Montréal,
le 24 octobre 1998 |
Numéro
23
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MOT POUR MOT
DR JEAN JEKYLL
ET M. JEAN HYDE
Lors des dernières élections provinciales à l'été
1994, le chef libéral de l'époque, Daniel Johnson, luttait
sur le même terrain que son adversaire Jacques Parizeau, à
savoir qui allait annoncer le plus de subventions avant la fin de la campagne,
quel Père Noël avait le plus gros sac de cadeaux. Cette fois-ci,
Jean Charest surprend tout le monde en dévoilant un programme qui
se démarque sensiblement de celui des péquistes (voir éditorial,
p. 2). Mais qui se démarque jusqu'à quel point? Voilà
la question essentielle. |
Lorsqu'on y regarde de plus près, la remise en question des dogmes
socio-démocrates que propose M. Charest est loin d'être
si radicale. Dans cet extrait d'une entrevue à l'émission
Les Affaires et la vie diffusée le 19 septembre dernier à
la radio de Radio-Canada, le chef libéral montre bien que plusieurs
personnalités idéologiques continuent de se côtoyer
dans son esprit...
(...)
Daniel Bordeleau (journaliste):
Mais là, quand même, ces réductions d'impôts-là,
vous allez les financer d'une façon quelconque, là, il va
falloir couper dans des services ou augmenter d'autres taxes.
Jean ‘Jekyll’ Charest:
Bien, voilà, c'est là où il y a vraiment une différence
en termes de philosophie et de perception de l'économie. Voyez-vous,
le problème de l'économie du Québec, entre autres,
un des problèmes, c'est qu'il y a trop de gouvernement, il y a trop
de taxes, ça étouffe la croissance, ça étouffe
la création d'emplois. La réponse du gouvernement du Québec
à ce problème d'un excès de gouvernement, c'est de
créer plus de gouvernement, plus d'intervention. Nous, on pense
que ce qui a été fait autour de nous a un certain bon sens,
puisque les résultats en témoignent. En réduisant
le fardeau, on va créer plus d'investissements, plus d'emplois,
et que ça ça va générer plus de croissance,
c'est-à-dire l'emploi, donc plus d'argent pour financer des programmes.
(...)
Chez les péquistes, hein, on a l'habitude de toujours blâmer
trois acteurs: le fédéral est toujours blâmé
quand ça va mal, le gouvernement prédécent en deuxième
lieu, et troisièmement le contexte mondial. Mais le constat, Monsieur
Bordeleau, est très clair pour le Québec. Il y a eu une très
forte période de croissance en Amérique du Nord, partout
autour de nous, et le Québec a manqué..., le gouvernement
du Québec, c'est-à-dire l'État québécois
a manqué le bateau. Et il y a des raisons pour ça, au pluriel.
D'abord il y a l'incertitude politique, premièrement; deuxièmement,
il y a le fait que l'État chez nous nous coûte à peu
près 35% de notre produit intérieur brut, à comparer
de 25% pour l'Ontario... Ça coûte 30% plus cher en moyenne
administrer le gouvernement du Québec – municipal, local, provincial
compris – que la moyenne canadienne, 30% de plus qu'en Ontario. Et autour
de nous, il y a des gouvernements qui ont fait des choix différents,
de réduire le fardeau fiscal pour créer plus d'emplois et
d'investissements. Puis ça, ça crée plus de revenus.
Alors, philosophiquement, il y a une différence fondamentale entre
notre vision de l'avenir du Québec et celle du régime du
Parti québécois. (...)
On a le record de l'Amérique du Nord des taxes puis des impôts,
et par coïncidence on a des records de chômage et des records
de pauvreté. Il me semble que le constat est assez clair. (...)
On va arrêter de faire intervenir le gouvernement du Québec
dans chaque entreprise. Pour vous donner quelques exemples, comment se
fait-il qu'on annonce de l'argent pour Cognicase à Montréal
dans le multimédia, et que le président-directeur général
de l'entreprise, M. Brisebois, le jour où l'annonce
est faite, nous dit qu'il n'aurait pas eu besoin de cet argent-là
pour créer des emplois? Ça vous interroge... ça vous
fait pas poser des questions, ça? On coupe dans la santé
puis on donne de l'argent à quelqu'un qui dit: « Ben,
dans le fond, j'en aurais pas eu besoin, j'aurais créé des
emplois de toute façon. » On est rendu à
un point d'absurdité! Alors, comment se fait-il qu'au Québec,
on prenne pour acquis que chaque fois que quelqu'un fait un investissement,
il faut absolument que le gouvernement participe à ça?
Daniel Bordeleau:
Et si on regarde Kenworth, est-ce que vous pensez que le gouvernement aurait
dû aider Kenworth comme il l'a fait?
