Montréal,
le 9 janvier 1999 |
Numéro
28
|
(page 4) |
page précédente
Vos
commentaires
«
Stay away from the Canadian music business. It's full of politics
and bureaucracy. It's trouble. »
Bryan Adams
(chanteur
canadien)
|
|
LIBRE EXPRESSION
ON CONNAÎT
LA CHANSON II
par Gilles Guénette
Avec l'arrivée du nouvel an, une nouvelle taxe se pointe à
l'horizon du paysage culturel canadien. La ministre du Patrimoine canadien
Sheila Copps a en effet concocté une taxe sur les supports audio
vierges tels les cassettes, les rubans et les disques compacts de façon
à combattre le piratage dans l'industrie de la musique et à
remettre aux auteurs floués des dollars qui autrement leur auraient
échappé.
Malgré son entrée en vigueur le 1er janvier dernier, le taux
de la taxe ne sera fixé qu'à la suite d'audiences publiques
sur l'épineux dossier du droit d'auteur tenues cet automne. D'ici
là, les manufacturiers sont fortement invités à prévoir
des montants indéterminés d'argent pour acquitter l'éventuelle
facture rétroactive au premier de l'an qu'Ottawa leur fera parvenir.
Quelle organisation! |
|
Tous des criminels
L'arrivée de la nouvelle taxe de Sheila, en plus d'être précipitée,
envoie comme message qu'aux yeux de l'État, tous les consommateurs
qui achètent des cassettes vierges le font dans le seul but (illégal)
de pirater. Pas de place pour la nuance! Pas de place non plus pour des
individus responsables qui utiliseraient ce support à des fins personnelles
(je ne sais pas moi... enregistrer de la musique pour la voiture ou le
walkman, archiver des conférences ou correspondre avec un
ami à l'étranger).
Il est clair qu'avec cette décision, la ministre ne prend pas en
considération le citoyen. Elle n'a qu'une seule idée: plaire
– ou faire taire? – aux groupes de lobbyistes. La ministre ne travaille
pas dans l'intérêt du consommateur, elle travaille dans celui
des multiples associations d'agents, de compagnies de disques, de regroupements
de créateurs-qui-sans-elle-ne-feraient-pas-long-feu, etc.
Encore une fois, c'est le consommateur qui, aux dépends de quelques
groupes organisés, va payer la note. C'est souvent la même
chose: les prix chutent, certains se sentent menacés, ils réclament
des protections (ce qui se traduit souvent par de nouvelles taxes)... Et
la boucle est bouclée. Une petite poignée de personnes s'en
mettent plein les poches, alors que l'ensemble de la population se les
vide.
Autres grands perdants d'une telle mesure: les PME. Plusieurs d'entre-elles
utilisent les supports audio comme matière première dans
la production de biens comme les livres audio pour les aveugles, les logiciels
ou les cédéroms. Ces entreprises qui utilisent d'importantes
quantités de cassettes et/ou de disques compacts vierges devront
débourser d'avantage. Devinez la suite... Eh oui! la facture sera
refilée au consommateur. Mais dans un contexte de globalisation
des marchés, ces entreprises se retrouvent en position défavorisée
face à la concurrence. Résultats: Certaines songent à
s'installer chez nos voisins du Sud si Ottawa ne revient pas sur sa décision.
Heureusement (!!!), ici comme dans toute autre situation, certains sont
épargnés – une ministre se doit de faire preuve d'un peu
de discernement. Ainsi, des mesures particulières à l'intention
de certains groupes tels que les établissements d'enseignement sans
but lucratif, les bibliothèques, les établissements d'archives
et les musées ainsi que des personnes ayant des déficiences
perceptuelles (toujours les mêmes) seront apportées.
Partie de plaisir en vase clos
Mais une fois le butin amassé, comment déterminer qui a droit
à quoi? De quelle façon les bureaucrates de Sheila comptent-ils
redistribuer les recettes de la taxe alors qu'ils ne peuvent même
pas s'entendre sur son taux? Un scénario facilement envisageable
est la mise sur pied d'un important comité constitué de gens
du milieu (tiens, tiens) qui, après avoir pris une petite partie
du magot (question de travailler dans la dignité), vont distribuer
les restants de goodies à leurs petits amis... Déjà
vu?
Comment ensuite savoir si le consommateur-devenu-criminel a piraté
Céline Dion ou les Barenaked Ladies? Ne vaudrait-il pas mieux lui
faire remplir un formulaire sous serment lors de l'achat de la cassette?
