Montréal, 23 oct. - 5 nov. 1999 |
Numéro
48
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Ce site de déchets dangereux serait sans doute demeuré la
propriété de Hooker Chemical par la suite, car il était
tout simplement invendable, mais l'intervention de politiciens municipaux
changea le cours des événements au début des années
1950. Confrontés aux effets du baby boom et à un budget limité,
les responsables du Board of Education of the School District of the
City of Niagara Falls se mirent à la recherche de terrains abordables
situés à proximité de la ville. Ils décidèrent
alors de jeter leur dévolu sur Love Canal et sommèrent la
compagnie de leur céder le lopin, sous peine de se voir menacé
d'expulsion par leur pouvoir d'eminent domain.
Les responsables de la compagnie ne voulurent d'abord rien entendre, car ils étaient parfaitement conscients des poursuites auxquelles ils s'exposaient si quelqu'un venait à construire une école ou des maisons sur le site. Ils décidèrent toutefois d'agir en bon citoyen corporatif et cédèrent le terrain pour un dollar en faisant promettre aux fonctionnaires et élus municipaux qu'il ne servirait qu'à l'implantation d'un parc. Ils prirent également la peine de leur faire visiter le terrain et leur démontrèrent, à l'aide de mini-forages, la présence en plusieurs endroits de substances nocives enfouies dans le sous-sol. Les responsables de Hooker Chemical prirent également des dispositions juridiques pour prévenir un mauvais usage de leur ancienne propriété en incluant le passage suivant dans l'acte de vente: Prior to the delivery of this instrument of conveyance, the grantee herein has been advised by the grantor that the premises above described have been filled, in whole or in part, to the present grade level thereof with waste products resulting from the manufacturing of chemicals by the grantor at its plant in the City of Niagara Falls, New York...(1)La suite du texte de la transaction est tout aussi intéressante, car si les responsables de Hooker insistèrent à juste titre pour être libérés de poursuites éventuelles dues à l'utilisation du terrain, ils voulurent également que cette clause s'applique à tous les futurs propriétaires du terrain. En incluant cette disposition, ils s'assuraient que tous les propriétaires du site seraient prévenus de l'existence des produits chimiques enfouis sur la propriété et l'utiliseraient donc à bon escient pour ne pas être victimes de poursuites.
Malgré toutes les mises en garde des représentants de Hooker Chemical – et ce, même bien des années après la transaction finale – les dirigeants municipaux et scolaires décidèrent éventuellement de construire une école sur le site et d'en vendre une bonne portion à des constructeurs résidentiels sans même prendre la peine de les avertir du contenu du sous-sol. De plus, le département du Transport de l'État de New York y fit construire une autoroute et perça par le fait même la couche d'argile protectrice. Et ce qui devait arriver arriva; quelques années plus tard, la construction d'égouts de surface perça la couche d'argile et causa éventuellement des fuites de produits chimiques dans les sous-sols de certaines demeures. À qui la faute? Les médias de l'époque déformèrent complètement la réalité historique du site en blâmant uniquement Hooker Chemical, bien que l'entreprise soit intervenue à plusieurs reprises entre 1957 et 1970 pour contrer les ventes de terrain ou colmater des brèches et reprendre des produits chimiques ayant causé des problèmes aux utilisateurs du site. De plus, en raison des dispositions juridiques habituelles protégeant les administrations publiques des poursuites civiles, la Ville de Niagara Falls et sa commission scolaire ne purent être traînées en justice. Suite aux pressions de l'Environmental Protection Agency (EPA) américaine et de nombreux activistes gouvernementaux, le développement résidentiel fut éventuellement complètement abandonné par décret gouvernemental et 237 maisons et une école furent rasées. En 1979, le département de la Justice américain, agissant de concert avec l'EPA, intenta une poursuite de While the Company should have made greater efforts to keep local residents off the property, it violated... no legal obligation in failing to do so. It responded to complaints about odors, fires, and exposures to chemicals whenever notified, and there was no evidence of injury during the disposal operations that would have signaled a compelling need to provide more protection(2).De plus, les auteurs du jugement reconnaissent que les dommages à la santé humaine causés par les déchets de Love Canal ont été sans conséquence ( L'épisode de Love Canal, l'un des principaux cas du réquisitoire de la mouvance écologiste contre le libre marché, est un autre bon exemple de désinformation. S'il prouve une chose, c'est que les gestionnaires privés, contrairement aux gestionnaires publics, ont tout intérêt à être responsables de leurs actions. Love Canal a toutefois donné lieu à l'instauration d'une législation environnementale tout à fait aberrante en 1980, le Comprehensive Environmental Response Compensation and Liability Act, mieux connu sous le sobriquet de 1. Eric Zuesse, and Virginia Postrel (eds), Free Minds and Free Markets. Twenty-Five Years of Reason, San Francisco, Pacific Research Institute, p. 301, 1993. (Publication originale dans Reason, Février 1981. >> 2. Cité par Roger Meiners, p. 20, May 1999. >> 3. Richard Stroup, Superfund: The Shortcut that Failed, Perc Policy Report PS-5, May 1996. >> Articles précédents de Pierre Desrochers |
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