Montréal, le 23 janvier 1999
Numéro 29
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.     
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
 
ALTERNATIVE UNIE:
LE PRÉTENDANT REJETÉ
  
par Martin Masse
 
  
          En lançant son projet d'Alternative unie (AU) l'été dernier, Preston Manning avait au moins le mérite de reconnaître une évidence: dans l'état actuel des choses, le Parti réformiste n'a aucune chance de percer à l'est de la frontière Manitoba/Ontario et de ravir le pouvoir aux libéraux. L'incapacité du parti à se départir de son image de mouvement de protestation westerner, la division du vote de droite entre réformistes et conservateurs et la polarisation du débat au Québec entre fédéralistes libéraux et séparatistes bloquistes empêchent la création d'un grand parti national qui pourrait trouver appui dans toutes les régions du pays.  
  
          En théorie donc, lancer une initiative pour briser cette impasse est valable et nécessaire. En pratique toutefois, au train où vont les choses, la droite canadienne ne sera pas plus unie au lendemain du congrès qui doit se tenir à Ottawa en février. Preston Manning est en effet conscient qu'il y a un problème et est prêt à faire de nombreux compromis pour arriver à une solution, mais il refuse toujours d'admettre l'un des aspects les plus cruciaux du problème: lui-même, son ignorance et sa peur du fait français et du Québec, de même que celles de son entourage et des hautes sphères de son parti. Le projet d'Alternative unie ne s'en va nulle part, et toutes les contorsions politiques des dernières semaines pour le garder à flot ne visent qu'à contourner ce déni de la réalité. 
  
Fiançailles ratées 
  
          Au départ, la stratégie la plus logique et évidente a toujours été une sorte de fusion entre les éléments du Parti réformiste et ceux du Parti progressiste-conservateur, soit par la disparition de l'un des deux, par leur fusion ou par la création d'un nouveau parti. Ces stratégies font partie des scénarios envisagés par les organisateurs du congrès de l'AU et seront discutés à Ottawa. Mais malgré la participation de quelques éminents conservateurs à ce congrès, on peut déjà conclure que cette voie est sans issue. Le nouveau (et ancien) chef du PC, Joe Clark, ne veut tout simplement rien savoir d'une fusion ou de tout type de collaboration entre son parti et celui de Manning. L'animosité personnelle entre les militants des deux partis est trop grande, leur vision du pays (notamment au chapitre de la place du Québec) est trop différente, pour qu'une fusion amicale puisse avoir lieu.
 
 
          Qui plus est, il faut se demander si, d'un point de vue idéologique conservateur/libertarien, une telle fusion serait bénéfique. Le PC a toujours été et est encore plus aujourd'hui « progressiste », c'est-à-dire gauchiste social-démocrate, que « conservateur ». Joe Clark a toujours été un éminent représentant de l'aile Red Tory du parti. Aux dernières élections, les députés PC élus en Atlantique – qui dominent maintenant le caucus – ont carrément fait campagne à gauche des libéraux, s'inscrivant tout à fait dans la tradition régionale de dépendance et de quêtage de subventions et de prestations d'assurance-chômage. Les quelques députés du Québec (y compris Jean Charest avant son passage au provincial) ne sont pas plus conservateurs, philosophiquement, que je ne suis communiste.  
  
          Le gouvernement de Brian Mulroney, malgré toute la rhétorique qu'on a pu nous servir à l'époque et qui continue d'obscurcir son héritage encore aujourd'hui, n'a rien fait pour réduire le rôle de l'État. Ce gouvernement nous a laissé, lors de sa dernière année au pouvoir, le déficit le plus élevé de l'histoire canadienne, à 42 milliards $. Un chiffre qui clôt le débat. Et le PC d'aujourd'hui, qui a perdu l'aile véritablement conservatrice qu'il abritait à l'époque au profit du PR, aurait en fait intérêt à se repositionner comme parti de gauche pour mettre fin à la confusion. Si, comme une nouvelle brève du QL le mentionnait dans le dernier numéro, la cheffe du NPD Alexa McDonough réussit à tirer son parti un peu plus vers le centre, les néo-démocrates vont finir par rejoindre les progressistes-conservateurs quelque part sur l'échiquier politique. La véritable alternative pour le PC de Joe Clark n'est pas de fusionner avec le PR, mais bien de former un nouveau parti social-démocrate (le Parti progressiste démocratique?) à gauche des libéraux. 
  
