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Ne vous méprenez pas, ici. Ce qui me fatigue, ce n'est pas le fait qu'on se gourre d'appellation, mais plutôt cette manie de tenter, par tous les moyens, de faire oublier aux travailleurs indépendants qu'ils sont dans un autre bateau que les salariés. Il y a une différence fondamentale (plus qu'une, en fait, mais commençons par la plus évidente) entre travailler de façon régulière pour un patron bien identifiable et qui nous rémunère gentiment mais surtout, SURTOUT, régulièrement, et travailler au hasard des contrats. Vous l'aurez évidemment compris: il y a un aspect Par contre, il y a un aspect Je radote souvent le même truc que je me fais un malin plaisir à répéter encore une fois: on n'est libre que dans la mesure où l'on prend les responsabilités qui viennent avec la liberté. Dans le cas présent, prendre ses responsabilités veut tout simplement dire qu'on accepte le fait que le travail autonome ressemble étrangement à des montagnes russes, et que lorsqu'on est dans le bas de la côte, il faut organiser ses flûtes en conséquence et résister à la tentation d'aller brailler à l'agence gouvernementale la plus près de chez nous. Chaque fois que je m'ouvre la bouche pour causer de mes petites occupations simili-professionnelles, je me butte à cette même réaction qui me fait invariablement grimacer. Ceux à qui je raconte qu'au lieu d'être au chômage comme tout le monde, je préfère – et de loin – taponner à gauche et à droite, butinant joyeusement de contrats en grenailles; ceux-là donc à qui j'avoue être Ce à quoi, vous vous en doutez bien, j'ai une répartie un tantinet moins rose. Je n'ai pas d'horaire: ça veut dire que je travaille – virtuellement – tout le temps. Pas de boss: oui, mais pas de chèque steady non plus... et ne parlons pas d'avantages sociaux, ça me donne des étourdissements. Pas de comptes à rendre: sauf aux fonctionnaires de l'impôt qui n'ont pas encore réussi à comprendre ce que ça mange en hiver, un travailleur autonome. Quant aux recenseurs de StatCan, c'est la crème de la crème. Attendez d'être sur leur liste, et vous allez comprendre. Non, je ne vous en dis pas plus. C'est une surprise que, bien honnêtement, je ne vous souhaite pas. C'est comique au début, mais ça devient franchement énervant après quelques mois. Joies et Misères de l'autonomie Pourquoi je cause travail autonome cette semaine? Bien, parce que c'est à la mode, maintenant – merci Mario. Pas le choix, il arrive toujours un moment où il faut suivre la vague et ajouter son grain de sel au débat, si tant est qu'il y ait la moindre discussion qui ressemble à un débat en cette contrée-bientôt-enneigée qu'est ce coin d'Amérique. Et franchement, je dois vous avouer que je redoute quelque chose. Oui, j'ai un peu peur que les prochaines N'allez pas me détester pour ça (il y a bien d'autres raisons à votre disposition), mais s'il y a une chose que je ne souhaite pas, c'est qu'on soit tous pareils, avec les mêmes accès aux mêmes programmes de soins dentaires. D'abord parce que j'aime bien choisir ce qui me convient – et je suis parfaitement prête à payer le VRAI prix attaché au style de vie que j'entends mener – et ensuite parce qu'un environnement où tout le monde se ressemble doit être furieusement ennuyant. Les différences rendent la vie piquante et intéressante. Plus on les aplanit, plus on écrase les chances que sortent du troupeau des individus qui ont VÉRITABLEMENT quelque chose à dire. Et pour reprendre le bon mot de Blaise Pascal: Eh oui, je dois l'avouer, j'ai une peur bleue de la grisaille.
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