Montréal,  23 oct. - 5 nov. 1999
Numéro 48
 
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NOVLANGUE
 
 
     « Le gouvernement est conscient qu'il doit procéder avec équité. Il faut s'assurer que les employés des secteur public et parapublic sont aussi bien payés que les gens qui ont des tâches comparables dans le secteur privé. »    
  
 
Lucien Bouchard
commentant les négociations avec les syndicats du secteur public
  
  
(Source: Presse canadienne) 
 
 
 
 
LEMIEUX EN LIBERTÉ
  
LETTRE AU
MINISTRE DU FISC
(AUCUN DROIT RÉSERVÉ)
  
 
  par Pierre Lemieux
  
          Comme contribution à la cause de la liberté et pour racheter un peu ma dignité individuelle, j'ai envoyé la lettre qui suit au Ministre du fisc. J'espère qu'elle inspirera d'autres individus libres qui me plagieront gaiement lors de leur prochaine communication obligée avec leur tyran fiscal. 
  
  
***
  
  
Monsieur le Ministre,  

          J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint un chèque au montant de [...] en règlement du montant que vos fonctionnaires me réclament au titre de ce qu'ils appellent « mes » impôts. 
  
          Pourquoi est-ce à vous que j'envoie ce chèque plutôt qu'à vos bureaucrates qui me harcèlent? Parce que vos pauvres petits fonctionnaires ne savent pas vraiment ce qu'ils font: la morale de midinette qu'on leur a inculquée leur fait sans doute sincèrement croire que leur travail est productif et moral. Et parce que c'est vous, Monsieur le Ministre, qui devriez aller vous-même percevoir l'impôt auprès des contribuables, au lieu de vous cacher derrière une armée de bureaucrates sans visage et derrière les hommes armées qui, ultimement, iront chercher l'argent auprès des rares contribuables qui, malgré la menace permanente de violence auquel vous les soumettez, résisteraient quand même.

 
 
          S'il-vous-plaît, ne faites pas mine de prétendre que vos lois justifient moralement ces exactions. Peut-être que ce fut déjà vrai. Peut-être pouviez-vous, il y a quelques décennies, prétendre que, tout compte fait, vous faisiez plus de bien que de mal et que, à toutes fins pratiques, on consentait tacitement à vos impôts. Votre organisation était relativement inoffensive pour l'individu pacifique; en tout cas, on pouvait espérer qu'elle protège notre liberté dans l'avenir. Mais ce n'est plus vrai. 
  
          Le mythe de l'impôt consenti n'a plus aucune vraisemblance. D'abord, vos impôts sont spoliateurs et outrageants. Appelons un chat un chat, et un tyran un tyran. Ce que vous prélevez sur la production des gens a globalement doublé depuis quarante ans. Vos impôts ne correspondent plus à rien de ce que l'on pourrait justifier comme des fonctions étatiques unanimement souhaitées. 
  
          Ensuite, ce que vous faites avec les impôts que vous extorquez est pire encore que l'extorsion elle-même. Vos impôts entretiennent un État obscène, une véritable tyrannie administrative selon la prémonition tocquevillienne, une tyrannie douce et tranquille mais qui n'en est pas moins tyrannie au sens que l'on a toujours donné à ce mot. 
  
          Avec vos lois qui prétendent m'interdire de fumer ou de consommer ce que je veux, d'importer ou de lire ce que vous définissez comme « pornographique » ou « séditieux », avec les crimes d'opinion consignés dans ce que vous appelez votre « code criminel », avec vos douaniers qui m'interrogent sur mes activités d'homme libre quand je rentre dans ce que vous appelez mon pays, avec vos lois qui font de moi un criminel si je porte, ou simplement possède, les armes interdites que vous réservez à votre garde prétorienne, avec vos lois qui autorisent vos inspecteurs de ceci et de cela, chemises vertes ou chemises brunes, à venir chez moi, sur mes terres, dans ma maison, dans mon bureau ou dans mon usine, avec le numéro d'esclave dont vous me marquez, avec les papiers d'identité que vous m'imposez, avec vos obligations de déclaration, avec votre subventionnement et votre contrôle de l'éducation et de la culture, avec vos formulaires dégradants et leurs questions obscènes, avec votre monopole de la santé, avec vos professions corporatisées, avec vos autorisations administratives et vos permis de ceci et de cela, avec vos soi-disant services dont je ne veux pas, avec votre bureaucratie qui tisse autour de moi un filet infranchissable, non seulement vous m'opprimez quotidiennement mais, de plus, vous me forcez à financer votre fascisme soft. 
  
 
  
« Vos impôts ne correspondent plus à rien de ce que l'on pourrait justifier comme des fonctions étatiques unanimement souhaitées. »
 
 
 
          Ne vous cachez pas derrière le peuple anonyme: vous savez, au fond de vous-même, que c'est de la frime et que si, en définitive, vous réussissez à percevoir vos impôts outrageants, c'est, au mieux, grâce à la tyrannie de la majorité, et au pire en vous appuyant la tyrannie de minorités privilégiées. Vous avez même réussi dans vos chartes à détourner les droits de l'homme pour en faire des privilèges de vos minorités clientélistes. Ne vous cachez pas non plus derrière la règle de droit: vous savez bien que personne ne peut comprendre ni infléchir les milliers de pages de jargon juridique que vous nous assénez chaque année sur la tête. Au fond de vous-même, vous savez que votre tyrannie tranquille ne repose, de plus en plus, que sur la force nue. 
  
          Puis-je espérer vous convaincre de l'immoralité de l'entreprise à laquelle vous prêtez votre concours? Puis-je vous faire pressentir le mépris que, s'ils ont encore quelque dignité, les historiens de l'avenir vous témoigneront devant la prison que vous avez construite pour vos enfants? Me répondrez-vous, comme le plus petit de vos bureaucrates – le tout petit, celui qui répète la morale de pidgin politique du régime, celui que l'on voit griller sa cigarette comme un chien à l'extérieur de vos imposants hôtels des impôts, avant d'aller vous aider à exproprier ceux qui le font vivre –, que vous ne pouvez changer le système? Admettons que cela soit vrai, que personne ne puisse stopper la locomotive du Pouvoir. Mais si l'on est obligé, par la force, d'y prêter son concours en payant les impôts de César, il reste que l'on peut encore, au moins, racheter sa dignité en posant des gestes symboliques et pédagogiques. Ce serait le moins que vous puissiez faire. 
  
          J'ai moi aussi posé un geste symbolique. Chaque dollar additionnel que vous me volez ne vous sert qu'à mieux me contrôler. Pour faire oeuvre de responsabilité sociale, j'ai donc retranché un dollar sur ce que vous prétendez que je vous dois. Un dollar de moins dans les coffres de la tyrannie administrative, c'est toujours ça de gagné. 
  
          Je vous prie, Monsieur le Ministre, de croire à mes sentiments distingués. 
 
 
 
©Pierre Lemieux 1999 
 
 
  
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