Montréal, le 15 mai 1999
Numéro 37
 
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COURRIER DES LECTEURS
  
MANQUEZ-VOUS D'AIR?
  
   
          Il est certain que Pierre Desrochers ne manque pas d'air avec ses convictions taillées dans le granit! (cf. LES BOLCHÉVIKS DE L'ENVIRONNEMENT, le QL no 36). La réfutation de Malthus est certes facile mais il se garde bien de citer Marx parmi les principales réfutations du malthusianisme (voir ma FAQ sur la surpopulation). 
  
          Le raisonnement sur les mécanismes de marché sensés répondre à l'épuisement des ressources naturelles n'est pas complètement faux (pour l'énergie notamment) mais sa conclusion devrait être qu'on ne manquera jamais d'air à condition de le payer et de plus en plus cher. L'idéologie du marché s'apparente à une psychose impliquant que l'ensemble de nos conditions vitales soient réduites à la marchandisation et, surtout, niant explicitement l'existence de la limite. La philosophie a démontré depuis longtemps que notre monde est celui de la finitude, de même que la théorie des catastrophes a modélisé ces effets de seuil. Il y a toujours eu des naïfs excités s'imaginant que la Bourse pouvait monter éternellement (10 ans c'est l'éternité pour certains...). 
  
          Il n'y a donc aucune chance de guérir cette folie qui est largement sociale, il faut attendre hélas que la dure réalité ramène ce dogmatisme satisfait à plus d'humilité devant les catastrophes qu'il va systématiquement provoquer. On ne peut que désespérer devant cet optimisme béat car nous éprouvons déjà une raréfaction de l'air respirable, et l'eau nous coûte déjà trop cher, au goût de plastique ou de javel. Il y a déjà quelques temps que les catastrophes écologiques se multiplient. L'écologie n'est pas née de théories fumeuses ou de peurs irrationnelles mais de problèmes réels de dégradation de l'environnement, du côté négatif de la production, et de catastrophes effectives. Mais il y a des gens heureux, ne les troublons pas avec nos petites misères ! 
 
          Les fanatiques du marché croient qu'on doit accepter tout le marché (progrès et pollutions) ou bien qu'on doit tout refuser, toute technique, et sombrer dans le totalitarisme le plus absolu. L'intelligence est plutôt d'utiliser les mécanismes de marché mais en optimisant ses bénéfices pour l'ensemble de la société, préservant les ressources collectives et améliorant la qualité de la vie de tous. L'humanité n'est pas seulement une foule aveugle soumise aux dieux de la nature ou du marché, elle a conscience d'elle-même et de son devenir collectif qu'elle doit orienter mais sans pouvoir se priver de l'autonomie et de l'intelligence de chacun de ses membres (il y a toujours à améliorer de ce côté). Bien sûr il n'y a qu'en ne faisant rien (laisser faire) qu'on peut croire ne pas prendre le risque de se tromper. C'est pourtant une erreur! Le totalitarisme aujourd'hui est bien celui des marchés avec son idéologie libérale de la concurrence mondialisée au service de monopoles planétaires. Mais l'histoire n'est pas finie... 
 
 
Jean Zin
France
  
  
  
 
 
L'ENTREPRISE DE L'AVENIR
SERA-T-ELLE « CITOYENNE »?
  
  
          Qu'est-ce qui change dans les entreprises? (...) Il y a cette notion de l'entreprise citoyenne, pas encore tout à fait stable, mais qui évolue malgré les objectifs très souvent divergents des actionnaires et la grande résistance des gestionnaires.  
 
          Qu'est-ce que qu'une « entreprise citoyenne »? C'est une entreprise pour laquelle l'utilité sociale compte. 
 
          C'est même de plus en plus un argument de vente. Selon Vincent Rea, « Pour la théorie économique classique, l'entreprise n'a qu'un but: produire au plus bas coût, à partir de matières premières ou de produits semi-finis (inputs), des marchandises (outputs), qu'elle doit vendre à meilleur prix. Socialement, c'est donc une boîte noire, dont le seul souci est la rentabilité. Qu'importe l'utilité de ce qu'elle produit et la morale de son activité. » (« Entreprises: Comment le pouvoir évolue-t-il? », Ça m'intéresse, septembre 1998) 
 
          Aujourd'hui, par contre, on passe un cran: « La montée des préoccupations écologistes et la conscience qu'en économie tout se tient, font que l'entreprise doit, de plus en plus, se justifier face à son environnement. » Et face à la société au sens large du terme.  
 
          Cet accent social se traduit de plusieurs façons: il y a les firmes fortement externalisées qui sous-traitent leur production dans le tiers-monde (Nike, par exemple) et qui ont été amenées à se dissocier du travail des enfants, par suite de pressions qui ont été faites sur ces entreprises qui n'étaient pas suffisamment citoyennes. « Patagonia met l'accent sur le caractère écolo de ses vêtements, en coton biologique ou en fibres issues de bouteilles plastiques recyclées, lit-on dans l'article. Et d'autres vont plus loin encore. Ainsi, la marque américaine de crème glacée Ben & Jerry's, qui est une aventure que je suis avec beaucoup d'intérêt depuis plusieurs années, achète son lait 20% plus cher que le prix du marché à des fermes non industrielles respectant l'environnement et certaines de ses matières premières à des entreprises employant des jeunes en réinsertion. Un engagement civique payant: Ben & Jerry's est devenue la firme numéro un sur le marché américain. » En effet, les clients apprécient et il semble qu'ils sont même prêts à payer un peu plus cher un produit à message écologique ou éthique. 
 
