Montréal, le 17 juillet 1999
Numéro 41
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
QUEL SALAIRE MÉRITENT
LES INFIRMIÈRES?
  
par Martin Masse
 
  
          Après trois semaines de grève illégale, les infirmières du Québec ont rejeté une entente de principe conclue pendant une trêve entre leur syndicat, la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ) et le gouvernement provincial. Au moment d'écrire ces lignes, des négociations ultimes sont en cours et on ne sait pas comment le conflit va se régler. Mais quoi qu'il arrive avec les infirmières, la crise dans la santé n'est, elle, pas près de se résorber.  
  
          Les infirmières ont-elles eu raison de défier la loi pour obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail? Les citoyens qui les appuient et qui subiront des hausses d'impôt pour financer des gains salariaux se font-ils berner? Les infirmières sont, on n'en doute pas, bien bonnes, bien dévouées, et sûrement surchargées de travail, mais qui n'a pas de bonnes raisons pour exiger une rémunération plus élevée? 
  
          On aura beau discuter ad vitam aeternam des qualités des infirmières, celles-ci travaillent dans le but d'offrir un services à des consommateurs de soins de santé. La seule façon de savoir ultimement le salaire qu'elles méritent, c'est de déterminer ce que les consommateurs sont prêts à payer pour les obtenir, comme pour n'importe quel autre produit ou service. 
  
          Mais dans le système actuel, où les conditions de travail dans tous les hôpitaux de la province et les salaires de toutes les infirmières sont négociées de façon centralisée, il est tout simplement impossible de répondre à ces questions. Il n'y a qu'un seul employeur et payeur, l'État, et à toutes fins pratiques un seul employé, les organisations syndicales. La détermination des salaires se fait donc non pas à partir d'une évaluation des besoins et des priorités des citoyens (comme un hôpital en concurrence avec d'autres hôpitaux pourraient plus facilement le faire), mais plutôt à la suite d'un rapport de force: jusqu'où les syndicats sont-ils prêts à aller dans leurs moyens de pression? Quelles autres priorités politiques le gouvernement devra-t-il sacrifier en cédant aux demandes de ses employés? Laquelle des deux parties réussira le mieux à manipuler l'opinion publique à son profit? 
 
 
Pénuries socialistes 
  
          Le système est ainsi fait qu'on ne peut sortir de cette dynamique de confrontation. La seule façon pour les employés de la santé d'améliorer leur sort est de faire pression sur le gouvernement, avec les coûts tragiques, pour le public comme pour eux-mêmes, qu'une grève comme celle des derniers jours peut entraîner. Ces rondes de négociation centralisée dans le secteur public, avec des contrats échus en même temps aux trois ans, qui mènent aux « fronts communs » et aux affrontements de façon presque aussi prévisible que le retour des hirondelles au printemps, constituent l'un des aspects les plus débilitants du « modèle québécois » étatiste et interventionniste. 
  
          Les infirmières ne sont d'ailleurs pas les seules à souffrir de cette gestion socialiste. À peu près toutes les professions du monde médical présentent les mêmes symptômes: pénurie d'effectifs, surmenage et démoralisation du personnel, manque d'équipement spécialisé, salaires inférieurs à ceux qui ont cours ailleurs en Amérique du Nord. Ces derniers mois, on a pu entendre les mêmes doléances de la part des ambulanciers, des urgentologues, des médecins en région, des pharmaciens en établissement, des rhumatologues, des radio-oncologues, etc.  
  
          Comme dans les pays communistes, où les citoyens devaient faire la queue pour acheter du pain dans les boulangeries d'État, ce sont les pénuries qui caractérisent inévitablement la gestion bureaucratique de la santé. L'envoi de patients cancéreux pour se faire traiter aux États-Unis, parce que les listes d'attente sont trop longues dans les hôpitaux d'ici, marque un tournant dans la lente et graduelle déliquescence du système de santé québécois depuis sa nationalisation il y a près de trente ans.  
  
Mieux planifier 
  
          Un gouvernement qui intervient partout finit nécessairement par frapper un mur sur le plan fiscal. Même si nos politiciens ont mis bien du temps à s'en rendre compte, et viennent à peine d'accepter la réalité des dettes et des déficits, il y a des limites à ce que l'État peut dépenser. Par définition, la gestion bureaucratique coûte plus cher et est moins efficace qu'une gestion fondée sur la discipline du marché. Le gouvernement a donc vu les coûts de la santé se gonfler au cours des ans et, pris de panique, a tenté de renverser la vapeur il y a deux ans avec la réforme du ministre Jean Rochon. On a coupé à gauche et à droite, envoyé des milliers de médecins et d'infirmières à la retraite anticipée et changé les procédures d'offre de soins pour les rendre plus « efficaces ». On voit le résultat aujourd'hui, c'est le désastre.
  
