Montréal, le 23 janvier 1999
Numéro 29
 
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COURRIER DE BELGIQUE
  
L'EURO, ASPIRATION RÉELLE DES PEUPLES EUROPÉENS?
  
par Thibaut André
  
  
          Cela fait plus de trois semaines que la fixation des taux de conversion entre les monnaies nationales et le lancement de la monnaie unique européenne ont eu lieu. C'est évidemment un laps de temps trop court pour pouvoir rendre un jugement exhaustif et objectif sur le nouveau venu. La rigueur des historiens imposera la nécessité d'un regard frais et extérieur sur le phénomène, des qualités que personne ne possède déjà.
 
 
          Sur cette note d'incertitude, il conviendra, à mon sens, d'éviter tout sentiment d'autosatisfaction et d'euphorie, tel qu'il nous a été donné de voir sur nos petits écrans lors de l'introduction officielle de l'Euro. Après tout, dites-vous bien que certains pontes et politiciens, présents physiquement sur les lieux ou par connexion, avaient eux aussi une campagne électorale à mener tambour battant et une image à maintenir. L'occasion était rêvée et, vu que les Européens nageaient dans l'esprit bon enfant d'une nuit éthylique pleine d'allégresse, l'effet ne pouvait en être que des plus impressionnants.  
  
          Ceci étant dit, attardons-nous l'espace de quelques lignes sur l'Europe et sa macrostructure.  
  
Un peu de théorie 
  
          Les quinze composent l'Union européenne (U.E.) qui, depuis la formation du Bénélux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) après la Seconde Guerre mondiale, via la signature du traité de Rome en 1957, n'a cessé de croître en taille, en fonctionnaires, en dépenses et subsides, et donc en ramifications bureaucratiques.  
   
          L'Euro est la monnaie de l'Euroland comprenant onze des quinze pays qui ont réussi leur examen économique afin de passer à la monnaie unique en deux étapes (1999 et 2002).  
   
          Pour simplifier les choses, l'Union européenne est régie par diverses organes et institutions dont les plus importants sont:  
  • Le Conseil européen: composé des chefs d'État ou de gouvernement, il fixe les priorités et donne l'orientation à suivre. 
  • La Conseil de l'Union européenne: c'est l'institution décisionnelle principale. Il réunit les ministres des quinze pays selon la matière concernée. Il partage son pouvoir législatif et budgétaire avec le Parlement. 
  • La Commission européenne: elle gère les affaires européennes, propose des mesures, mais n'a pas de pouvoir décisionnel propre. 
  • Le Parlement européen: il contrôle l'exécutif et partage le pouvoir législatif et budgétaire avec le Conseil dans le cadre de la codécision. Il a un droit de veto. 
  • La Cour des Comptes: elle contrôle la légalité et la régularité des recettes et dépenses de l'Union. 
          L'organe bancaire européen se nomme la Banque centrale européenne (BCE) et est basé à Francfort. Cette localisation lui vaut déjà la réputation rigoriste de la Bundesbank, caricaturée par son obsession de contrecarrer l'inflation, quitte à amputer la croissance économique. Dès lors, en ayant à l'esprit que sa mission fondamentale est d'assurer la stabilité des prix dans un premier temps, la BCE semble jouir de plus d'indépendance que la Federal Reserve d'Alan Greenspan (États-Unis).  
   
          C'est en tout plus de 20 000 fonctionnaires à mieux payer que les autres (« parce qu'il faut attirer les meilleurs », m'a-t-on dit. Qu'en est il des cas de copinage et de népotisme alors? Sans oublier les examens truqués...) et qui bénéficient de toutes les largesses possibles lorsqu'ils sont amenés à se déplacer à travers l'Europe ou dans le reste du monde.  
  
Un général visionnaire 
  
          Comme le soulignait le général de Gaulle dans une interview avec André Malraux, écrivain de renommée et ministre de la Culture sous la présidence du général, fondateur de la 5ème République, l'Europe a étendu son influence et ses compétences avec, en partie, l'appui financier et les encouragements des États-Unis dans le but de former une union libérale et démocratique contre le bloc de l'Est et les avancées du communisme.  
   