Mauvaises fréquentations 
  
          Les stratèges du Parti réformiste savent sûrement que rien ne débouchera du côté des conservateurs et c'est pourquoi un autre scénario de désespoir a été mis sur la table par les organisateurs de l'AU il y a quelques semaines, celui de la création d'un « parti confédéral ». Question de diluer la sauce un peu plus, il s'agirait de créer une sorte de coalition de plusieurs organisations politiques, chacune ayant son leader régional, sous la direction nationale de Preston Manning. Le Parti réformiste représenterait l'Ouest, les conservateurs garderaient l'Atlantique, un groupe incluant des représentants des deux partis se partagerait l'Ontario, et on inviterait le Bloc québécois à se joindre à cette coalition pour donner une voix au Québec. 
  
          Il suffit d'avoir un peu d'expérience dans l'organisation politique pour savoir qu'une telle structure dégénérerait vite dans l'anarchie la plus totale. C'est déjà un exploit de coordonner les diverses ailes d'un parti relativement uni dans un pays aussi grand et diversifié que le Canada, un mutant politique sur ce modèle confédéral n'aurait aucune chance de s'entendre sur autre chose que de grands principes abstraits, et encore. Mais là ne réside pas seulement l'absurdité du concept. C'est surtout l'idée d'intégrer le Bloc dans cette entreprise qui relève de la pure folie.  
  
          Preston Manning a toujours refusé de peaufiner sa connaissance du français et de s'adresser directement aux francophones pour leur vendre sa conception du pays. Lorsque j'étais moi-même dans l'organisation du parti et que je l'encourageais à le faire à chacune de nos rencontres, son excuse répétée était que « ce sont des Québécois qui vont vendre le Parti réformiste aux Québécois ». Une excuse qui semble respectueuse de la « distinction » québécoise au premier abord, mais qui ne cache en réalité qu'un manque d'intérêt et une peur d'avoir l'air fou en parlant français et en se lançant dans l'arène politique québécoise. M. Manning a cru pouvoir compenser son absence en courtisant des nationalistes favorables à une décentralisation des pouvoirs, comme le propose le programme réformiste. Cette stratégie n'a donné aucun résultat concret jusqu'ici (voir LE PARTI RÉFORMISTE VS LE QUÉBEC, QL no 13).  
  
          Il faut voir qui tente de jouer les entremetteurs en vendant le concept d'Alternative unie au Québec pour constater à quel point la stratégie réformiste est en dehors de la track. M. Manning a recruté Rodrigue Biron, ex-chef de l'Union nationale dans les années 1970 et ex-ministre péquiste plus tard, pour faire partie du comité organisateur de l'AU. M. Biron se dit toujours séparatiste, mais ouvert à la vision décentralisatrice du Parti réformiste. Sur le plan idéologique, c'est un étatiste social-démocrate qui ne partage d'aucune façon la vision conservatrice/libertarienne défendue par les réformistes. Un correspondant de Colombie-Britannique qui est allé à une réunion où l'on paradait M. Biron pour faire croire que le projet de l'AU fait une percée au Québec m'a expliqué qu'il en est ressorti très déçu. Pendant la rencontre, celui-ci n'aurait eu que les mots « nous, Québécois », « nos revendications », etc., à la bouche, et semblait n'avoir aucune vision de l'intérêt pour les Canadiens en général dans cette entreprise. Comment Preston Manning peut-il croire qu'un séparatiste gauchiste comme Rodrigue Biron arrivera à convaincre qui que ce soit, à l'intérieur comme à l'extérieur du Québec, de la nécessité de créer un parti national de droite? Ce n'est de toute évidence pas la logique qui inspire ce phénomène. 
  
