Montréal,
le 6 mars 1999 |
Numéro
32
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LE MARCHÉ LIBRE
CORVÉE HABITATION:
UN MYTHE CORPORATISTE
par Pierre Desrochers
Dans leur acharnement à défendre le dernier bastion socialiste
d'Amérique, certains ténors péquistes invoquent immanquablement
Corvée-Habitation, un ensemble de mesures destinées à
relancer la construction domicilaire québécoise au début
des années 1980. Il n'y a toutefois jamais eu d'évaluation
le moindrement rigoureuse de ce programme. En fait, si l'on y regarde d'un
peu plus près, il n'y a vraiment pas de quoi se péter les
bretelles. |
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Aux origines de Corvée-Habitation
Comme les lecteurs plus âgés du Québécois
libre s'en souviennent peut-être, le président du Federal
Reserve Board américain Paul Volcker décida de terrasser
la poussée inflationniste des années 1970 en faisant grimper
les taux d'intérêt au-delà de 20% au début des
années 1980. Le secteur le plus durement touché par cette
médecine de cheval fut la construction résidentielle, où
près de la moitié des travailleurs québécois
perdirent leurs emplois. Devant l'ampleur de la crise, le gouvernement
Lévesque convoqua un sommet économique en avril 1982. Louis
Laberge, le président de la Fédération des travailleurs
du Québec, suggéra alors de relancer l'industrie de la construction
domiciliaire au moyen de « sacrifices » consentis
par tous les intervenants du domaine. L'idée reçut l'appui
enthousiaste des dirigeants du Mouvement Desjardins et du cabinet péquiste.
Guy Tardif, le ministre de l'Habitation et de la Protection du Consommateur
de l'époque, s'empressa dès lors d'en articuler les modalités.
On créa quelques mois plus tard la corporation Corvée-Habitation
avec un conseil d'administration composé des principaux «
partenaires socio-économiques ». On y
retrouvait ainsi 4 représentants du milieu syndical, 4 du milieu
des affaires, 4 du gouvernement du Québec, 3 des institutions financières,
2 du milieu municipal, 1 des corporations
et 1 représentant des consommateurs (qui s'avéra dans
les faits être un fonctionnaire de la ville
de Montréal). Cette corporation
accoucha rapidement d'un programme complexe qui durera jusqu'en
1985 où les partenaires (travailleurs, employeurs, municipalités,
gouvernement provincial et institutions financières)
feront des concessions afin que les consommateurs
québécois puissent bénéficier
d'un financement nettement inférieur à celui offert sur le
marché pour acheter des maisons
ou des condominiums neufs de moyenne gamme(1).
Les propagandistes du programme lui attribueront évidemment des
résultats impressionnants, comme
en témoignent les chiffres avancés dans le dernier
rapport annuel de la corporation Corvée-Habitation.
Résultats officiels du programme 1982-1986(2)
# Objectif initial de 50 000 logements
mis en chantier de juin 1982 à mars
1984
non seulement atteint mais dépassé
dès décembre 1983;
# Création de 55 900 emplois (personnes-années);
# Injection de 2,7 milliards $ dans l'économie
québécoise directement attribuable
au programme;
# Contribution des travailleurs, des employeurs
et du gouvernement du Québec
aux
avantages versés dans
le cadre du programme Corvée-Habitation:
145 millions $;
# Participation financière des municipalités:
50 millions $;
# Contribution des institutions financières:
3 millions $;
# Intervention financière globale des
partenaires: 198 millions $.
Ne se contenant plus, le président de la corporation écrira
même « qu'il
est des moments où la modestie n'a pas sa place. La conclusion
de la grande et merveilleuse aventure de Corvée-Habitation
est un de ceux-là »(3).
La réalité est toutefois moins grandiose, comme un examen
superficiel de ces chiffres le révèle
rapidement.
Corvée-Habitation, un estimé
plus réaliste
On note dans le rapport final que l'intervention financière globale
des partenaires s'élève à
198 millions $ et que cela aurait contribué
directement à des investissement de 2,7
milliards $. Il s'agit évidemment
là d'un excercice de comptabilité créatrice qui attribue
directement au programme à peu près
toutes les mises en chantier de moins
de 60 000$ entre 1982 et 1985. Il aurait donc suffit, selon
la logique des propagandistes du programme,
que l'on offre 1 $ de subvention
aux consommateurs pour que ceux-ci en sortent immédiatement
14 $ de leur poche...
