Montréal, le 29 août 1998
Numéro 19
 
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            Vos réactions         
 
 
 
 
 
 
 
 
     « L'anarchie est partout quand la responsabilité n'est nulle part. »  
   
Gustave Le Bon
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 BILLET
  
ÊTRE RESPONSABLE 
DE SA SANTÉ 
  
par Brigitte Pellerin
   
  
          Vous n'êtes pas un peu tannés, des fois, d'entendre parler de soins de santé et de Oh! misère, notre système qui s'en va-t-à la dérive?  
  
          Moi, si.  
  
          Remarquez, je suis d'accord avec vous: ça fait dur en mosus. Les politiciens auront beau nous vanter les mérites de la dernière réforme jusqu'en l'an 2037, quiconque a mis les pieds dernièrement dans le bordel de la santé sait très bien que l'édifice est juste sur le point de s'écrouler. 
  
          J'ai parfois l'impression que les bouts de ficelle qui servent à retenir le tout fonctionnent d'une façon étrangement similaire aux face-lifts. Au début, c'est merveilleux. Puis, ça retombe – toujours plus vite que c'est remonté d'ailleurs, selon la loi bien connue du solde bancaire. Alors on se dépêche de retourner chez le chirurgien pour un autre traitement... ça risque de mal finir, cette histoire. 
          Il arrive toujours un moment où on ne peut plus faire semblant que tout va pour le mieux. La pensée magique a ses limites, et il faut se résigner aux rides et à l'affaissement. L'avantage d'un système bureaucratique sur les minois revampés, c'est qu'on a le droit de tout effacer et de recommencer. Madame, elle, doit vivre avec ce qu'il lui reste. 
  
          Il y a évidemment plusieurs raisons qui peuvent expliquer la ruine imminente de l'assurance maladie, et chacun a la sienne. Je ne vais pas m'enfoncer dans cette voie, ne serait-ce que parce que j'ai une sainte horreur des bouchons de circulation. 
  
Le devoir de garder la forme 
  
          Dévions un peu du sujet, pour faire changement. Parlons par exemple du fait qu'on ne s'intéresse aux soins de santé que lorsqu'on est malade. C'est bien nous autres, ça – les humains, je veux dire –, on se met à critiquer seulement lorsque notre nombril est menacé. Tant que ce sont les autres qui se débattent dans la dèche, on a tous la même réaction: « Ouin, c'est plate. Ça doit pas être facile, hein... À quelle heure, déjà, qu'il faut être chez Bob? » 
  
          Être en santé, c'est l'ouvrage de toute une vie. Loin d'être un privilège, je dirais plutôt que c'est un devoir. Dans le sens où c'est un service qu'on se doit, personnellement, et dont on profite de la même façon. 
  
          Autrement dit, la responsabilité de notre santé et de notre qualité de vie, c'est dans notre cour que ça se passe. Ce n'est pas au gouvernement à nous assurer une vie douillette et sans douleurs, mais à nous à organiser nos flûtes pour souffrir le moins possible. 
  
          Moi aussi j'aime bien savoir que si j'en ai besoin, j'aurai accès à un médecin et à des soins de qualité. Les accidents et les bad lucks, ça arrive. Sauf que j'essaie, autant que possible, de ne pas consulter pour rien alors qu'il serait si facile de prendre deux aspirines, de faire un gros dodo et d'attendre au lendemain pour voir si ça passe. 
  
          Oublions le cas des « vraies » maladies qui nous paraissent, avec raison, manifestement injustes et cruelles. Que les gens malheureusement pris avec reçoivent les meilleurs soins disponibles, je n'ai pas de problèmes avec ça et je suis ravie qu'une partie de mes impôts serve à atténuer leurs douleurs. Même chose pour les enfants. Tant qu'à investir, aussi bien le faire dans la jeunesse. Il est là, notre avenir. 
  
          J'en ai contre les hypocondriaques qui encombrent les salles d'urgences avec leurs maux de tête et leurs douleurs gastriques. « Ça serait-tu un cancer, des fois? » Un cancer? Sûrement pas. Une gueule de bois ou le résultat des burritos de la veille, peut-être? Euh... 
  