          L'entreprise du 21e siècle, si elle n'obéit pas obligatoirement aux diktats des gestionnaires, deviendra de plus en plus citoyenne, dit-on « ou elle ne sera pas » 
  
  
Jean Lusignan
Sutton, Qc
  
Réponse de Martin Masse: 
  
Monsieur Lusignan, 
  
    Je ne suis pas certain que ce concept de « l'entreprise citoyenne » constitue un phénomène 
économique aussi nouveau que vous le prétendez.  
  
    Vous écrivez que « pour la théorie économique classique, l'entreprise n'a qu'un but: produire 
au plus bas coût des marchandises qu'elle doit vendre à meilleur prix. Socialement, c'est donc 
une boîte noire, dont le seul souci est la rentabilité. » En fait, les entreprises que vous décrivez 
correspondent aussi à ce modèle, même si le produit qu'elles offrent est différent d'un produit 
sans contenu « éthique » évident. Ben & Jerry's, pour fabriquer sa crème glacée « écolo et éthique », 
achète le lait au plus bas prix qui correspond à sa définition de lait « écologique ». Ce lait écologique 
coûte peut-être 20% plus cher que le lait industriel sur le marché, mais cela n'est pas pertinent, 
puisque B&J ne veut pas acheter de lait industriel. Il s'agit d'un autre marché. Je suis certain que 
ses gestionnaires ne font pas exprès pour acheter le lait écologique le plus cher parmi les multiples 
producteurs de lait écologique, mais qu'ils achètent plutôt le moins cher. 
  
    Même chose pour le meilleur prix: B&J n'a aucun intérêt à vendre ses produits trop cher en regard 
de ce que les consommateurs sont prêts à payer. Éthique ou pas éthique, elle a aussi de la concurrence 
et doit vendre au meilleur prix. Sur le plan théorique, être prêt à payer un peu plus pour cette 
caractéristique est simplement l'équivalent de vouloir payer un peu plus pour une qualité supplémentaire, 
le prestige d'une marque, ou un meilleur service après-vente. Le client paie pour ce qu'il valorise, 
de son point de vue subjectif, et l'entreprise lui offre au meilleur coût possible. Quant à la rentabilité, 
quelle compagnie peut survivre à moins d'être rentable? 
  
    Vous écrivez que B&J est devenu la firme numéro un sur le marché américain. C'est donc qu'elle 
fonctionne comme une entreprise capitaliste typique: pour combler la demande de crème glacée « écolo » 
sur le marché, elle produit au plus bas coût, vend au meilleur prix, et a réussi à grossir et à être le plus 
rentable possible. S'il n'y avait pas de demande importante pour la crème glacée écolo (comme il n'y en avait 
pas il y a 30 ans) ou si elle était mal gérée, B&J n'existerait tout simplement pas ou ferait faillite, 
qu'elle soit une « entreprise citoyenne » ou pas.  
 
    Ce que dit la théorie économique libérale classique, c'est que toute entreprise doit suivre ce modèle 
de maximisation des profits pour réussir à combler le mieux possible la demande du marché, quel que soit 
le produit, écolo ou pas, éthique ou pas. Il n'y a aucun jugement de valeur dans la théorie en ce qui concerne 
les caractéristiques des produits, elle explique simplement quelle est la meilleure façon de maximiser 
l'utilisation des ressources de façon à combler les besoins de la population le plus efficacement possible. 
 
    D'un point de vue libertarien, l'important n'est donc pas de savoir quelles sont les caractéristiques 
des produits, mais comment un régime de libre entreprise est plus à même d'offrir une multitude 
de produits pour répondre à tous les goûts, écolo, éthique, non sexiste, religieux, gai, ou selon quelque 
critère qu'on voudra favoriser. Le coeur du problème est là: est-ce la libre entreprise selon le modèle libéral 
classique ou la réglementation coercitive par l'État qui peut le mieux procurer ce vaste choix? Nous croyons 
que c'est la première. À cause de leur obligation à maximiser leur rentabilité et leurs profits, les entreprises 
n'ont d'autres choix que de répondre à la demande du consommateur à mesure que celle-ci évolue. Ainsi, 
les préoccupations et désirs des consommateurs sont mieux servis si on laisse les entreprises libres 
de répondre à cette demande, au lieu d'imposer une réglementation bureaucratique pour les forcer à le faire.  
  
  


 
 
 L'ESCLAVAGE NÉOLIBÉRAL
  
  
          Je viens de lire le torchon merdique que vous nommez La Béquille d’Argent (NDLR: à l'Assemblée des évêques du Québec pour leur dénonciation de la publicité et de l'endettement des consommateurs, le QL no 36) et je ne peux faire autrement que de réagir. Si vous ne pouvez vous rendre compte que la révolution néolibérale triomphante est cause du pire des esclavages, la pauvreté, vous feriez mieux de retourner sur les bancs d’école en étudiant cette fois-ci. Je suis membre d’un groupe de défense des droits des consommateurs et je n’ai rien du maoïste en col romain ou sans col! Des gens peu instruits qui tirent le diable par la queue, il y en a. Des gens qui ont perdu leur travail à cause de la mondialisation et de l’automatisation sans pouvoir en retrouver un autre, il y en a. Des cons dans votre genre, il y en a aussi, hélas! 
  
          La liberté la plus absolue possible, je veux bien. À la condition de réfléchir avant de débiter trop d’âneries. 
  
          Il est bien certain que réfléchir est la première chose à faire avant d’acheter ci ou ça, mais est-il obligatoire de répéter sans cesse qu’il faut ce ci ou ce ça, ceci ou cela, pour être heureux? 
  
          Réfléchissez, si c’est possible! 
  
  
Robert Henri
Baie-Comeau, Qc
 
 
 
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