Montréal, le 14 août 1999
Numéro 43
 
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NDLR: Pierre Desrochers est présentement Research Fellow au Political Economy Research Center de Bozeman au Montana, l'un des principaux centres de recherche consacrés à l'analyse de solutions aux problèmes environnementaux fondées sur le libre marché.  
 
 
 
 
LE MARCHÉ LIBRE
 
LES PARCS NATIONAUX: L'ÉTAT CONTRE-NATURE
  
par Pierre Desrochers
  
  
          Le Parc National de Yellowstone est un site remarquable à plusieurs égards. On y trouve des cîmes enneigées, une faune diversifiée (comprenant notamment des bisons et des grizzlys), un lac impressionnant en haute altitude, des canyons spectaculaires et des geysers uniques au monde. 
  
          La particularité la plus remarquable de ce parc est toutefois la désolation de son couvert forestier, résultat de plus de 50 feux de forêt en 1988 (41 d'origine naturelle, 9 d'origine humaine), combattus en vain pendant tout un été par plus de 25 000 travailleurs forestiers. Une surface équivalente à la vallée du Saint-Laurent entre Montréal et Trois-Rivières est aujourd'hui couverte de troncs calcinés et de terrains érodés, créant en maints endroits un paysage particulièrement désolant. Yellowstone est un cas spectaculaire, mais il n'est pas isolé.
 
 
Les effets du feu 
 
          En fait, ce qu'un étranger remarque surtout dans les bulletins de nouvelles de la région des Rocheuses américaines est l'annonce, tous les trois ou quatre jours, d'un nouvel incendie hors de contrôle, que ce soit au Nevada, en Idaho, en Californie, au Wyoming et dans les autres États du « Continental Divide ». De fait, on estime aujourd'hui que près de 20 millions d'hectares dans les parcs nationaux américains de la région des Rocheuses et du Pacifique sont des bombes à retardement. 
 
          La situation aujourd'hui critique des forêts nationales de l'ouest américain est facile à comprendre, car il y a maintenant près d'un siècle que le Forest Service américain enfreint le cycle naturel de cette région en combattant systématiquement les feux de forêts. On s'imagine généralement de nos jours que la forêt de l'ouest américain exhibait une végétation luxuriante avant l'arrivée des colons blancs. Il n'en était toutefois rien, car des feux extrêmement fréquents renouvelaient constamment le couvert végétal. 
  
          Les descriptions des premiers pionniers, de nombreuses photographies prises au tournant du siècle et la toponomie des lieux (les Blue Mountains de l'est de l'Oregon et de l'État de Washington tirent leurs noms du halo de fumée des feux de forêts dont elles étaient continuellement couvertes) nous rappellent en effet que les Rocheuses étaient couvertes de forêts clairsemées. Les régions couvertes de pins Ponderosa brûlaient tous les 5 ou 25 ans, tandis que celles abritant des pins Lodgepole l'étaient régulièrement d'un siècle ou deux à l'autre. Le journal d'une pionnière rédigé en 1853 résume bien l'état des lieux: 
 
          Our road has been nearly the whole day through the woods, that is, if beautiful groves of pine trees can be called woods... The country all through is burnt over, so often there is not the least underbrush, but the grass grows thick and beautiful. It is now ripe and yellow and in the spaces between the groves looks like fields of grain ripened, ready for the harvest(1). 
 
 
  
« Il n'y a qu'une seule véritable issue pour résoudre la crise des forêts nationales américaines: permettre la coupe de bois à grande échelle. »
 
 
 
          Ces incendies localisés ne créaient toutefois pas les dommages irréparables que l'on constate aujourd'hui, car les arbres les plus vigoureux leur résistaient bien et bénéficiaient ensuite de l'espace libre crée par les incendies pour croître davantage, tandis que de nouvelles pousses bénéficiaient des espaces libres. Le couvert clairsemé créé par ces feux permettait également aux cervidés et aux bisons de bénéficier d'une nourriture abondante avec la pousse d'herbes et de petits fruits. 
 
Les effets de l'intervention 
 
          Cet écosystème délicat fut toutefois complètement bouleversé au début du siècle lorsque le National Forest Service décida de combattre énergiquement le cycle naturel des feux de forêts et d'interdire la coupe d'arbres. Cette politique fut adoptée pour diverses raisons, allant d'une volonté de conserver le couvert végétal à la création d'emplois saisonniers récurrents dans certaines régions isolées en passant par de nombreuses manifestions de conservationnistes et d'écologistes ignorant du cycle naturel des forêts. Elle fut poursuivi avec succès pendant près de soixante-quinze ans, mais il est maintenant clair aux yeux de tous les observateurs que la situation est hors de contrôle depuis plus d'une décennie(2). 
  
          La raison en est bien simple: les forêts nationales de l'Ouest américain sont aujourd'hui couverte d'une forêt extrêmement dense, jonchées de bois mort et d'arbres malades, fautes de lumière et d'éléments nutritifs suffisants. Ce concentré de matières combustibles brûle rapidement et cause des dommages souvent irréparables. 
 
          Par contraste, les forêts privées, particulièrement celles cultivées pour la coupe du bois, sont en bien meilleur état. Les grandes entreprises forestières qui en sont les propriétaires y ont pratiqué des coupes sélectives et des feux préventifs de faible intensité pour imiter les processus naturels dans le simple but d'avoir des arbres en santé et de faire de meilleurs profits. Le contraste est aujourd'hui si saisissant entre les forêts publiques et les forêts privés que n'importe quel observateur, même le plus ignorant des pratiques sylvicoles, peut facilement identifier la frontière entre un parc national et une forêt destinée à la coupe. Le contraste le plus frappant suit ordinairement les feux de forêts, lorsque la forêt nationale a été complètement dévastée, tandis que la forêt privée voisine semble avoir été miraculeusement épargnée(3). 
 
          Il n'y a évidemment qu'une seule véritable issue pour résoudre la crise des forêts nationales américaines: permettre la coupe de bois à grande échelle. Cette solution semble toutefois politiquement hors de question. La plupart des observateurs crédibles sont donc extrêmement inquiets face à l'avenir des forêts nationales américaines, car la catastrophe semble inévitable. Elle l'est sans doute, mais on peut au moins se consoler en se disant que l'entreprise privée aura sauvé des pans entiers de l'écosystème des Rocheuses de la folie de certains écologistes et de la gestion politique des forêts publiques. 
 
 
 
1. Holly Lippke Fretwell, Forest: Do We Get What We Pay For?,  
    Bozeman (MT): Political Economy Research Center, p. 31, 1999.  >> 
2. General Accounting Office, Western National Forests: A Cohesive Strategy 
    is Needed to Address Catastrophic Wildfire Threats, Washington (D.C): GAO 
    Report RCED-99-65, 1999.  >> 
3. Voir les nombreuses illustrations saisissantes de Fretwell, 1999, op. cit. 
    (malheureusement non disponible dans la version électronique).  >> 
 
 
 
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