Mariage arrangé 
  
          L'autre principal promoteur de l'Alternative unie au Québec est, étrangement, un conseiller du chef bloquiste Gilles Duceppe. Sans donner d'appui explicite au projet de parti confédéral, Éric Duhaime en a fait l'éloge dans des termes qui laissaient entendre qu'une porte était peut-être ouverte au Bloc. Selon lui, il pourrait « être attrayant pour à peu près 80% des Québécois ». Il resterait du chemin à faire avant que le Bloc ne considère sérieusement une offre d'en faire partie, mais « de tous les scénarios qui ont été proposés, c'est celui qui a clairement les meilleures chances d'attirer les Québécois » 
  
          Le Bloc serait-il sur le point de prendre un autre « beau risque » en faveur du fédéralisme, maintenant que la perspective d'un nouveau référendum s'est éloignée un peu plus depuis l'élection provinciale? Eh bien non. À peine quelques jours après ces déclarations, Gilles Duceppe a mis fin aux spéculations en disant Non merci: « C'est une fantaisie, il n'est absolument pas question de faire alliance avec qui que ce soit ». Dans un article d'opinion à La Presse, des députés influents du Bloc ont subtilement critiqué le conseiller de leur chef: « Les leçons tirées de l'échec du “beau risque” semblent totalement échapper aux promoteurs d'une participation des souverainistes à l'Alternative unie ». 
  
          Pourquoi alors ces spéculations? Comme un journaliste du National Post l'a révélé quelques jours plus tard, M. Duhaime n'est pas un bloquiste comme les autres. Il fait partie de cette espèce encore rare au Québec (mais qui grandit en nombre grâce au QL!), les libertariens. C'est d'ailleurs un ami de plusieurs collaborateurs du QL. Qu'est-ce qu'un libertarien ouvert à la création d'un parti national de droite peut bien faire comme porte-parole d'un parti séparatiste de gauche? Encore une fois, la logique n'a souvent pas grand-chose à y voir dans l'organisation des partis politiques. Mais si, comme le journaliste du Post se le demandait, M. Manning se fie sur quelqu'un comme Éric Duhaime pour prendre le pouls de l'opinion nationaliste au Québec, il risque d'être gravement induit en erreur. À part M. Biron, dont il vaut mieux ne pas tenter de comprendre les motivations profondes, les nationalo-gauchistes du Québec n'ont aucun intérêt à participer à un projet comme celui de l'Alternative unie, et toutes ces manoeuvres bizarres ne survivront sans doute pas au congrès de février. 
  
Célibataire endurci 
  
          On se retrouve donc à la case départ. Comme il y a cinq ans, lorsqu'il a ouvert son bureau au Québec, le Parti réformiste n'a pas 56 stratégies à suivre pour augmenter ses chances de prendre le pouvoir: il doit devenir un véritable parti national avec un chef bilingue et prêt à accorder son attention à toutes les régions du pays. L'Ontario et l'Atlantique ne feront jamais confiance à un leader fédéral qui semble considérer le Québec comme un pays étranger, et c'est d'abord en gagnant un minimum de reconnaissance ici qu'un chef réformiste pourra augmenter ses appuis ailleurs dans l'est. Au lieu de perdre son temps avec les nationalistes et les gauchistes au Québec, le Parti réformiste devrait courtiser le même type d'électeurs qui l'appuient ailleurs au pays: des fédéralistes conservateurs/libertariens qui souhaitent une décentralisation de la fédération. Cela n'a tout simplement jamais été tenté. 
  
          Preston Manning n'a jamais voulu et ne veut toujours pas jouer ce rôle de chef national, mais les combines politiques comme celle de créer un parti confédéral ne pallieront pas à cette absence. La meilleure façon pour lui de contribuer à la création d'un grand parti national de droite reste la même: laisser son poste à quelqu'un d'autre.  
  
  
 
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L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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