Montréal,  23 oct. - 5 nov. 1999
Numéro 48
 
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LE DÉFERLEMENT DE L'ÉTAT
  
  
Les dépenses publiques 
au Canada, en 
pourcentage du PIB: 
  
  
1926            15% 
  
1948            21% 
  
1966           30% 
  
1996             46% 
  
  
  
(Source: Statistique Canada) 
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 
LE MARCHÉ LIBRE
 
LOVE CANAL, UN AUTRE FIASCO POLITIQUE
  
par Pierre Desrochers
  
  
          Il y a une vingtaine d'années, les propriétaires de résidences situées autour de Love Canal, un site de déchets toxiques dans la ville de Niagara Falls (New York), constatèrent des infiltrations de produits chimiques dans leurs sous-sols. Certaines études sommaires laissèrent alors croire que ces produits chimiques causeraient des maladies et des malformations génétiques graves. L'État de New York déclara alors un état d'alerte pour la santé publique et força éventuellement l'abandon du site. Un problème jugé jusqu'alors d'intérêt local devenait, au début de 1979, l'une des principales manchettes des médias américains. À l'instar du feu sur la rivière Cuyahoga (voir IL Y A 30 ANS, LA RIVIÈRE CUYAHOGA BRÛLAIT, le QL no 47), l'épisode de Love Canal est depuis entré dans le folklore environnementaliste contemporain comme une autre preuve de la myopie des dirigeants de grandes entreprises. La réalité est toutefois bien différente.  
  
Love Canal, le résultat d'une faillite économique 
  
          Les villes de Niagara Falls et Buffalo (New York) doivent une bonne partie de leur croissance à l'avènement de l'énergie hydro-électrique à la fin du siècle dernier et à leur localisation stratégique le long de la rivière Niagara qui permit la construction de barrages importants et l'éclosion d'un complexe d'industries chimiques. C'est donc dans le but de créer son propre barrage qu'un entrepreneur local, William Love, fit construire un canal au début des années 1890. Son projet échoua toutefois rapidement, mais laissa un fossé de plus de 1000 mètres de long dont la profondeur variait entre 3 et 6 mètres et la largeur entre 18 et 25 mètres.  
  
          Ce fossé fut racheté en 1941 par certains responsables de la compagnie Hooker Chemical qui jugèrent après plusieurs tests que le site serait idéal pour enfouir des déchets toxiques, car il était creusé dans un sol d'argile imperméable au milieu de terrains vacants. Les employés de Hooker Chemical y enfouirent donc plus de 21 000 tonnes de divers déchets liquides et solides au cours de la décennie suivante, auxquelles s'ajoutèrent également quelques milliers de tonnes de déchets toxiques de l'armée américaine et de la ville de Niagara Falls. Le canal fut éventuellement comblé au début des années 1950 et recouvert de plusieurs pieds d'argile.
 
 
          Ce site de déchets dangereux serait sans doute demeuré la propriété de Hooker Chemical par la suite, car il était tout simplement invendable, mais l'intervention de politiciens municipaux changea le cours des événements au début des années 1950. Confrontés aux effets du baby boom et à un budget limité, les responsables du Board of Education of the School District of the City of Niagara Falls se mirent à la recherche de terrains abordables situés à proximité de la ville. Ils décidèrent alors de jeter leur dévolu sur Love Canal et sommèrent la compagnie de leur céder le lopin, sous peine de se voir menacé d'expulsion par leur pouvoir d'eminent domain 
  
          Les responsables de la compagnie ne voulurent d'abord rien entendre, car ils étaient parfaitement conscients des poursuites auxquelles ils s'exposaient si quelqu'un venait à construire une école ou des maisons sur le site. Ils décidèrent toutefois d'agir en bon citoyen corporatif et cédèrent le terrain pour un dollar en faisant promettre aux fonctionnaires et élus municipaux qu'il ne servirait qu'à l'implantation d'un parc. Ils prirent également la peine de leur faire visiter le terrain et leur démontrèrent, à l'aide de mini-forages, la présence en plusieurs endroits de substances nocives enfouies dans le sous-sol.  
  
          Les responsables de Hooker Chemical prirent également des dispositions juridiques pour prévenir un mauvais usage de leur ancienne propriété en incluant le passage suivant dans l'acte de vente:  
          Prior to the delivery of this instrument of conveyance, the grantee herein has been advised by the grantor that the premises above described have been filled, in whole or in part, to the present grade level thereof with waste products resulting from the manufacturing of chemicals by the grantor at its plant in the City of Niagara Falls, New York...(1)
          La suite du texte de la transaction est tout aussi intéressante, car si les responsables de Hooker insistèrent à juste titre pour être libérés de poursuites éventuelles dues à l'utilisation du terrain, ils voulurent également que cette clause s'applique à tous les futurs propriétaires du terrain. En incluant cette disposition, ils s'assuraient que tous les propriétaires du site seraient prévenus de l'existence des produits chimiques enfouis sur la propriété et l'utiliseraient donc à bon escient pour ne pas être victimes de poursuites.  
  
