Montréal, le 21 novembre 1998
Numéro 25
 
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LIBRE EXPRESSION
 
ON CONNAÎT LA CHANSON!
 
 par Gilles Guénette
   
   
          (...)Puisque l'oncle du Sud aux cinquante-deux (sic) étoiles 
          Nous menace d'étouffer la voix de nos chansons 
          Il est temps de gonfler nos poumons et nos voiles 
          Et tracer les sillons que suivront nos enfants (...)* 

          En décembre 1997, la ministre de la culture et des communications du Québec, Mme Louise Beaudoin, mettait sur pied un groupe de travail ayant comme mandat de brosser un portrait général de l'industrie de la chanson de langue française au Québec. Moins d'un an plus tard, le groupe composé d'intervenants du milieu (SODEC, ADISQ, UDA, etc.) vient de déposer son rapport final qui comporte une trentaine de recommandations. 

          Comme vous l'aurez devinez, les membres du groupe ne font pas preuve d'une originalité démentielle quand vient le temps de dégager des pistes de solutions. En gros, ils recommandent que la chanson québécoise soit considérée comme « un art majeur, porteur de notre identité culturelle »Bye Bye mon cowboy du Grand Art?! – et que l'on débloque encore plus de fonds et de crédits d'impôts pour les artistes et les entreprises qui font affaires avec eux. How original! Ils parlent d'injecter alors qu'ils devraient parler de se retirer.

Depuis que les grenouilles ont des ailes... 

          À la fin des années soixante-dix, il y a très peu de stations de radio sur la bande MF qui diffusent de la musique québécoise (CKOI, CIEL et CHOM sont parmi les rares). La plupart des gros noms enregistrent sur d'importantes étiquettes américaines (A&M, CBS, etc.), les autres, sur de plus petites (Kébec-Disc, Célébration, Trans-Canada, etc.). Le vidéoclip n'existe pas encore et les concerts demeurent le meilleur outil de promotion pour l'artiste – concerts qu'ils donnent la plupart du temps dans des salles plus ou moins bien aménagées pour l'acoustique. 

          C'est l'époque où il est difficile de se tailler une place sur le marché. Il y a moins de joueurs, mais en revanche une plus grande diversité dans les genres. Un musicien doit jouer plus longtemps dans le réseau des bars avant d'en sortir et connaître une certaine renommée. Les disques sont réalisés de façon plus artisanale – ce qui donne parfois une qualité sonore qui laisse à désirer. Malgré tout, plusieurs réussirent à se faire un nom. 

          Avec le recul, il est difficile de définir tous les facteurs qui ont fait que notre musique était dynamique et qu'un marché existait pour la soutenir. Chose certaine, le domaine du disque et du spectacle n'ayant pas bénéficié d'aide publique avant 1983, on ne peut en attribuer le mérite à une aide gouvernementale. 

...elles volent plus haut que les oiseaux(2) 

          Aujourd'hui, le milieu de la chanson francophone québécoise est l'un des plus réglementés et des plus protégés sur le continent. Impossible d'ouvrir la radio sans entendre les mêmes chansons sur l'ensemble des stations – de même qu'il est difficile d'ouvrir la télé sans y voir les mêmes artistes, défiler d'une émission à l'autre, quand vient le temps de faire leurs tournées de promotion. Après quinze ans d'interventionnisme, tous ces artistes font sensiblement la même chose: une musique qu'on pourrait qualifier de passe-partout. De CFGL à CITÉ en passant par CKOI et CIEL, les résidants de la grande région métropolitaine ont accès à un contenu uniforme de musique québécoise et française qui plaît autant à maman qu'à fiston. À part quelques rares exceptions (Les Colocs, Noir Silence, Les Frères à ch'val, etc.) qui tournent dans des radios plus alternatives, la majorité des genres musicaux produits aujourd'hui plaisent à une très large fraction de la population. 

