Montréal, le 6 juin 1998
Numéro 13
 
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LE MARCHÉ LIBRE
 
LE CHAR DE L'ÉTAT
  
par Pierre Desrochers
 
 
          La décision prise en 1995 par Hydro-Québec de ramener un projet de groupe propulseur d'une éventuelle voiture électrique à celui d'un moteur-roue a provoqué l'ire du Docteur Pierre Couture, l'inventeur du Groupe de propulsion électrique qui devait animer une voiture hybride, de même que celle du syndicat des chercheurs de l'IREQ. Après avoir investi 20 millions $ dans l'affaire, Hydro-Québec a cédé en septembre dernier 51% du contrôle du projet modifié au Fonds de solidarité, à la SGF et à la Caisse de dépôt, en échange d'un investissement de 6 millions $
          Insatisfaits des explications fournies par les dirigeants de la société d'État, selon qui le monopole public n'était pas le mieux placé pour développer et commercialiser une automobile, les chercheurs déclenchèrent alors une campagne de lobbying auprès de certains élus. 
  
          Des parlementaires québécois ont finalement décidé d'user de leurs pouvoirs lors de la Commission parlementaire de l'économie et du travail pour réexaminer le comportement des administrateurs d'Hydro-Québec dans ce dossier. Après avoir entendu à huis clos le Dr Couture, les membres de la Commission parlementaire ont finalement recommandé au ministre Guy Chevrette de charger le Dr Couture de vérifier si son projet était suffisamment protégé par les brevets en instance ou déjà détenus par Hydro. Le président de cette Commission, le député Christos Sirros, a pour sa part souligné que la décision de scinder le projet de voiture électrique lui semblait mal avisée. Il a donc suggéré de le confier à un groupe de travail indépendant, financé par Hydro-Québec et le gouvernement, pour le libérer des « fils invisibles qui semblent l'avoir cloué au sol pendant que les grands de l'automobile tentent de le rejoindre sur le plan technologique » (Le Devoir, 20 mai 1998). 
  
          Il est évidemment impossible à des observateurs extérieurs, qu'ils soient rédacteurs de chroniques économiques ou députés provinciaux, de statuer sur la valeur des avancées techniques des chercheurs d'Hydro. On nous permettra tout de même de faire quelques remarques à des élus provinciaux complètement dépassés par ce dossier. 
  
Avec Hydro, tu iras loin! 
 
          La première est que l'innovation des hydro-québécois n'en est qu'une parmi d'autres. La voiture électrique, à l'instar de la voiture à essence et de la voiture à vapeur, existe depuis une centaine d'années. Elle n'a cependant jamais réussi à s'imposer, car ses inconvénients ont toujours été trop grands par rapport au moteur à explosion. Plusieurs dizaines de milliers de chercheurs de par le monde améliorent continuellement les performances des véhicules automobiles conventionnels ou développent des alternatives allant de l'éthanol à l'hydrogène en passant par une conception radicalement nouvelle des moteurs. Les investissements et les avancées techniques d'Hydro-Québec ne pèsent pas lourds dans la balance. L'idée du Dr Couture et de ses acolytes est peut-être valable, mais il est douteux qu'elle soit radicalement nouvelle. 
  
          Nos élus ne comprennent également rien à la valeur réelle des brevets d'invention. Bien qu'un brevet soit émis par des fonctionnaires de l'État, sa validité n'est en fin de compte que déterminée par les tribunaux. La seule façon qu'a le Dr Couture de vérifier la « solidité » de ses brevets est de trouver des entreprises ou des inventeurs qui enfreindraient certains aspects de ses brevets et de les traîner ensuite en cour — une bagatelle qui coûtera au minimum plusieurs centaines de milliers de dollars. Et même en supposant que les tribunaux lui donnent raison, il suffira à ses concurrents de faire quelques modifications à son produit pour affirmer que leur technologie est suffisamment différente pour ne pas être couverte par les brevets d'Hydro (une procédure qualifiée de « patenting around » dans le jargon de la propriété intellectuelle). En fait, rien ne garantit que les brevets du Dr Couture ne seront pas eux-mêmes contestés, car il est à peu près impossible que son concept n'emprunte pas à d'autres technologies déjà couvertes par les milliers de brevets des grands de l'automobile. 
  
          Bien qu'il soit présomptueux pour un chroniqueur de suggérer une ligne de conduite sur la base de quelques communiqués de presse, il y a tout de même quelques constats qui tombent sous le sens dans cette affaire. Le premier est qu'Hydro-Québec a déjà investi plusieurs millions de dollars dans un domaine où elle n'a effectivement qu'une expertise et des chances de réussite tout à fait minimes. Le second est que les chercheurs d'Hydro ont sans nul doute développé une expertise valable dans ce projet. Le troisième est que la balle est passée d'une bande de fonctionnaires à une autre, le tout au prix d'une facture additionnelle pour les contribuables. Le quatrième est que les suggestions d'élus provinciaux ne comprenant rien à l'innovation technique coûteront encore une fois des millions de dollars aux contribuables. 
  
          Quelle est alors la meilleure façon de défendre les intérêts des contribuables (i.e. nos intérêts) dans cette affaire? Selon nous, en remettant le plein contrôle des brevets pertinents aux chercheurs d'Hydro et en n'investissant plus un sou de notre argent dans ce projet. Bien que nous ne toucherons jamais rien des bénéfices éventuels dans cette affaire (s'il y en a, ce qui est bien incertain), au moins on ne nous taxera pas davantage pour investir dans un projet auquel bien peu de gens semblent croire. Il incomberait dès lors aux chercheurs d'Hydro de se débrouiller pour trouver des investisseurs et des partenaires qui croiront en eux. Qu'ils quittent le giron protecteur de la société d'État et prennent eux-mêmes des risques plutôt que de solliciter la générosité d'élus trop empressés de dépenser l'argent des autres. S'ils réussissent, ils en seront évidemment les premiers bénéficiaires. Mais comme toujours en économie de marché, les bénéfices privés seront bien faibles en comparaison des bénéfices qui échoieront aux consommateurs. 
 
 
N.B. Le lecteur voulant plus de détails sur la portée réelle du système des brevets pourra bientôt 
         consulter l'article: Problems in the Use of Patents as Economic and Innovation Indicators 
         de notre chroniqueur qui sera bientôt publié dans le Quarterly Journal of Austrian Economics 
         (volume 1, numéro 4)).  
 
 
 
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