Montréal, le 6 mars 1999
Numéro 32
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
 
FAUSSE ALARME
  
par Martin Masse
 
  
          Comme je l'expliquais dans un éditorial précédent sur le procès Clinton (voir QL no 31), la règle de droit n'est pas qu'un beau concept abstrait pour les philosophes et les amateurs d'arguties juridiques. C'est au contraire le fondement essentiel de la civilisation, ce qui nous différencie des sociétés primitives et barbares où le pouvoir échoit au plus fort, où l'arbitraire règne, où l'individu n'est rien d'autre qu'un pion au service du tyran ou du chef de clan.  
  
          Les utopistes de gauche et de droite et les interventionnistes de tout acabit pour qui les bonnes causes sont plus importantes que les droits des citoyens n'ont toutefois que faire de cette règle, qui leur met inévitablement des bâtons dans les roues. En effet, elle prescrit qu'il faut suivre un certain processus lorsqu'on veut apporter des changements à la loi, qu'il faut respecter la propriété privée, les droits des citoyens tels que définis dans les chartes, etc. Tout cela entraîne des délais et place parfois des embûches insurmontables sur le chemin vers la béatitude collective.  
  
          Pas surprenant donc, que les gouvernements, partis et groupes de pression interventionnistes n'aiment pas particulièrement ce concept de règle de droit et fassent tout pour le contourner. Comme tout ce bon monde est encore en théorie pour la démocratie, on ne s'y attaque toutefois pas directement mais on tente plutôt de susciter ou de profiter des occasions qui permettront de la contourner sans vraiment le faire, c'est-à-dire les situations de crise. En situation de crise, les raccourcis sont plus faciles à justifier, et plus faciles à faire avaler. 
  
Avale, St-François 
  
          Un beau cas d'espèce pour illustrer ce phénomène est celui de la construction de la ligne à haute tension Hertel-Des Cantons par Hydro-Québec, qui vient d'être bloquée par un jugement ayant déclaré illégaux les décrets adoptés par le gouvernement provincial pour l'autoriser. Ces décrets, adoptés en pleine crise du verglas il y a un an, avaient pour but de suspendre l'application de trois lois sur la qualité de l'environnement, l'aménagement et l'urbanisme et la protection du territoire agricole. Ils visaient carrément à court-circuiter le processus habituel de consultation de la population locale affectée (un processus que l'on peut évidemment critiquer pour d'autres raisons, mais ce n'est pas la place ici), à contourner tous les obstacles, et à littéralement bulldozer aussi bien les terrains que l'opposition pour la construction de la ligne. 
 
 
          Aidé par la situation de crise majeure qui avait cours, le gouvernement a pu adopter ces décrets sans trop de problèmes parce qu'il était, nous disait-on, urgent et essentiel d'assurer l'alimentation en électricité au cas où une autre catastrophe naturelle surviendrait. Quelques voix se sont bien élevées pour les dénoncer, mais la population traumatisée n'a pas trop rouspété, sauf les citoyens directement affectés du Val St-François. Sans leur détermination à aller jusqu'au bout pour obtenir justice malgré plusieurs revers devant les tribunaux, nous n'entendrions plus parler de l'affaire aujourd'hui. 
  
          Heureusement, tous les magistrats ne sont pas de piètres esprits qui ont oublié jusqu'au fondement philosophique de leur profession. La juge Jeannine M. Rousseau a statué que Québec avait outrepassé ses pouvoirs en promulguant les décrets et elle force le gouvernement ainsi qu'Hydro-Québec à refaire leurs devoirs. Selon Mme Rousseau, les autorités auraient pu procéder de multiples façons plus convenables pour faire avancer le projet et « de toute façon, les moyens choisis par le gouvernement pêchent contre une valeur fondamentale, celle de la règle de droit, plus importante que l'ire de ceux qui veulent construire ». Bref, la règle de droit est plus importante que les crises, plus importante que l'excitation du moment, plus importante que le délire ou la frayeur populaire, plus importante que l'empressement des gouvernements à oeuvrer pour le bien collectif. On pourrait même dire qu'elle est encore plus essentielle dans ces situations où il est facile de prendre de mauvaises décisions parce que l'on pare au plus pressé, sans se préoccuper des conséquences à long terme.     
  
De l'utilité des crises 
  
          Les crises font en sorte de créer une hystérie générale qui empêche de considérer de façon rationnelle le pour et le contre des enjeux auxquels on fait face. C'est épouvantable! Il est urgent d'agir! Ça ne doit plus jamais se reproduire! Il faut que le gouvernement intervienne! L'émotivité prend le dessus sur le débat raisonné et l'évaluation des faits.  
  