« Je jure sur la Bible que je n'enregistrerai que de
la musique canadienne sur ce ruban et que si l'idée me venait d'en
offrir une copie à une amie (Help me God!), je penserai à
fournir le nom du groupe ou de la vedette copié ainsi que le lieu
de résidence de la dite amie... » Ou quelque
chose comme ça.
Et quoi faire si le consommateur-devenu-criminel décide de pirater
un artiste américain? Faudrait-il charger un bureaucrate de joindre
l'agent de la dite vedette étrangère afin de lui remettre
un chèque de dédommagement (si minime soit-il) en prenant
bien soin de la conscientiser au très sérieux problème
du piratage? – question aussi de contribuer à renforcer ce sentiment
planétaire qu'au Canada, on s'occupe de choses capitales!
Une chose est certaine, c'est que toute une catégorie de petites
vedettes locales et inconnues – ou carrément à la retraite
– vont crier: Au génie! Parions qu'avec une telle mesure, des centaines
d'artistes de la trempe des Joe Bocan et Bruce Cockburn – qui ne se font
même plus « pirater » depuis des décennies
– vont aussi recevoir leur part du gâteau. Un montant évalué
à partir d'une grille complexe mais combien équitable qui
prend en considération le dynamisme canadien exprimé par
l'artiste ainsi que la portée de son oeuvre sur la mosaïque
multiculturelle canadienne... ou quelque chose comme ça.
Et si le piratage était un mal nécessaire? Évidemment,
lorsqu'il devient activité lucrative il est à proscrire,
mais dans la plupart des cas, il est sans conséquence pour l'artiste
ou sa maison de disques. Et si la musique est le produit final de l'artiste,
n'est-il pas dans son intérêt que sa diffusion soit la plus
large possible?
À titre d'exemple, disons que X reçoit un disque de Beau
Dommage pour Noël et que, dans un élan de nostalgie, il décide
d'en faire une copie à Y qui les aimaient beaucoup à l'époque.
Infraction ou service rendu à l'artiste? La musique est diffusée.
Des gens dans l'entourage immédiat de Y sont susceptibles de l'entendre.
Ces personnes risquent de se découvrir (ou de se retrouver) une
passion soudaine pour la formation musicale... d'acheter de ses disques...
d'en parler à leurs amis... la copie de X aura été
comme le virus qui les aura tous infectés. Sans elle, il n'y aurait
peut-être jamais eu de débouchés ou de regain de popularité
pour Beau Dommage dans le coin de chez Y. Jusqu'ici, le piratage est manageable.
Entre en scène internet.
000111001111000
Il est actuellement possible de télécharger une oeuvre musicale
entière à partir de sites qui utilisent la technologies MP3
(Motion Picture Experts Group 3) – une technologie qui permet à
l'internaute de télécharger facilement et de plus en plus
rapidement des oeuvres musicales sur le disque dur de son ordinateur. Le
tout gratuitement et quelquefois à l'insu de l'auteur de la pièce
ou de sa maison de disques. À l'heure actuelle, plus de 65 000 personnes
visitent quotidiennement le site MP3.com
où l'on trouve le software requis et une liste de titres
disponibles.
Avec la numérisation de l'information et internet, nul ne peut nier
qu'une réglementation visant à protéger les droits
d'auteurs des créateurs devra tôt ou tard être élaborée.
Mais la responsabilité d'une telle réglementation ne revient
pas à un quelconque gouvernement – aussi bien intentionné
soit-il. Elle revient à l'industrie qui crée les nouvelles
technologies.
Laissons aux Majors et à l'industrie de la musique en général
le soin de mettre en place des dispositifs qui viendront limiter la copie
d'oeuvres ou rendre impossible le piratage à grande échelle
– l'encryptage de l'information pour permettre de limiter le nombre de
copies réalisées à partir d'une bande maîtresse,
l'encodage des oeuvres musicales pour carrément empêcher toute
reproduction d'une oeuvre, etc. Personne n'est mieux placé pour
veiller à ses intérêts que cette même personne.
Taxer les supports audio vierges ne protégera en rien la propriété
intellectuelle des créateurs. Une telle mesure ne peut que venir
brouiller les cartes. Qui se souvient de la taxe sur les vidéocassettes
vierges? Celle qui était censé sauver le cinéma canadien...
Comme elle, la taxe sur les cassettes audio tombera vite dans l'oubli.
On se rendra vite compte qu'elle n'est pas viable et qu'elle génère
plus de problèmes que de solutions. Les seuls qui en bout de ligne
auront bénéficié de tout ce brouhaha, sont tous ceux
qui gravitent autour du pouvoir... la petite clique de vautours qui se
seront rempli les poches le temps d'une tourmente.
Articles précédents
de Gilles Guénette |
|