          Cette interview postprésidentielle, qui n'est autre que le livre Le chêne qu'on abat d'André Malraux, ponctuée des propres remarques et impressions de l'auteur, nous en dit long sur le sentiment de Charles de Gaulle vis-à-vis de la croissance de l'Union.  
   
          Déjà, il ne manquait jamais de s'enquérir du devenir de cette organisation. Ses inquiétudes se fondaient sur la formation graduelle et rapidement irréversible d'un supergouvernement central et dictatorial qui, n'étant ni capable ni enclin à tenir compte des aspirations et des besoins de ses citoyens, ne faisait que creuser un fossé entre l'individu et ses libertés fondamentales alors bien entamées. I1 y voyait dès lors une perte de souveraineté des États et le danger d'une tendance planificatrice et redistributionniste exacerbée faisant le bonheur de Moscou.  
  
An enlightened lady 
  
          Curieusement, malgré la lutte qui jadis opposa ces deux peuples, c'est auprès d'une Anglaise que l'homme d'État français trouva écho. En effet, Margaret Thatcher éprouvait une grande admiration pour le général et cela se traduisait par la vision commune qu'ils avaient de l'Europe et de ses institutions.  
   
          Dans son livre intitulé 10 Downing Street, où elle raconte ses années à la tête de la Grande-Bretagne, Lady Thatcher nous transmet très vite son aversion pour ce super-État qu'elle qualifie de dépensier et contraire à sa conception des libertés fondamentales. Son approche monétariste de l'économie eut tôt fait de lui faire flairer le danger.  
   
          Bref, à l'instar de Charles de Gaulle et alors qu'elle faisait encore partie du shadow cabinet (cabinet de l'opposition), elle prit conscience que l'europieuvre aux macrotentacules était loin d'être une aspiration sociale dans le but de répartir la richesse équitablement, mais bien une redistribution honteuse des libertés des individus vers l'État européen.  
   
          Kipling la conforta dans sa justesse d'appréciation et affina sa fibre nationaliste. Milton Friedman et Fridriech Hayek, entre autres, lui permirent, à elle et à son chancelier de l'Échiquier Geoffrey Howe, de se constituer un argumentaire économique suffisant pour traduire en mots, discours, plaidoyers et programmes les ardeurs conservatrices qui les dévoraient.  
   
          Le ton fut donné dès le premier sommet européen où elle gratifia Giscard d'Estaing d'un No! sec et persuasif lorsque ce dernier lui demanda de remettre à plus tard la question de la contribution financière de la Grande-Bretagne à la communauté européenne, que la Prime Minister considérait comme excessive. La France et l'Allemagne, en moins mauvaise posture économique que la Grande-Bretagne, contribuaient moins au financement de l'Europe, tous ratios calculés. Ce fut un No! qui fit dire à un haut fonctionnaire présent: « Britain is back! ». Le budget britannique alloué à l'Europe passa de 1 milliard de livres sterling à 350 millions dans un premier temps. Le bad boy était à nouveau la Grande-Bretagne.  
   
          Alors que son pays recevait souvent le qualificatif de « politiquement ingouvernable » et se trouvait dans un marasme économique croissant, amplifié par une inflation que les vieux esprits, encore englués dans la logique tronquée du keynésianisme, croyaient pouvoir vaincre par de nouvelles dépenses publiques et une contribution massive au budget de la communauté, Lady Thatcher se heurta aux politiciens et fonctionnaires européens les plus têtus qui continuaient à traire la vache alors que celle-ci était couchée sur le flanc, gravement malade.            
   
          Mais je vous concède que le pays a hérité d'un lourd passé maintenant en ce qui concerne la libre circulation des gens sur le sol britannique. L'héritage thatchérien s'est muté en prédictions dignes du roman 1984 de George Orwell.  
  
L'Écu dans un premier temps 
  
          L'Écu fut, ne l'oublions pas, la première devise à caractère européen et frappée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.  
   
