Montréal,
le 28 août 1999 |
Numéro
44
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COLLABORATION
LE PLUS ODIEUX DES MONOPOLES
par Claire Joly
Roland Arpin, président d’un groupe de travail sur le rôle
du « secteur privé » dans
la santé, nous apprenait récemment que personne n’a proposé
la privatisation du système parmi les 28 groupes consultés.
Tout au plus, le rapport remis à la ministre de la Santé
recommandera un apport « planifié » du
privé dans le domaine des soins de santé. |
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Consensus du corps médical
Voici où des décennies de planification étatique nous
ont menés: M. Arpin lui-même explique qu’au Québec,
« il est facile de se faire soigner quand on est très
malade, un infarctus, par exemple, ou encore, quand on souffre de maux
courants comme la grippe. Mais pour les affections moyennement sérieuses,
“vous êtes dans un no man’s land” »
(Le Devoir, 19 août 1999, p. A8).
Le no man’s land, je connais bien. Le 16 juin, j’ai patienté
gentiment durant six heures pour rencontrer un médecin spécialiste
avec qui j’avais rendez-vous en début d’après-midi dans un
grand hôpital de Montréal. Quand j’ai pu enfin retourner chez
moi, trois autres malades attendaient encore leur tour dans une pièce
inconfortable.
Si j’avais eu le choix, je n’aurais pas attendu docilement six heures dans
une salle d’attente délabrée alors que mon état de
santé me prescrit au contraire du repos. J’aurais pris rendez-vous
ailleurs. J’ai des moyens modestes, mais je ferais les sacrifices nécessaires
afin que mes visites régulières à l’hôpital
ne se transforment pas en épreuve physique et morale.
« Qu'y
aurait-il de si honteux à permettre qu'un système de santé
non étatisé se développe au Québec, tout en
maintenant un système public de dernier recours? »
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Mais voilà, le système étatisé est bien verrouillé.
D’une part, bien qu’il soit en théorie possible de choisir son médecin
à l’intérieur du système, il n’est pas rare que l’on
doive se résigner à des mois d’attente avant de rencontrer
pour la première fois un médecin spécialiste. D’autre
part, s’il est vrai qu’un médecin peut légalement ne pas
participer au régime public d’assurance-maladie, peu choisissent
cette voie car les clients sont rares. Et les clients sont rares parce
que l’État a rendu illégale toute assurance privée
qui couvrirait les services assurés par le régime public.
L’article 15 de la loi sur l’assurance-maladie du Québec
est très clair:
« Nul ne doit faire
ou renouveler un contrat d'assurance ou effectuer un paiement en vertu
d'un contrat d'assurance par lequel un service assuré est fourni
ou le coût d'un tel service est payé à une personne
qui réside ou est réputée résider au Québec
ou à une autre personne pour son compte, en totalité ou en
partie. »
Autrement dit, la RAMQ s’est réservé un monopole. Pourtant,
assurer sa famille auprès d’une société commerciale
ou d’une coopérative, si seulement cela était légal,
ne coûterait pas nécessairement plus cher que ce que le contribuable
de la classe moyenne paie actuellement en impôts pour des services
de deuxième ordre. Beaucoup de gens se laissent encore berner par
l’illusion de la gratuité, mais le fait est que, dans le domaine
des soins de santé comme dans d’autres secteurs administrés
par l’État, les contribuables en ont bien peu pour leur argent.
L'épouvantail à deux vitesses
Qu’y aurait-il de si honteux à permettre qu’un système de
santé non étatisé se développe au Québec,
tout en maintenant un système public de dernier recours? Ce qui
est honteux, c’est l’engorgement chronique des urgences ou que des cancéreux
soient envoyés aux États-Unis pour se faire soigner. Ce qui
est tout aussi inacceptable – mais inévitable dans un système
étatisé –, c’est que le malade se voie souvent réduit
à un rôle de quémandeur face à un médecin
au salaire et à la clientèle assurés. Raymond Ruyer
le disait bien: « Dans l’économie de marché,
la demande est impérieuse, et l’offre suppliante […]. Dans l’économie
planifiée, l’offre est impérieuse, et la demande suppliante
» (Éloge de la société de consommation,
Paris, Calmann-Lévy, 1969).
Rien ne justifie le maintien du monopole de la RAMQ qui empêche ceux
qui le souhaitent de reprendre la responsabilité et le contrôle
de leur propre santé. Il est absurde d’enfermer les citoyens, au
nom d’une égalité qui n’existe pas et ne peut exister dans
les faits, dans un système qui n’arrive même plus à
masquer ses insuffisances. D’ailleurs, point n’est besoin d’aller bien
loin pour trouver un système de santé « à
deux vitesses »: tous les jours au Québec, des
privilégiés et des débrouillards parviennent par divers
moyens à contourner les files d’attente. Dans tout régime
étatisé, il y a une médecine pour la nomenklatura,
les membres de l’establishment médical, les proches des travailleurs
de la santé; et une médecine pour les autres.
« On ne nous demandait pas non plus de travailler sur
des modèles économiques », de déclarer
Roland Arpin. Si M. Arpin et son groupe de travail s'étaient
intéressés à la question, ils auraient découvert
que le sacro-saint système de santé « universel
» à « une vitesse »
est une dangereuse utopie. La simple reconnaissance de ce fait accomplirait
davantage que des recommandations de bureaucrates qui, depuis des décennies,
n’ont pourtant pas réussi à soulager un système de
santé en crise perpétuelle.
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