  
« Des bureaucrates placés dans une situation de crise ne peuvent rien faire d'autre que courir après leur queue comme des chiens excités, sans se rendre compte qu'ils ne l'attraperont jamais. »
 
 
          Du vérificateur général aux courriers des lecteurs en passant par les fédérations de médecins, on entend maintenant la même critique: « Le gouvernement a mal planifié la réforme! » Personne ne fait pourtant le bon diagnostic, qui est le suivant: un gouvernement ne peut, par sa nature même, bien planifier quelque système complexe que ce soit. Friedrich Hayek l'a magistralement démontré, aucune bureaucratie centralisée ne possède l'information nécessaire sur les besoins et désirs des individus, sur les compétences des producteurs, sur l'efficacité des différentes procédures, sur les prix futurs des multiples produits et services, sur les changements technologiques potentiels, bref, sur tous les aspects d'un marché, pour planifier le développement de tout un secteur économique.  
  
          Mais il serait illusoire de demander à notre élite actuelle de considérer une véritable réforme du système de santé, ce qui impliquerait des privatisations et une décentralisation radicale. Des bureaucrates placés dans une situation de crise ne peuvent rien faire d'autre que courir après leur queue comme des chiens excités, sans se rendre compte qu'ils ne l'attraperont jamais.  
  
Un « plaster » sur une jambe cassée 
  
          La Conférence des régies régionales de la santé a ainsi proposé récemment, pour régler le problème de l'encombrement des urgences et de la pénuries de médecins spécialistes, de créer des « niveaux de priorité » parmi les différents secteurs du réseau de la santé. Par exemple, au lieu de payer tous les médecins de la même façon à l'acte, ceux qui travaillent dans des secteurs cruciaux comme les urgences ou la radio-oncologie seraient mieux rémunérés. Mais qui va déterminer ces secteurs prioritaires? Comment saura-t-on ce qui est prioritaire dans une région et ne l'est pas dans une autre? Comment les priorités pourront-elles changer de façon à suivre une situation médicale en constante évolution? Dans un système de marché libre, ce sont les prix à la hausse ou à la baisse qui permettent de réguler ces changements. Mais dans un système étatisé, ce seront encore des bureaucrates en possession d'information limitée qui tenteront de planifier un système trop complexe pour être appréhendé de cette façon simpliste et centralisée.  
  
          Il a aurait déjà plus de 80 bureaucrates à Québec qui s'occupent exclusivement de gérer les multiples conventions collectives et modes de rémunération dans le secteur de la santé. Cette proposition des régies ne ferait qu'ajouter à la complication du processus, sans modifier le problème de fond, qui reste l'impossibilité de gérer un système économique complexe sans avoir recours aux mécanismes de marché. Pendant ce temps, le gouvernement continue à contingenter l'accès aux facultés de médecine et croit pouvoir déterminer dix ans à l'avance combien de jeunes médecins il aura besoin.  
  
          C'est tragique de voir les choses se détériorer ainsi, de voir des gens désabusés dans leur travail, et d'autres qui souffrent, et même meurent, en attente de traitements. L'État interventionniste et collectiviste ne recule pas devant quelques morts, même s'il nous abreuve constamment de notions de « solidarité » et de « compassion ». Sans réforme véritable, la situation ne pourra qu'empirer dans les années qui viennent. Le gouvernement pourrait bien sûr nous taxer un peu plus et consacrer ces ressources au renflouement d'un système inefficace, mais ce serait l'équivalent de mettre un « plaster » sur une jambe cassée. Même si la crise actuelle se résorbe, soit par un recul de Québec, soit par une capitulation des infirmières, il y aura encore des urgences bondées l'hiver prochain et il manquera toujours de médecins en Abitibi. C'est tragique, mais il faudra probablement attendre que le système s'effondre sous le poids de ses contradictions, comme l'ont fait les régimes communistes, avant qu'on puisse voir des changements.  
  
  
Articles précédents de Martin Masse
  
  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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