Jean ‘Hyde’ Charest:
Il y a des cas où le gouvernement peut intervenir, doit intervenir.
Et d'ailleurs il n'y a pas un gouvernement au monde, aussi conservateur
qu'il puisse être, qui n'intervient pas de temps en temps. Un exemple
de ça, c'est les Expos à Montréal. Moi je fermerais
pas la porte sur une aide, sous une forme quelconque, dans la mesure où
on a un plan économique... (...) Une chose est sûre, moi je
ne ferais pas comme M. Bouchard, là, l'intransigeance,
où on claque les doigts sur les portes des gens. Il n'y a pas un
gouvernement, là, parlons-nous franchement, il n'y a pas un gouvernement
au monde qui, un moment donné, pour toutes sortes de raisons, ne
choisit pas d'intervenir. Sauf qu'au lieu d'en faire la règle, on
va en faire l'exception. (...)
Daniel Bordeleau:
Mais il y en a qui verraient ça dans certains secteurs comme la
santé. Est-ce que vous iriez jusqu'à autoriser les hôpitaux
privés, par exemple?
Jean ‘Hyde’ Charest:
La santé, pour nous, ça doit être un système
public à une vitesse. Et ça, c'est un engagement qui reflète
les valeurs de la population québécoise, je dirais même
canadienne, hein, les gens veulent un système public à une
vitesse et ça veut pas dire que le privé peut pas jouer un
rôle, et on aura l'occasion d'en reparler. Le privé peut jouer
un rôle à l'intérieur du système de soins de
santé, mais à la condition que ce soit un système
public et à une vitesse.
Daniel Bordeleau:
Et dans le cas de l'électricité?
Jean ‘Hyde’ Charest:
Bien dans le cas de l'électricité, on a un patrimoine important
avec Hydro-Québec, et on doit situer l'avenir d'Hydro-Québec
dans le cadre nord-américain de déréglementation,
hein. Ça va avoir un gros impact sur le parc d'équipements
nord-américain. Il y a quelqu'un à quelque part, si mon information
est correcte, qui va se retrouver avec de l'équipement qui ne sera
pas beaucoup utilisé. Entre Hydro-Ontario et Hydro-Québec,
il va y avoir une course assez serrée pour savoir qui des deux va
pouvoir participer à cette déréglementation-là
et en tirer un profit. Ce qu'il faut pour Hydro-Québec, c'est un
système efficace. Mais dans l'électricité en général,
rien n'exclut – les municipalités m'en parlent beaucoup –, rien
n'exclut qu'il se fasse du privé dans du barrage, mais le patrimoine
d'Hydro-Québec, lui, c'est autre chose, ça doit être
préservé. (...)
Jean Racine (animateur):
Pour conclure peut-être Monsieur Charest, un bon exemple des problèmes
que ça peut apporter au Québec, les problèmes économiques
mondiaux, il y a les producteurs de porc qui occupent actuellement, aujourd'hui
même là, l'autoroute 20, aujourd'hui vendredi. Qu'est-ce que
vous proposeriez à ces gens-là si vous étiez premier
ministre du Québec?
Jean ‘Hyde’ Charest:
De rétablir le programme d'assurance...
Daniel Bordeleau:
Mais ça, c'est de l'intervention!
Jean ‘Hyde’ Charest:
Oui, puis qui est justifiée dans ce cas-là. Parce que c'est
une assurance, un système qui est plein de bon sens. Dans les années
90, moi mon information c'est que le régime était déficitaire
pour un montant assez important et il a été rééquilibré
par la suite, parce qu'il y avait une crise. Mais là, on a un comportement
qui est assez typique du régime péquiste, hein. D'abord,
il ont agi unilatéralement. C'est un peu comme si votre assureur
vous appelait dans le milieu de l'inondation, Monsieur Racine, puis il
vous apprenait qu'il vient d'annuler votre assurance. C'est exactement
ça que le régime péquiste vient de faire aux producteurs
de porc du Québec. Alors on peut très bien rétablir
le régime, permettre aux producteurs de traverser une crise qui
est mondiale. Surtout, rappelons-nous que les producteurs de porc au Sommet
de l'agriculture au printemps dernier, on les encourageait, on leur a demandé
de doubler leur production et leur exportation. Et puis après avoir
fait ça, le gouvernement les largue et leur annonce en plein milieu
de la crise qu'il annule leur police d'assurance, ou à peu près.
Heille, je les comprends, moi, je peux vous dire une chose, je les comprends.
Et un gouvernement libéral rétablirait cette assurance-là
pour qu'ils puissent passer à travers la crise, comme ils l'ont
fait avant, et puis que le fonds puisse par la suite se renflouer. (...)
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