Montréal, le 20 février 1999
Numéro 31
 
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LEMIEUX EN LIBERTÉ
 
SCÉNARIOS
POUR CE QU'ILS
APPELLENT UNE LOI
  
par Pierre Lemieux
   
   
          Il suffit d'aller faire un tour chez un armurier – qui se trouve souvent à côté du comptoir des agrès de pêche, de la quincaillerie ou des casseroles – pour sentir que la révolte gronde. La « loi » C-68, troisième contrôle majeur des armes à feu depuis 25 ans, est entrée en vigueur le 1er décembre, et les propriétaires d'armes en découvrent les premières implications liberticides.
 
 
          La loi C-51, adoptée en 1977, a fortement resserré les contrôles des armes de poing, introduit l'Autorisation d'acquisition d'armes à feu (AAAF) pour les armes longues, et supprimé la protection de la propriété comme raison légalement valide de posséder une arme (une arme de poing, en tout cas). Le poivre de Cayenne a été interdit pour la légitime défense l'année suivante. La loi C-17 de 1991 a supprimé la protection de la vie comme raison de posséder une arme, interdit le port d'armes même chez soi, transformé des objets inanimés comme des chargeurs de plus de cinq ou dix cartouches en crimes passibles de 10 ans de prison, et a rendu tellement complexe et humiliant le processus d'obtention d'une AAAF que le nombre de demandes annuelles a diminué de 75% au Canada. 
  
C-68: la dernière infamie 
  
          Puis, goutte de tyrannie qui fait déborder le vase de la résignation, la loi C-68, adoptée en 1997, a rendu la possession d'une arme encore plus compliquée et légalement risquée. L'enregistrement obligatoire de toute arme longue (qui prend présentement plusieurs jours) s'ajoute à l'exigence d'une autorisation d'acquisition. Le processus d'obtention de cette dernière devient encore plus lourd et coûteux en temps et en dignité. Tout propriétaire d'armes légales, mêmes d'armes de chasse, devra prévenir la police quand il change d'adresse, comme c'était déjà le cas pour les détenteurs d'armes de poing. Et ce, sans compter les nouvelles réglementations et prohibitions qui s'annoncent sous le couvert de cette prétendue loi. 
  
          Déjà, nombre de transactions d'armes se font sous la table: « As-tu un vieux douze de trop? » Une nouvelle flopée d'honnêtes gens sont en voie de criminalisation. Les points de rencontre des chasseurs deviennent des lieux de haute sédition. 
  
          L'objectif du « législateur » (flectamus genua) en 77 était de nous protéger des criminels. En 91, l'autorité politico-bureaucratique prétendit nous protéger contre nous-mêmes, nous ayant persuadés que toute personne est un meurtrier impulsif en puissance et un incapable permanent, et que l'État, meilleur ami de l'homme, est justifié de contrôler comment les gens rangent leurs armes dans leur chambre à coucher. Des centaines de milliers de foyers de campagne, qui appuient le vieux douze dans le garde-robe, sont devenus des repaires de criminels permanents, passibles de deux ans de prison. En 97, l'objectif était... eh! bien, on ne sait pas trop: sans doute, consciemment ou non, d'accroître les pouvoirs de la police, de rendre la population plus docile et d'écraser tout relent de culture marginale ou individualiste. 
  
          Alors qu'il y tout au plus (selon les estimations du gouvernement) 0,3% des armes en circulation qui, au cours d'une année donnée, servent à commettre des crimes au Canada, et que la majorité de ces armes est sans doute détenue illégalement, l'État s'attaque à tous les détenteurs légaux. La tyrannie administrative avance par où la résistance est la moins forte. 
  
          Les restrictions imposées à la possession et au transport des armes signifient, à terme, la destruction de la chasse et de la culture amérindienne. Elles impliquent la criminalisation d'un grand nombre d'activités campagnardes traditionnelles et d'une bonne partie du patrimoine culturel de l'Ouest canadien. Elles donneront le coup de grâce à ce qui restait de l'esprit de coureur des bois du Canadien-Français. Le moment n'est pas loin où le plaisir traditionnel d'aller tirer dans une sablière avec une arme longue (c'est déjà passible de deux ans de prison avec un revolver) s'accompagnera d'un gros risque légal. 
  
