Montréal, le 1er août 1998
Numéro 17
 
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     « I've never seen a politician create a job in my life. If you ever see one, I want to know so I can witness one of the greatest phenomenons of my life. »     
     
Fob James
Gouverneur républicain
de l'Alabama
 
 
BILLET
  
INDIVIDUALISME
ET SAVOIR-VIVRE
 
 par Brigitte Pellerin
  
  
           Je vous avouerai bien candidement que ce qui me fait grimacer quand j'entends les réactions des gens face aux libertariens – une fois qu'ils ont compris ce dont il s'agit –, c'est leur facilité à sauter aux conclusions extrêmes: « Avec vous autres, on sait bien, tout le monde serait égoïste et personne ne penserait à s'occuper des pauvres. »  

          À croire que tous ceux qui expriment une opinion politique dite « de droite » (comme si ça voulait encore dire quelque chose) sont d'affreux banquiers en puissance qui sauteraient volontiers à la gorge des gagne-petit. Et le plus drôle, c'est que je mettrais ma main au feu que la plupart des libertariens québécois sont pas mal moins fortunés que n'importe quel président de syndicat. Mais passons.  

          Eh oui, on se fait souvent accuser de manquer de compassion, de vouloir « libérer » le monde des moins nantis, de n'être qu'une bande de néolibéraux – whatever that means – sans coeur et surtout sans conscience sociale. À croire qu'on n'attend que la bonne occasion pour faire rayer certains quartiers de la map.

Les mythes ont la vie dure 
  
          D'accord. Examinons un peu et tentons de dépoussiérer le mythe tenace. Et comme j'essaie de bien tenir mes résolutions, je ne parlerai que de ce que je connais, c'est-à-dire de ma petite personne, sans chercher à embarquer trop de monde dans ma chaloupe. Mais si le chapeau vous fait, be my guest. 

          Laissons tomber pour aujourd'hui le volet « organisation politique » et la différence entre l'État interventionniste et l'État minimaliste. Oublions aussi pour l'instant les théories du libre marché et de la saine concurrence entre les acteurs économiques. 

          Concentrons-nous plutôt sur cet aspect qui, peut-être l'aurez-vous remarqué, me tient à coeur: l'individu et sa responsabilité. Oui, oui, la responsabilité passe avant la liberté, du moins dans mon livre à moi. Parce qu'on ne peut pas se prétendre libre quand on n'est pas d'abord convaincu que chaque geste que l'on pose tombe, sans exception, sous notre juridiction exclusive. 

          Je suis seule pour répondre de mes actes; je n'ai personne d'autre à blâmer pour les erreurs que je commets. L'envers de la médaille, quand on est majeur, vacciné et libre de ses mouvements, c'est qu'on est RESPONSABLE de ce que l'on fait. 

          Il y a une grande différence entre l'égoïsme (tout rapporter à soi, ne rechercher que son plaisir ou son intérêt personnel sans égard aux autres) et l'individualisme (voir dans l'individu la suprême valeur). Fouillez un peu dans vos dictionnaires et vous verrez; de toutes façons, la pire chose qui puisse vous arriver, c'est d'apprendre quelque chose. 

          Les gens dont je suis – et vous n'avez pas besoin d'être libertarien pour ça – vous diront souvent que la seule règle que devrait respecter l'individu libre, c'est de ne pas empiéter sur le « terrain privé » d'autrui. Je suis libre de me comporter comme bon me semble, en autant que, ce faisant, je ne porte pas atteinte à vos droits. Vous avez le droit de rester en vie; il m'est donc interdit (par la loi mais aussi par ma conscience personnelle) de vous zigouiller bêtement. 

          O.K., c'est un peu simpliste, mais il faut parfois se raccrocher aux bienfaits des histoires courtes. Il est toujours temps de raffiner, n'est-il pas? 

          Donc, en tant qu'individu qui se veut libre, j'ai le DEVOIR de respecter la liberté d'autrui. Parce que je ne veux pas que les autres empiètent sur la mienne. Et dans le doute, je m'abstiendrai de poser tel ou tel geste, de peur de nuire à mes semblables. C'est cette responsabilité qui ouvre les portes de ma liberté. On a un peu l'air de tourner en rond, je vous l'accorde. C'est une autre version de la poule et de son oeuf. Personne ne sait dans quel ordre il faut les installer; mais une chose est sûre, l'un n'existe pas sans l'autre. 

          Ça revient un peu à dire: « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent. » Vous savez, si plus de gens respectaient ce petit principe bien ordinaire, mais qui en même temps contient l'essentiel, ça irait probablement beaucoup mieux ici-bas. À tout le moins, on aurait plus souvent l'impression de vivre dans un pays où le savoir-vivre et la politesse sont des vertus honorables. M'enfin. 
 
Ma mère avait raison 

          Quelques exemples. Je ferai attention de ne pas laisser le banc de parc que je quitte en piteux état, parce que vous avez le droit d'en profiter comme je l'ai fait. Je ne devrais jamais vous boucaner sans votre permission, parce que vous avez raison d'exiger que je respecte votre intégrité physique. Je recyclerai mes journaux et choisirai la poubelle plutôt que de laisser tomber mon restant de Caramilk sur le trottoir, parce que nos descendants sont en droit d'attendre de nous une planète qui soit encore potable. And so on. 

          C'est ma mère qui avait raison, finalement: si tout le monde prenait une petite minute pour se ramasser, la maison serait toujours propre. 

          L'égoïste, lui, ne s'occupera pas des conséquences de ses actes pour les gens qui l'entourent. Il se concentrera sur la recherche de son intérêt personnel, il tentera de retirer le plus possible du pot commun, et s'en retournera tranquillement se coucher sans éprouver le moindre remords. 

          Pour moi, être individualiste commence par ceci: arrangez-vous donc pour ne pas encombrer les autres, faites en sorte d'être respectueux des droits et libertés d'autrui et, de grâce, ramassez ce que vous pourriez si facilement laisser traîner dans l'environnement que vous partagez avec vos semblables. 

          Ne le faites pas parce que c'est écrit dans une loi quelconque, non plus parce que votre psy vous l'a suggéré. D'ailleurs, on ne devrait jamais faire quelque chose seulement parce que « c'est comme ça ». Nous sommes des animaux, certes, mais doués de raison, semble-t-il. Faudrait bien que ça paraisse, une fois de temps en temps. 

          Alors faites-le pour vous-mêmes. Soyez de bons citoyens, au sens de « vivre en société », parce qu'ainsi, vous pourrez exiger des autres qu'ils le soient envers vous. N'attendez pas que tout le monde soit parfait avant de mieux vous comporter; les miracles, c'est dans une autre dimension que ça se passe. 

          Comme pour les histoires de poules, on ne saura probablement jamais ce qui doit venir en premier. Mais si on commençait par donner l'exemple... 
 
 
 

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