          J'en ai contre ceux qui passent leur vie à festoyer sans réfléchir et qui, soudainement avec la crise de la cinquantaine, se réveillent avec des brûlements d'estomac tenaces, une pression qui ne dit plus rien qui vaille, des artères bloquées, un foie magané, des poumons encrassés et un fichu d'ongle incarné. 
  
          Ben ça, les potes, c'est votre problème. 
  
Des lendemains de veille difficiles 
  
          Ce n'est pas parce que vous venez de vous réveiller que vos voisins doivent ramasser le bill. Z'aviez qu'à vous secouer les puces avant. C'est comme ceux qui ont fumé toute leur vie et qui maintenant poursuivent les compagnies de tabac. Comme si personne ne savait que fumer, c'est caca. Votre mère ne vous l'a jamais dit, à vous? 
  
          Le problème, c'est que plein de gens veulent tout avoir et ne rien payer. Ben, c'est pas comme ça que ça marche dans la vie. C'est plate, mais on ne peut pas jouer les enfants gâtés jusqu'à devenir des enfants gagas. Passer des petites couches aux grandes sans avoir eu à prendre ses responsabilités. Les adultes, ça s'assume. 
  
          Je suis bien curieuse de voir ce que ça donnerait si on interdisait à tous ceux qui ont joué consciemment avec le feu de s'exprimer dans ce débat. Si on essayait de trouver la meilleure solution possible entre gens qui font ce qu'ils peuvent, au meilleur de leurs connaissances, pour éviter d'être un fardeau pour les autres. 
  
          Je le sens, les tomates s'en viennent. Ce n'est pas bien vu d'empêcher les gens de s'exprimer. Même quand ils encombrent plus qu'autre chose? Il semblerait. Ben cout' donc. 
  
          Il y a un autre truc qui me dépeigne dans toute cette histoire de soins de santé, mais malheureusement on n'en entend jamais parler. C'est vrai que les chiffres, au Québec, on n'est pas forts là-dessus. Ce n'est sûrement pas un Québécois qui a inventé la maxime qui veut que l'argent n'ait pas d'odeur. On n'en sait fichtrement rien; l'argent, on n'y touche à peu près pas. Chez nous, on dépense en prenant des chiffres d'une colonne et en les mettant dans une autre. 
  
          Vous rendez-vous compte qu'on n'a absolument aucune idée des coûts qu'on génère chaque fois qu'on se pointe à l'urgence ou chez le médecin de famille? Tout ce qu'on sait, c'est que ça fait tchik-tchik quelque part sous le comptoir et qu'il ne reste plus qu'à lire un Reader's Digest vieux de quatre ans avant que le doc ne vienne nous chercher. Y avez-vous déjà pensé, vous? Sûrement pas, et c'est loin d'être votre faute: comment pouvez-vous le savoir, right? 
  
          Ne vous fatiguez-pas à vous culpabiliser, personne ne le sait. Et c'est là le drame. 
  
          Comment critiquer une marchandise ou un service quand on n'en connaît pas le prix? L'air de rien, le prix est l'information la plus importante, et c'est rendu qu'on ne peut même pas en parler sans se faire taxer de néolibéral et/ou de sans-coeur chronique qui n'attend que l'avènement du système à deux vitesses pour être heureux. Il y a quelque chose de tabou quelque part dans la discussion, et j'ai drôlement hâte qu'on l'évacue du portrait. 
  
          Ça nous permettrait peut-être d'y voir un peu plus clair et de discuter calmement de ce qu'on veut mais surtout de ce qu'on est prêt à se payer comme système de santé. Ça serait tellement bien si on nous permettait de vivre selon nos moyens et si on laissait les citoyens informés choisir ce qui leur convient le mieux, peu importe qu'il s'agisse de tondeuses à gazon ou d'ophtalmologie. 
  
          Et puis de grâce, cessez de vous énervez comme ça; il a déjà deux vitesses, le système: slow, pis arrêté. 
  
  
 
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