          Peut-on parler de progrès? Si l'on en croit les intervenants du milieu, il resterait encore beaucoup de chemin à faire pour améliorer la situation. Selon les membres du groupe de travail, l'industrie de la chanson québécoise est malade et ce n'est pas de la faute des artistes s'ils ne sont pas aussi populaires qu'ils le devraient. Ils font face à un manque de fonds, un manque de ressources techniques, une concurrence déloyale de la part de « grandes vedettes internationales » qui viennent « provoquer une baisse de l'offre et de la fréquentation des spectacles de chansons québécoises » (p.13), un manque de temps pour créer, etc. Bref, nos artistes sont en manque. 

          Il sont en manque et leurs admirateurs se font de plus en plus rares. Citée par le groupe de travail, une étude menée par Monique Caron-Bouchard(3), révèle que « le public a l'impression que la chanson québécoise fait figure de parent pauvre. Il est en effet souligné que la promotion faite autour de ces spectacles est insuffisante et moins efficace que celle réalisée pour promouvoir les spectacles de langue anglaise. »(p.54) 

          Mme Caron-Bouchard et ses collègues devraient ouvrir leur téléviseur plus souvent! Car il s'agit de regarder un tant soit peu les talk-shows (Poing J, L'Écuyer, etc.), les émissions plus spécialisées (Flash, Les Choix de Sophie, etc.) et même les bulletins de nouvelles pour se rendre compte que ce n'est pas la promotion qui manque. Tout le monde plogue constamment tout! Ça en est parfois indécent. Quand ce n'est pas l'artiste qui plogue son produit, ce sont les chaînes de télévision ou les quotidiens qui les commanditent qui le font. 

Tout petit, tout petit... 
  
          Si les jeunes se déplacent en plus grand nombre pour aller assister aux spectacles des artistes anglophones ou étrangers, c'est plus à cause d'un phénomène de saturation de marché que d'une simple déficience promotionnelle. Le marché québécois est trop petit et les artistes trop nombreux pour que tous y trouvent leur compte. Il ne faut pas se surprendre que nos artistes souffrent de surexposition, on les entend ad nauseam à la radio et les stations de télé ne cessent de multiplier les concepts d'émissions dans lesquelles ils sont appelés à faire les pires âneries. Pourquoi se déplacer pour aller voir ses artistes quand on peut les voir tous les soirs sur son petit écran? 

          Si on assiste à un « désintéressement du jeune public pour la chanson québécoise de langue française » (p.58) c'est peut-être aussi parce qu'on essaie trop de l'imposer. Au lieu de s'intégrer normalement dans notre paysage musical, la musique québécoise est l'objet d'un favoritisme officiel. Cette tactique étatique ne la rend pas plus sympathique! Au lieu d'apprécier un courant musical pour ce qu'il est, on en vient à avoir l'impression que c'est toute une culture qu'on essaie de nous enfoncer dans la tête. 

          La musique anglaise ou américaine attire les foules parce qu'elle ne se prend pas au sérieux. Contrairement à notre chanson à qui l'on prête souvent une multitude d'intentions – tantôt un outil « rassembleur », tantôt une représentante de notre « identité culturelle » profonde –, son écoute n'implique rien d'autre qu'une jouissance pour l'oreille. 

          La création d'une chanson est un geste spontané, et non un geste calculé qu'il faut encadrer et soupeser par une lourde structure bureaucratique et une armée de fonctionnaires et de « gens du milieu » qui sont mieux placés que nous pour savoir ce qui est bon... ou pas. 

          Quand on parle de stimuler, de soutenir, de favoriser, d'encourager, de sensibiliser, d'encadrer ou de consolider une industrie, c'est que cette industrie est perçue comme faible et malade. Cessons de la considérer de cette façon et peut-être aurons-nous plus naturellement envie de la consommer. Personne ne veut être associé à quelque chose qui semble trop « arrangé », qui sonne faux. 