          La tyrannie ne peut arriver ici? Mais bon Dieu! regardez ce qui se passe autour de vous. 
  
Trois scénarios 
  
          On peut imaginer trois scénarios. Dans le scénario standard – le plus probable –, le nombre des honnêtes citoyens légalement habilités à posséder des armes à feu diminue d'année en année, jusqu'à se cantonner à une petite élite de chasseurs vieillissants. Deviennent criminels tous ceux qui n'ont pas enregistré des armes qu'ils possédaient avant 1978 (ou qu'ils ont acquises illégalement depuis), et ils se cachent comme des enfants pour chasser ou aller faire du tir en forêt. Régulièrement, l'État étend la catégorie des armes interdites, et vient les saisir auprès des pauvres naïfs qui les avaient enregistrées. Le bon peuple admire béatement les gros revolvers des flics qui sont, comme les vrais criminels, lourdement armés. Les jeunes ne se rappellent plus qu'avant 1977, dans ce pays, on achetait des armes chez Eaton ; ils compensent en se défoulant dans la violence télévisée et des émeutes occasionnelles. 
  
          Le deuxième scénario, que j'appelle « scénario catastrophique », représente seulement une catastrophe qui arrive plus vite. Un nombre croissant d'individus, auparavant pacifiques, en ont jusque là d'être opprimés dans leur culture: Amérindiens, rednecks de l'Ouest, descendants de coureurs des bois, excentriques ou individualistes marginaux. Ils sentent que le filet se resserre sur eux – qu'on ne peut plus, disons, aller à la chasse si on a fait un burnout qui interdit la possession d'une arme à feu. Un jour, l'un d'entre eux pète un fusible, prend la carabine qu'on menaçait de lui enlever et tire sur tout ce qui bouge ou (c'est quand même moins con) envoie quelques politiciens faire de l'oppression dans l'autre monde. Alors, la clameur publique monte, et les mineurs roumains sortent de tous les Concordia du pays. Après une loi passée à toute vapeur comme d'habitude, le gouvernement confisque toutes les armes enregistrées et – qui sait? – rétablit la peine de mort pour le crime de possession d'arme, comme le Maréchal Pétain. 
  
          Les individus sont de plus en plus dépendants de l'État. Et ils sont heureux! Ripert écrivait déjà: « L'homme vivant sous la servitude des lois prend sans s'en douter une âme d'esclave ». Quis custodiet ipsos custodes? Personne. Car qui craint un si bon maître? 
  
          On peut imaginer un scénario optimiste. Dans un grand geste de désobéissance civile, les détenteurs d'armes à feu refusent massivement de demander les autorisations requises avant l'échéance de 2002. Les marchés noirs fleurissent où l'on obtient des armes sans la permission du Prince. Des femmes commencent à porter illégalement des armes dans leur sac à main – du poivre de Cayenne, parfois même des armes à feu. Quand on réalise qu'une loi tyrannique a transformé 10% ou 20% des Canadiens en criminels pacifiques dans leur propre pays, même la majorité bien-pensante se rappelle du mot « liberté ». Au lieu de réprimer, la police laisse faire. Et plutôt que de sonner la fin de la liberté, 2002 marque l'écroulement du contrôle des armes au Canada. Les héritiers de la Magna Carta et du Bill of Rights et les descendants des coureurs des bois auraient cassé la tyrannie administrative moderne. 
  
          Espérons, pour le bien de nos enfants et de leurs descendants, que c'est le dernier scénario qui se réalisera. S'il nous reste quelque liberté au milieu du siècle qui vient, Louis Riel sera de la petite bière et on émettra un timbre en l'honneur des Canadiens qui auront résisté à l'œuvre d'abêtissement et d'oppression que la novlangue nommait « contrôle des armes à feu ». 
  
 
©Pierre Lemieux 1999 
 
 
 
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