Montréal, 25 sept. – 8 oct. 1999 |
Numéro
46
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Il est tentant de croire que l'idée de contrat social exclut la
force, mais tel n'est pas le cas. En créant l'État, les contractants
acceptent la force comme moyen d'empêcher les tricheurs de violer
les conditions qu'ils ont eux-mêmes acceptées. Mais ce n'est
pas tout: sauf si l'on postule des contractants irréels à
la Rousseau, la menace de la violence doit avoir été omniprésente
dans la négociation des conditions du contrat: On peut concevoir l'État de droit comme un moyen de localiser, de minimiser et de médiatiser la force dans les relations sociales. Dans le cas de figure où les individus donnent, tacitement ou implicitement, leur consentement unanime à l'État, la force ne serait plus utilisée que contre ceux qui violeraient leurs propres engagements, libres et volontaires. Ce que nous avons maintenant est bien différent, à savoir un État auquel une minorité (au moins) d'individus n'ont aucune raison, bien au contraire, de donner leur consentement et qui, par conséquent, exerce contre eux une coercition que l'apparence de la règle de droit ne rend que plus insidieuse. Le fait que tous finissent par se soumettre aux lois manifeste l'impuissance des dissidents, de cette minorité invisible dont j'ai déjà parlé(2), plutôt qu'un consentement à quelque contrat social.
Si la force est inséparable de l'application des valeurs fondamentales dans un contexte social, il faut distinguer la coercition illégitime, qui sert à imposer des valeurs illégitimes, et la force légitime, qui est nécessaire pour protéger un ordre social spontané. Le sens du mot L'imposition de n'importe quelle valeur et le respect de n'importe quel droit sont, en définitive, garantis par la force. La force a deux visages: le droit et le crime. Il faut bien distinguer l'un et l'autre, s'assurer que les droits protégés représentent des libertés et non des extorsions, et ne pas se priver de la force légitime pour se protéger de la force illégitime. Il faut affirmer que la force ne crée pas le droit, mais reconnaître que, en définitive, on ne peut protéger le droit que par la force. 1. Voir pourtant James Buchanan, The Limits of Liberty. Between Anarchy and Leviathan, Chicago, University of Chicago Press, 1975, notamment p. 60-64, 71-73, 178-179; voir aussi Pierre Lemieux, La souveraineté de l'individu, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 95 sq. >> 2. Pierre Lemieux, « La minorité invisible », Le Devoir, 6 septembre 1995, p. A7, reproduit à http://www.pierrelemieux.org/artinv.html. >> 3. Voir Friedrich Hayek, Law Legislation and Liberty, Vol. 1: Rules and Order, Chicago, University of Chicago Press, 1973; traduction française: Droit, législation et liberté, vol. 1: Règles et ordre, Paris, Presses Universitaires de France, 1985. >> 4. Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir. Histoire de sa croissance, Genève, Constant Bourquin, Éditeur, 1947, p. 316. >> 5. Ayant cité le mot de Jouvenel, j'ajoutais, dans un article du Devoir qui a plus de deux décennies: certaines minorités impopulaires n'ont aucune valeur juridique. Ils auront beau appeler “lois” les dispositions administratives qui en sortiront, et nos statocrates auront beau les imposer à leurs “administrés” en utilisant leur police pour forcer les minorités à se soumettre; ils n'auront pas créé du dr religion de l'État et de la m ©Pierre Lemieux 1999 Articles précédents de Pierre Lemieux |
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