Montréal, le 29 mai 1999
Numéro 38
 
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OPINION
  
L'ÉNERGIE SEXUELLE MASCULINE ET LE DÉCROCHAGE
 
 par Yvan Petitclerc
   
   
           Qu'on se le dise encore une fois, Star Wars c'est comme les « guns » ou les jeux vidéos. Une affaire de gars. Mais Star Wars c'est surtout une affaire ludique, on dirait presque à la limite, de retour à l'enfance. Car c'est bien cette apparente régression ludique qui, dans toute cette affaire, frappe le plus. Ces gars dans la vingtaine trippant sur les bébelles Star Wars comme des petites filles sur leur Barbies. Savoureuse ironie quand on pense que ceux qui miment les combats avec leur épées jouets devant les salles de cinéma sont précisément de cette génération à qui tout petits, on interdisait cette même épée ou mitrailleuse en plastique sous prétexte de perpétuer les stéréotypes...  
 
 
          Devant cette évidence de la persistance de différences majeures entre les gars et les filles, dans le cas des jeux vidéos par exemple, (encore là, à une écrasante majorité, des garçons) on ne peut qu'éprouver une sorte d'exaspération devant l'évident tabou qui semble entourer encore aujourd'hui certaines questions. 
  
Pow! Pow! t'es mort... sinon, je joue plus 
  
          Ainsi, si quelqu'un dit par exemple que ce sont toujours des garcons qui commettent les actes les plus violents, on se retrouvera devant les mêmes deux réactions aussi prévisibles l'une que l'autre. D'un côté un discours féministe typiquement universitaire mettant au ban des accusés la culture de la masculinité. De l'autre quelques voix d'hommes timides rappelant sur le même ton cliché que ce ne sont pas tous les hommes qui commettent des actes de violence ou qui ont des toubles de comportements marqués. Ce qui nous amène ici à considérer un moment la question des décrocheurs. 
  
          Si elle est importante chez nous, cette question du décrochage scolaire des garçons a pris également une importance accrue chez nos voisins du Sud depuis un bon moment. Le magazine Harper's rapporte par exemple (juin 1999) que les femmes comptent maintenant pour 56% des étudiantes de collèges et universités, et qu'en 2007 elles obtiendront chaque année 200 000 diplômes de baccalauréat de plus que les hommes. 
  
          Or, première aux barricades sur cette question, on retrouve la féministe Camille Paglia. Hélas pour certains et certaines un peu trop trop frileux envers les idées qui dérangent, c'est ici une femme bien peu alignée sur l'orthodoxie féministe traditionnelle qui s'exprime. Entre autres sujets, l'école actuelle se voit une cible constante de ses constats décapants. Ainsi elle affirme que « l'énergie mentale qui est aujourd'hui dirigée de façon récréative vers l'internet ou les jeux vidéos violents par les adolescents (un des derniers lieux d'action masculine, aussi imaginaire soit-il) n'est clairement pas absorbée par l'école » 
  
          Elle en rajoute encore affirmant que le système de classe avec ses rangées de sièges et ses exigences de conformisme ne correspond absolument pas aux adolescents, à un moment où leurs hormones sont en pleine effervescence. Quant à la psychologie contemporaine, son bilan n'est guère mieux: « Du féminisme à la thérapie actuelle, la prémisse dominante est l'homme sensible aussi bavard qu'une femme centré sur ses sentiments banals. Toute forme d'affirmation masculine est définie comme une maladie contre laquelle la société doit être guérie ». 
  