          L'Écu possédait quand même quelque chose de relativement noble bien qu'il eut été émis sous couvert gouvernemental: cette monnaie ne fut pas frappée d'obligation d'utilisation par les peuples d'Europe. C'est facilement compréhensible, le scénario de « l'hyperinflation engendrant une bête étatique » était encore trop frais dans les têtes pour se lancer dans de nouvelles expériences monétaires.  
   
          Mais l'idée et la monnaie furent lancées, histoire qu'elles fassent leur chemin, servant de symboles d'unité à l'occasion, et justifiant, si besoin est, l'embauche de quelques centaines de fonctionnaires en plus.  
   
          En 1971, après la suppression de la convertibilité du dollar en or, le Bénélux décide de laisser flotter conjointement le franc et le florin avec une marge de fluctuation réciproque de 1,5% de part et d'autre de leur parité. Mis en place en 1944, le système Bretton Woods est alors rétabli après une dévaluation du dollar. Et c'est en 1973 que ce système disparaît. Le serpent monétaire européen est détaché du dollar.  
   
          Ainsi rivalisant avec les autres devises européennes, l'Écu ne rencontra jamais un véritable engouement. Sorte de bizarrerie aux consonances médiévales et au nom maladroit, l'Écu ne manquait jamais d'attirer les regards de l'entourage lorsqu'une de ses pièces venait à surgir de l'un ou l'autre porte-monnaie. D'ailleurs, elles faisaient très souvent office de pièces de collection plutôt que de monnaie d'échange communément acceptée pour des services ou des produits.  
  
L'Euro prend les devants 
  
          1979: lancement du Système monétaire européen (SME). 1992: adoption du traité de Maastricht, qui établit le calendrier et les modalités de l'Union économique et monétaire (UEM). 1999: fixation des taux de conversion entre les monnaies des pays de l'Euroland. 2002: entrée officielle des pièces et billets européens et surtout obligation de les employer.  
   
          Voilà le genre de notes coercitives ahurissantes qui peuplaient les articles de journaux depuis la décision des superfonctionnaires européens, dont les chefs d'État, d'imposer la monnaie unique.  
   
          Beaucoup de gens de mon entourage sont surpris lorsque je leur apprends que toutes les différentes monnaies ne sont frappées sous couvert et suivi gouvernementaux que depuis très peu de temps par rapport aux premières apparitions de pièces et « titres » émis par les banquiers et faisant office de billets. Ces derniers étaient jugés recevables ou non selon la crédibilité et la confiance que le receveur leur accordait. Aussi les appelait-on des valeurs fiduciaires, parce que basées sur la confiance. Ces « billets doux » de banquiers n'eurent jamais à s'imposer par la force d'un gouvernement central. Ils le firent naturellement, en toute liberté.                           
   
          Chose amusante: lorsqu'on me fait remarquer que la contrefaçon devait être monnaie courante et qu'il fallait être complètement fou d'accepter un tel billet d'un banquier qui risquait de se révéler un escroc, je ne manque pas de donner des exemples de pays et peuples qui furent ou sont encore extrêmement riches et puissants commercialement grâce à la notion de confiance qui était ou est largement répandue entre ses membres. Plus la confiance est grande, plus diversifiés sont les modes de paiement et plus éloignés les uns des autres peuvent être les gens qui commercent.  
  
          L'école autrichienne enseigne que l'économie repose sur l'échange d'informations. En ayant à l'esprit toutes les magouilles, copinages, détournements et dépenses inconsidérées qui pullulent déjà dans les institutions européennes, l'on est en droit d'afficher un regard méfiant sur le contenu des informations formelles et informelles qui filtreront hors de celles-ci. Et surtout, pour peu que les ondes, circuits électroniques et transactions bancaires soient de plus en plus surveillés, je frissonne à l'idée de voir arriver ce soi-disant « libre arbitre » aux allures teutonnes qu'est la BCE suite à l'élection du chancelier Gerhard Schroeder, champion de l'option politique facile, à savoir le retour au keynésianisme. 
 
 
 
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