Il est évidemment impossible de contester les chiffres délirants
des administrateurs du programme, mais
on peut cependant regarder de plus près
les véritables « sacrifices » consentis
par les partenaires. Le dernier rapport
annuel nous apprend donc que les sommes directement investies
dans ce programme s'éleveront à 198 millions $.
Les municipalités y auront contribué
pour plus du quart (50 millions $), les
institutions financières pour un peu plus de 1,5% (3 millions
$) et les « travailleurs,
employeurs et gouvernement québécois »
pour un peu plus de 73% (145
millions $). Or selon les modalités du programme,
les travailleurs et les employeurs de la construction devaient
contribuer chacun à raison de 20% à ce dernier poste
budgétaire, tandis que le gouvernement
provincial ramassait le reste de la
facture (60%). Le gouvernement provincial assume de plus les
frais de gestion tout en octroyant des avantages
fiscaux pour plusieurs années
aux détenteurs d'un régime enregistré d'épargne-logement.
Une note de bas de page du rapport annuel de 1985 nous
apprend également que les ministères des Affaires municipales,
des Finances, du Revenu, la Régie
des entreprises de la construction, et al ont également contribué
à la gestion et la diffusion
du programme, bien que l'on ne précise pas les montants
en jeu. Les payeurs de taxes québécois ont donc, par
l'intermédiaire des décisions de
leurs élus provinciaux et municipaux, contribué
plus de 70% des sommes investis dans le programme (138,6
millions $).
Une fois que l'on a établi que l'ensemble des contribuables
a été obligé de contribuer à l'amélioration
du bien-être d'une poignée
de travailleurs et de consommateurs, on peut légitimement
se demander si cet argent a été bien investi.
Les véritables retombées de
Corvée-Habitation
Selon les données officielles, l'impact de Corvée-Habitation
aurait été particulièrement
élevé de 1982 à 1985. Or ce que les données
de la Société canadienne
d'hypothèque et de logement révéleront par la
suite, c'est qu'à partir de 1987 le nombre
des nouvelles mises en chantier s'effondrera
au Québec tandis qu'il augmentera considérablement
dans certaines régions du Canada(4).
On se retrouvera donc au début
des années 1990 avec une situation similaire dans l'ensemble
de l'économie canadienne en terme de mise en chantier
depuis le début des années 1980,
sauf que les contribuables québécois se
seront au passage fait soutirer près de 150 millions
de dollars.
Un autre problème est que l'économie québécoise
ne sera jamais aussi créatrice
de richesses que le sud de l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique
où l'on procédera à de nouvelles mises en
chantier répondant à une demande
réelle. Au Québec, la demande artificielle
de constructions neuves aura un impact particulièrement
négatif sur l'abandon et la détérioration
du stock de logements existants. On
établira d'ailleurs des records d'inoccupation à
Montréal au début des années
1990(5), car un programme comme
Corvée-Habitation se trouve dans les faits
à taxer davantage les propriétaires
de logements pour ensuite offrir des bungalows ou des condominiums
à rabais à leurs locataires. Une telle mesure se défend
sans doute si l'on souhaite appauvrir les gens
ayant investi leurs économies
dans des immeubles locatifs. Un programme comme Corvée-Habitation
contribue cependant de façon majeure à l'étalement
urbain, ce qui entraîne des coûts
supplémentaires pour toute la société
pour la construction de nouvelles infrastructures (routes, écoles,
égoûts, hôpitaux, etc.).
En fait, le véritable problème d'un programme comme Corvée-Habitation,
c'est qu'il canalise l'épargne et les efforts
des Québécois vers de mauvais
débouchés. Au lieu d'investir dans l'achat d'équipements
plus performants, l'innovation et la
création de nouveaux produits et de nouvelles
entreprises, on déploie plutôt nos efforts à soutenir
artificiellement des industries peu novatrices
et à déplacer des populations.
La croissance urbaine n'est pas nécessairement un mal si
elle répond à un véritable
développement économique. Elle devient toutefois improductive
lorsqu'elle ne consiste qu'à fermer des écoles
à Laval pour en ouvrir de nouvelles à Saint-Janvier.
La plupart des intervenants économiques québécois
ont longtemps crû que «
lorsque la construction va, tout va ». En réalité,
lorsque le reste de l'économie est en pleine croissance, la
construction suit.
1. Les modalités détaillées
du programme sont disponibles dans les rapports annuels
de la Corporation
Corvée-Habitation publiés entre 1983 et 1986. >>
2. Rapport annuel de 1986, p.
31. >>
3. Rapport annuel de 1985, p.
6. >>
4. La Presse, 3 décembre
1993. >>
5. Idem. >>
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