  
  
« Tous les experts reconnaissent que le
Love Canal était un site d'enfouissement exemplaire
répondant à toutes les exigences contemporaines. »
 
 
 
          Malgré toutes les mises en garde des représentants de Hooker Chemical – et ce, même bien des années après la transaction finale – les dirigeants municipaux et scolaires décidèrent éventuellement de construire une école sur le site et d'en vendre une bonne portion à des constructeurs résidentiels sans même prendre la peine de les avertir du contenu du sous-sol. De plus, le département du Transport de l'État de New York y fit construire une autoroute et perça par le fait même la couche d'argile protectrice. Et ce qui devait arriver arriva; quelques années plus tard, la construction d'égouts de surface perça la couche d'argile et causa éventuellement des fuites de produits chimiques dans les sous-sols de certaines demeures.  
  
À qui la faute? 
  
          Les médias de l'époque déformèrent complètement la réalité historique du site en blâmant uniquement Hooker Chemical, bien que l'entreprise soit intervenue à plusieurs reprises entre 1957 et 1970 pour contrer les ventes de terrain ou colmater des brèches et reprendre des produits chimiques ayant causé des problèmes aux utilisateurs du site. De plus, en raison des dispositions juridiques habituelles protégeant les administrations publiques des poursuites civiles, la Ville de Niagara Falls et sa commission scolaire ne purent être traînées en justice. Suite aux pressions de l'Environmental Protection Agency (EPA) américaine et de nombreux activistes gouvernementaux, le développement résidentiel fut éventuellement complètement abandonné par décret gouvernemental et 237 maisons et une école furent rasées.  
  
          En 1979, le département de la Justice américain, agissant de concert avec l'EPA, intenta une poursuite de 124.5 millions de dollars contre Hooker Chemical afin de faire porter le poids financier de l'opération de nettoyage entièrement sur les épaules de la compagnie. Le jugement fut finalement rendu en 1994 et le tribunal reconnut que les représentants de Hooker avaient agit en bons citoyens corporatifs, mais qu'ils auraient pu faire davantage d'efforts pour prévenir les utilisateurs du site de son sous-sol. Le jugement contient toutefois la remarque suivante:  
          While the Company should have made greater efforts to keep local residents off the property, it violated... no legal obligation in failing to do so. It responded to complaints about odors, fires, and exposures to chemicals whenever notified, and there was no evidence of injury during the disposal operations that would have signaled a compelling need to provide more protection(2).
          De plus, les auteurs du jugement reconnaissent que les dommages à la santé humaine causés par les déchets de Love Canal ont été sans conséquence (« relatively minor noticeable injury ») et qu'aucune donnée scientifique n'indique que la santé des résidants a été affectée par le contenu du sous-sol ou que la destruction des résidences et la décontamination du sous-sol n'ont prévenu quelques problèmes que ce soit. Tous les experts reconnaissent également que Love Canal était un site d'enfouissement exemplaire répondant à toutes les exigences contemporaines, duquel aucun produit chimique ne s'est jamais échappé sans intervention humaine ayant détruit l'étanchéité du couvert d'argile(3) 
  
          L'épisode de Love Canal, l'un des principaux cas du réquisitoire de la mouvance écologiste contre le libre marché, est un autre bon exemple de désinformation. S'il prouve une chose, c'est que les gestionnaires privés, contrairement aux gestionnaires publics, ont tout intérêt à être responsables de leurs actions. Love Canal a toutefois donné lieu à l'instauration d'une législation environnementale tout à fait aberrante en 1980, le Comprehensive Environmental Response Compensation and Liability Act, mieux connu sous le sobriquet de « Superfund » et dont nous traiterons plus en détail dans le cadre de son vingtième anniversaire. 
  
  
  
1. Eric Zuesse, « Love Canal: The Truth Seeps Out », In Robert W. Poole Jr 
    and Virginia Postrel (eds), Free Minds and Free Markets. Twenty-Five Years 
    of Reason, San Francisco, Pacific Research Institute,  p. 301, 1993. 
    (Publication originale dans Reason, Février 1981.  >> 
2. Cité par Roger Meiners, « The Green Scare », The Freeman, vol. 49, no.5, 
     p. 20, May 1999.  >> 
3. Richard Stroup, Superfund: The Shortcut that Failed, Perc Policy Report 
    PS-5, May 1996.  >> 
 
 
 
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