          Ainsi, depuis la tuerie de Polytechnique, il est pratiquement impossible de présenter des arguments contre un contrôle plus grand des armes à feu sans avoir l'air de justifier la violence, les massacres et l'attitude trigger-happy des cow-boys du Far West. Il y a pourtant des arguments solides pour appuyer l'idée qu'une société où les citoyens ont le droit de s'armer est une société plus sécuritaire, où la criminalité est plus basse et les droits à long terme sont mieux garantis. Une société où de telles tueries auraient d'ailleurs moins de chance de survenir. Mais ceux qui restent fixés sur les images d'horreur que l'on connaît et qui refusent de se questionner au-delà des conclusions hâtives du type fusil = violence ne veulent tout simplement pas les entendre. Et le gouvernement profite de ce sentiment d'indignation – et n'hésite pas d'ailleurs à l'amplifier, avec l'aide de groupes de pression qu'il subventionne – depuis des années pour légiférer de façon de plus en plus répressive contre les citoyens honnêtes qui possèdent des armes.  
  
          Les crises et les catastrophes ne tombent toutefois pas toujours du ciel de façon aussi appropriée pour aider toutes les bonnes causes. Les groupes de pression qui veulent faire bouger les choses en leur faveur – c'est-à-dire, qui veulent que le gouvernement passe de nouvelles lois qui limitent les droits et la liberté des citoyens au nom des soi-disant intérêts supérieurs de la collectivités – doivent donc créer de toute pièce cette atmosphère de crise qui justifiera et appuiera une intervention des politiciens. 
  
          Combien de fois en lisant le journal chaque matin ou en écoutant les nouvelles à la radio et à la télé entend-on que tel groupe « sonne l'alarme » sur telle situation « inquiétante » ou même « explosive » dans un domaine quelconque? Statistiques fumeuses à l'appui, on appelle à la conscientisation et à la mobilisation générale pour remédier à ces circonstances épouvantables ou à cette catastrophe en puissance. Dans une société libre où les mécanismes de marché fonctionnent, il y a (ou il y aurait, puisque notre société est loin d'être conforme à ce modèle) pourtant des tas de moyens pour solutionner ces problèmes, si chacun prenait ses responsabilités et agissait en privilégiant ses intérêts et en respectant ceux de ses concitoyens. Mais les groupes de pression et les partis interventionnistes ne se satisfont pas des solutions qui prennent du temps, des solutions qui ne sont pas mises en oeuvre de façon centralisée, ni imposées à tous de façon uniforme. La seule solution qu'ils envisagent est celle d'une intervention de l'État. 
  
Catastrophe! Ça coûte moins cher! 

          Le Nouveau Parti démocratique réclamait par exemple il y a quelques jours « la tenue d'un sommet national pour tenter de trouver des solutions à la crise qui ébranle le secteur des matières premières ». Crise? La démarche du NPD se base sur un rapport publié récemment par la Banque mondiale qui prévoit que les prix des matières premières devraient demeurer faibles jusqu'en 2010 en raison d'une surproduction généralisée.  
  
          Il n'y a pourtant rien de bien nouveau dans cette histoire. Tout le monde profite de ces baisses de prix, à commencer par les consommateurs. Et les prix des matières premières, sous l'impulsion des nouvelles méthodes d'extraction, nouvelles technologies, la découvertes de produits de substitution, la découverte de nouvelles sources, baissent régulièrement de façon relative depuis 200 ans. Ce que le NPD ne dit pas, c'est que la même Banque mondiale explique que si l'on part d'un index de 100 pour l'année 1900, les prix des métaux ont baissé de 88%, ceux de la nourriture de 74%, celui du pétrole de 45%, ceux du coton, du caoutchouc et de la laine de 69%, etc. Le Canada, dont l'économie dépend trop des matières premières et n'est pas assez diversifiée selon les socialistes canadiens, vit-il donc dans une crise permanente depuis le début du siècle à cause de cette chute des prix? Évidemment que non. Les régions productrices, les compagnies, les communautés affectées par ces changements se sont adaptées, puisque c'est là l'une des vertus premières de l'économie de marché: sa flexibilité. 
  
          La leader des illettrés économiques néo-démocrates, Alexa McDonough, n'en réclame pas moins du gouvernement un « sommet réunissant tous les acteurs du secteur, entreprises, syndicats, experts et gouvernements », « la seule option pour trouver des solutions de rechange à la dépendance de l'économie canadienne envers les matières premières ». Pour les étatistes, tout est matière à crise, tout est matière à intervenir, à créer des sommets corporatistes, à nationaliser des secteurs économiques, à passer par-dessus la tête des citoyens pour décider de leur avenir, à réduire encore plus la liberté.  
  
          Il y a deux remparts contre cette constante érosion de la liberté: la règle de droit et une population informée qui ne se laisse pas manipuler. Dans le premier cas, les tribunaux – qui vivent ces temps-ci au Canada, ce n'est pas une coïncidence, une crise de légitimité importante – doivent faire leur travail. Dans le second, ce sont les médias qui doivent cesser d'amplifier chaque petite crise et de jouer le jeu des alarmistes. Le QL, qui célèbre cette semaine son premier anniversaire, continuera à désamorcer ces fausses alarmes.  
 
 
 
Articles précédents de Martin Masse

  
 
 
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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