Je vous prie d’abord de pardonner mon retard à répondre à
votre lettre du 13 janvier. À cause des néolibéraux
(je me demande bien qui ils sont),
le retrait de l’État nous impose des réductions de personnel
qui expliquent ce malheureux délai.
Vous me demandiez ce qui justifie la police de forcer les gens à
quitter leur demeure à l’occasion de sinistres. La réponse
est simple: c’est parce que nous avons
la force de notre côté. Secret de polichinelle: exception
faite de mes problèmes avec ma secrétaire,
le retrait de l’État n’est qu’une apparence et un leurre: la preuve
en est que la police pénètre dans les maisons dites
privées.
Mais connaissant votre intérêt pour les idées, je ne
me contenterai pas de cette réponse facile et j’ajouterai que l’utilisation
de la force est dans le meilleur intérêt
de tous nos assujettis. Le simple fait de forcer les gens à se réfugier
dans nos centres d’hébergement
apporte de l’eau au moulin de la solidarité sociale. La mentalité
de réfugié, l’habitude des papiers d’identité, le
respect du règlement, la reconnaissance
béate, la promiscuité, le serrement des coudes, les odeurs
d’aisselles québécoises, le contact
avec les travailleurs sociaux, la dépendance satisfaite, tout cela
ne peut que favoriser la discipline sociale (« les normes
sociales qui s’installent dans une société
», comme dit mon collègue de la Santé) et mieux
préparer nos assujettis à supporter les queues
collectives dans les salles d’urgence et les autres bureaucraties de notre
État national et social.
Je terminerai en paraphrasant Pierre de Ronsard – ce Gilles Vigneault du
16e siècle dont un de nos cégeps m’a fait connaître
l’oeuvre – dans un pastiche que j’applique à
notre maîtresse collective, la société québécoise:
Donc, si vous me croyez, Bobonne,
Tandis que votre âme frissonne
En sa bleue nationalité,
Cueillez, cueillez notre caresse
Comme à votre vie les flicesses
Feront ternir la liberté.
Je vous prie, Monsieur, de croire à mes sentiments très philosophiques
et poétiques.