Vivre et laisser vivre 

          L'État doit se retirer du milieu de la chanson et cesser d'imposer ses mesures protectionnistes s'il veut que ce secteur s'épanouisse davantage ici comme à l'étranger. Le retrait des subventions ne garantit pas un meilleur produit, mais sans elles, toute une catégorie d'artistes mineurs ne viendraient pas brouiller les cartes. À défaut d'avoir un grand nombre d'artistes, nous aurions une industrie plus performante. Less is more. Et nous ne serions pas plus mal en point si des artistes comme Martine St-Clair (Lavez, lavez), Françis Martin (Quand on se donne – à une femme d'expérience) ou la formation Bill (As-tu du feu? Non, j'ai du beurre de peanut) n'avaient jamais percé le marché... le temps de quelques chansons. 

          Par contre, des artistes comme Daniel Bélanger, Kevin Parent, Laurence Jalbert ou Térez Montcalm auraient sans doute réussi à percer même sans subvention. Après tout, si des géants de la chanson québécoise comme Robert Charlebois, Diane Dufresne, Claude Dubois, Beau Dommage, Harmonium et j'en passe, ont tous connu leur moment de gloire avant que les gouvernements n'interviennent, pourquoi ne le pourraient-ils pas? 

          Sans quota, l'avenir de la musique francophone ne serait pas compromis comme plusieurs veulent bien nous le faire croire. Les stations de radio sont les mieux placées pour décider des genres musicaux qu'elles veulent privilégiés et les consommateurs, pour décider de la station de radio qu'ils veulent syntoniser. S'il y a un marché pour une chanson québécoise, il saura trouver une façon de s'adapter et de s'imposer. Laissons au citoyen le choix de rémunérer l'artiste qu'il préfère en achetant ses disques et en allant voir ses spectacles. 

          Sans l'interventionnisme des gouvernements, les entreprises de distribution et de production de disques feraient tout en leur pouvoir pour veiller à ce que leurs investissements fructifient. Sans systèmes de subventions, elles redoubleraient obligatoirement d'astuces pour vendre les artistes de leur catalogue – sans quoi, d'autres compagnies plus dynamiques s'en occuperaient. Libérés de tous ces niveaux de réglementations, les artistes québécois réussiraient à se concentrer sur leurs créations, à se démarquer et à atteindre leur plein potentiel commercial. 

          Quand les membres d'un groupe de travail comme celui sur la chanson recommandent « que les acquis d'un système recourant aux expertises des professionnels soient maintenus, que soient apportés des correctifs permettant une meilleure participation des intervenants dans toutes les instances appelées à mettre en application ses recommandations en tenant compte [d'une série de principes]. »(recommandation 27, p.88), c'est que ces gens ont peut-être plus à coeur leur job au sein des multiples structures d'intervention – et leur éventuelle participation à un prochain groupe de travail sur la chanson québécoise – que le bien-être des artistes. 

          Laissons les intervenants du milieu crier au génocide culturel, les menaces de disparition du peuple québécois se multiplier et les idées de grandeur d'une ministre qui tente de se tailler une place dans les livres d'histoire s'écrouler. En bout de ligne, lorsque les nuages se dissiperont, nous auront une industrie de la chanson beaucoup plus forte et plus dynamique.
  
  
(*) Extrait d'une pièce composée par Manuel Tadros, membre du Groupe de travail sur la chanson québécoise, 
      et dédiée à la très « grande défenderesse de la chanson et de l'identité québécoise » Pauline Julien 
      à qui on demande de bien vouloir veiller (!!!) sur le rapport. 
(2) Slogan de la station radiophonique CKOI-FM de 1976, année de sa création, à 1979. 
(3) Caron-Bouchard, M., Beaulieu, S., Denommé, P., St-Pierre, Sommaire du rapport de recherche qualitative 
      sur la chanson québécoise de langue française, présenté à la SODEC, Communications ABC inc., 1998. 
 
 
 

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