          Mais c'est surtout par un rappel capital que Paglia nous interpelle. Suite aux évènements de Littleton et à certaines rumeurs concernant le fait que les deux meurtriers aient voulu répondre au harcèlement voulant qu'ils soient gais, elle notait: « J'ai déja émis la théorie qu'en grande partie l'homosexualité masculine ne commence pas à la naissance, mais dans un échec du male bounding dans les rejets précoces des garçons sensibles, d'abord par les pères et les frères, puis par le harcèlement de groupes dans les cours d'école. Cette blessure peut donner tantôt un Michel-Ange homoérotique, tantôt un maniaque meurtrier dépendamment des circonstances et du talent » 
  
Décrochage vs succès  
  
          Ce double aspect d'une même tendance, ou d'un même comportement, c'est ce que nous refusons obstinément de voir aujourd'hui. Ce qui fait que certains garçons décrochent est en effet la même raison que ce qui fait que d'autres parviennent au sommet. Encore aujourd'hui se vérifie ce fait indéniable. Il y a plus d'hommes que de femmes aux deux extrêmes de la société. Plus d'alcooliques, de drogués, de sans-abri, de meurtriers violents, de pédophiles, ou d'agresseurs sexuels chez les hommes. Mais en même temps plus de grands entrepreneurs, de réalisateurs de film, d'écrivains, ou de grands philosophes. Paglia a on ne plus plus raison: l'énergie sexuelle masculine est bel et bien le facteur énergisant de la culture. 

          D'un côté, aujourd'hui comme demain, des garçons décrocheurs qui remplissent les classes de mésadaptés et de raccrocheurs. De l'autre Bill Gates ou Paul Allen, n'ayant respectivement pas terminé leurs études aux universités de Harvard et de Washington State, mais ayant depuis fondé l'entreprise la plus célèbre du monde, Microsoft.  
  
          D'un côté un décrocheur de dix-neuf ans sombrant dans les drogues par-dessus la tête et ayant de la difficulté à articuler une phrase. De l'autre, Michael Dell ne terminant pas ses études à l'université du Texas, commençant au même âge à vendre des ordinateurs de sa chambre d'étudiant, et ayant aujourd'hui un butin personnel de 12 milliards $. Partout des exemples de ce genre se répètent. Ici, un gars qui se fait mettre à la porte de sa classe parce qu'il fait le clown. Là-bas, Jay Leno décrocheur scolaire remarqué plus tard par Hollywood et aujourd'hui multi-millionnaire grâce à ses talents de... clown. 
  
 
  
« Camille Paglia a on ne plus plus raison: 
L'énergie sexuelle masculine est bel et bien
le facteur énergisant de la culture. »
 
  
 
          Récemment la compagnie Lego lancait sur le marché un petit ensemble de fabrication de robots comportant certaines activités de programmation et s'adressant principalement aux enfants de neuf ans et plus. Or, il y a fort à parier que dans quelques années, ces mêmes garçons de neuf ans reproduiront encore une fois le pattern connu depuis des années. L'un « tripera » sur les bébelles technologiques au point d'abandonner ses études et végétera dans une incapacité à bien canaliser cet intérêt et ce talent. Ailleurs, un autre en tirera au contraire profit, pour devenir le prochain titan de Silicon Valley.  
  
          Continuer de refuser d'aborder la question du décrochage chez les garçons dans une perspective plus large a des répercussions bien au-delà de la simple question des diplômes. Cela implique de continuer à se fermer les yeux sur l'urgence de trouver des moyens de revaloriser le non-conformisme créateur, l'initiative personnelle hors cadre et l'apprentissage autodidacte. Par conséquent c'est également continuer à courir le risque grandissant d'une dévalorisation encore plus marquée des diplômes quels qu'ils soient. Nous avons déjà suffisamment d'exemples d'entrepreneurs décrocheurs ou de joueurs de football multi-millionnaires d'une part, et de sur-diplômés chômeurs dans le champ des sciences humaines, d'autre part.  
  
          Si le but de l'école est de nous aider à apprendre par nous-mêmes, cela signifie implicitement que cet apprentissage serait non seulement l'histoire d'une vie, mais qu'il serait de plus majoritairement autodidacte. Pourquoi a-t-on alors autant de problèmes à reconnaître ce type d'apprentissage aujourd'hui particulièrement dans certaintes disciplines?

 
 
 
 
 
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