théorie du predatory pricing et les fonctionnaires chargés
de maintenir les prix artificiellement élevés, c'est que
malgré des centaines d'allégations, on n'a jamais réussi
à trouver un seul cas prouvant cette thèse. Même les
juges de la Cour Suprême des États-Unis ont admis en 1986
dans un jugement célèbre (Matsushita Electric Industrial
Co vs Zenith Radio) que les cas de prédations par les prix étaient
aussi communs que les licornes!
Le nerf de la guerre
En fait, il n'est jamais dans l'intérêt d'une grande entreprise
d'agir en prédateur et ce, pour plusieurs raisons:
1) Une telle pratique serait très coûteuse. Ce n'est pas parce
qu'une entreprise a un chiffre d'affaires élevé qu'elle dispose
nécessairement de réserves financières proportionnellement
plus importantes qu'une petite entreprise. Si une grande entreprise décide
de vendre son produit à un coût plus bas que son coût
de production, elle perdra nécessairement, en valeur absolue, plus
d'argent qu'une petite entreprise.
2) Il est impossible pour les dirigeants de prévoir la durée
d'une guerre des prix. Perdre des sommes considérables pendant plusieurs
années peut venir à bout de n'importe quelle entreprise,
même des plus grandes.
3) La petite entreprise, si elle est suffisamment capitalisée, a
toujours l'option de fermer temporairement ses portes pendant une guerre
des prix. Elle ne perdra ainsi pas d'argent, tandis que la grande entreprise
ayant déclenché la guerre en perdra encore davantage.
4) À supposer qu'une grande entreprise réussisse à
éliminer tous ses concurrents — ce qui, rappellons-le encore une
fois, ne s'est jamais produit — elle fera effectivement des profits énormes.
Elle ne pourra toutefois employer tous les travailleurs spécialisés
de ses anciens compétiteurs. Rien n'empêchera alors de puissants
intérêts financiers n'étant pas impliqué dans
le domaine où la guerre des prix a eu lieu d'embaucher d'anciens
employés compétents et de livrer concurrence à l'entreprise
monopolistique. Supposons ainsi qu'Ultramar prenne le contrôle du
marché québécois et facture 5,00 $ le litre d'essence
aux consommateurs. Peut-on vraiment douter, ne serait-ce qu'un instant,
que le mouvement Desjardins ne s'empresserait pas de financer d'anciens
détaillants indépendants qui pourraient s'approvisionner
pour 0,45 cents le litre dans les raffineries géantes du New Jersey
et faire des profits mirobolants en vendant leur essence 4,00 $ le litre?
Ce n'est pas en rémunérant à même l'argent des
contribuables des fonctionnaires qui s'assureront que les prix de l'essence
sont artificiellement élevés que l'on préservera la
concurrence, mais en déréglementant complètement le
marché de l'énergie. En laissant les détaillants québécois
libres de s'approvisionner où ils le veulent et en ouvrant les portes
du marché québécois à d'efficaces producteurs
américains, les millions de consommateurs québécois
auront l'assurance de se voir offrir les prix les plus concurrentiels.
Et la perte de quelques centaines d'emplois chez certains détaillants
indépendants n'aura que des effets positifs chez le consommateur
qui dépensera l'argent économisé dans d'autres domaines.
Il ne reste donc qu'à souhaiter que, pour une rare fois, les politiciens
québécois seront à l'écoute de leurs électeurs
plutôt que du lobby des détaillants indépendants.
Le lecteur voulant une argumentation
beaucoup plus détaillée sur le mythe de la prédation
par les prix est
invité à consulter
l'article The Myth
of Predatory Pricing de l'économiste Thomas J. DiLorenzo.
Pour en savoir plus sur le mandat
de la Régie de l'énergie, en ce qui concerne les produits
pétroliers,
voir le Mot
pour mot de la semaine dernière.
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