Montréal,
le 17 juillet 1999 |
Numéro
41
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« Il est dangereux d'avoir raison lorsque le gouvernement
a tort. »
Voltaire
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BILLET
AVOIR LE COURAGE
DE SES CONVICTIONS
par Brigitte Pellerin
Cette histoire pourrait s'appeler la victoire morale qui se termine mal.
C'est une histoire qui risque de se répéter souvent; parce
que nos bien-pensants publics – dans ce cas-ci les services sociaux de
la Saskatchewan – sont passablement durs de comprenure. Tellement que même
la leçon qu'ils viennent de se faire servir par un gamin de 13 ans
au courage exemplaire ne risque pas de faire la moindre étincelle
dans leurs cerveaux rabougris.
Ce gamin s'appellait Tyrell, et il souffrait d'une forme rare de cancer
de la jambe. Blondinet au regard malgré tout pétillant, Tyrell
savait qu'il était très malade et regardait tout de même
les médecins droit dans les yeux en leur disant: merci de ce que
vous avez tenté pour me sauver, mais j'aimerais mieux que vous me
laissiez tranquille à présent. |
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Ce qui devait arriver arriva: les bons docteurs ne voulurent rien entendre.
« C'est pour son bien », qu'ils disaient.
Pour son bien, imaginez-vous donc, qu'ils voulaient poursuivre la chimio
atrocement douloureuse ainsi que l'amputation de la jambe malade. Une série
de traitements et d'opérations à faire hurler de douleur
le plus endurci des matelots, et qu'on voulait imposer de force à
un garçon de 13 ans. Chances de réussite? Oh, à peine
65%.
Disons que les médecins n'avaient aucune idée si Tyrell 1)
survivrait aux traitements non plus que 2) dans l'hypothèse où
il survivrait, pour combien de temps.
Bref, Tyrell et sa famille avaient à faire un choix impossible entre
une maladie mortelle et un traitement qui, en plus d'être hautement
incertain, est physiquement intolérable. De nombreuses familles
ont à faire ce choix, et personne ne devrait leur dire quoi faire
ni comment le faire. La médecine moderne a ses limites; et dans
la mesure où les personnes concernées reçoivent toute
l'information disponible, le reste du monde devrait s'incliner respectueusement
devant leur décision. Parce qu'après tout, qui, selon vous,
devra vivre avec les conséquences?
Croyances vs Science
Pourquoi je vous cause de Tyrell Dueck? Son cas, jusqu'ici, ne diffère
pas tant que ça de celui de milliers d'autres enfants malades. Sauf
peut-être pour une chose.
Les parents de Tyrell – et en particulier son père – sont des gens
très croyants et qui exercent une autorité sur leurs enfants
qui est supérieure à ce qu'on trouve dans la majorité
des familles. Les Dueck sont une famille un peu « à
l'ancienne » en ce qu'ils ont des principes et des croyances,
et qu'ils vivent tranquillement et sobrement, sans causer de tort à
personne. Tout le contraire des flanc mous habituels qui ne savent rien
faire d'autre que brailler pour qu'on leur vienne en aide.
L'une de leurs croyances, aux Dueck, c'est que la médecine moderne
ne pouvait malheureusement plus grand-chose pour Tyrell. Ses chances de
survie, malgré un traitement archi-douloureux, n'étaient
que très minces. Toute la famille – Tyrell inclus – croyait plutôt
que le garçon devrait tenter sa chance du côté des
méthodes alternatives: traitements aux vitamines, séjours
dans une clinique spécialisée quelque part au Mexique et,
bien entendu, de nombreuses prières.
« Quoi?
On va laisser un pauvre bougre prier jusqu'à ce que son fils meurt?
Pas question; on ne veut rien entendre de ces alternativeries! »
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Les services sociaux de la Saskatchewan, voyant cela, se sont empressés
d'alerter les autorités judiciaires. Il n'était pas question
de laisser un enfant mourir seulement parce que son père lui avait,
selon leurs mots à peine voilés, « lavé
le cerveau » avec ses jérémiades. Quoi?
On va laisser un pauvre bougre prier jusqu'à ce que son fils meurt?
Pas question; on ne veut rien entendre de ces alternativeries! Il n'y a
que la chimio et les chambres aseptisés qui peuvent aider Tyrell.
Alors les médecins ont traîné la famille, déjà
éplorée par la maladie d'un de leurs enfants, en cour pour
les forcer à accepter le traitement prôné par la médecine
officielle. Et pas seulement une fois, mais deux. La juge qui a finalement
ordonné le traitement forcé a même été
jusqu'à dire que ce garçon, « grandement
influencé par son père », était
incapable de prendre une décision qui serait dans son propre intérêt,
et que donc la responsabilité de l'État était d'obliger
Tyrell à subir un traitement qu'il n'a jamais cessé de refuser.
Et la cerise sur le sundae, c'était d'empêcher les parents
d'être présents au chevet du petit malade, pour ne pas qu'ils
puissent « l'influencer ».
Une fois la décision judiciaire prête à être
mise en application, les bons médecins, toujours aussi cruels ceux-là,
haussèrent les épaules en réalisant que la maladie
était malheureusement trop avancée et que les traitements
forcés ne parviendraient plus à sauver Tyrell. Après
être passés par toutes ces procédures froides et inhumaines,
les Dueck reçurent l'autorisation de se rendre au Mexique et de
faire comme bon leur semblait.
C'était le printemps dernier. Tyrell est mort de sa maladie le 30
juin.
La paix dans l'âme
Oui, je sais. C'est une histoire épouvantablement triste. Mais vous
savez quoi? Tyrell est mort en croyant fermement qu'il avait pris la bonne
décision de rejeter la médecine traditionnelle. Et sa famille,
bien que sous le choc, a malgré tout la satisfaction d'avoir fait
ce qui était le mieux pour que Tyrell meurt dignement et sereinement.
Ce que je retiens de cette histoire, c'est que ceux qui ne sont pas directement
concernés par les conséquences d'une décision aussi
terrible que celle-là ne devraient pas être autorisés
à se prononcer. Vous savez ce que c'est, vous, de voir un de vos
enfants mourir lentement sous vos yeux? Pas moi. Alors je m'incline bien
bas devant la décision des Dueck.
Ce que je sais, c'est que pendant une brève période, Tyrell
était convaincu d'avoir pris la bonne décision. Ce que je
sais, c'est qu'il est mort sereinement; la paix dans l'âme.
Le reste, c'est de la bouillie pour les chats.
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