Montréal,  6 nov. - 19 nov. 1999
Numéro 49
 
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LE DÉFERLEMENT DE L'ÉTAT
  
  
Les dépenses publiques 
au Canada, en 
pourcentage du PIB: 
  
  
1926            15% 
  
1948            21% 
  
1966           30% 
  
1996             46% 
  
  
  
(Source: Statistique Canada) 
 
  
 
 
LE MARCHÉ LIBRE
 
LA SUPÉRIORITÉ DE LA RECHERCHE PRIVÉE
  
par Pierre Desrochers
  
  
          La racine étymologique du verbe latin cogito (penser) renvoie à « brasser / mélanger » ensemble et celle de intelligo à « choisir parmi ». Le Petit Robert définit le verbe innover par « introduire quelque chose de nouveau, d'encore inconnu, dans une chose établie ». Bref, comme je l'ai souligné à quelques reprises dans le cadre de cette chronique, tout acte d'innovation technique consiste à découvrir, choisir, recomposer, combiner et synthétiser des artefacts, des idées, des habiletés et des savoirs existants.  
  
          L'importance de la combinaison de techniques a toutefois suscité peu d'intérêt chez les penseurs de politiques publiques, comme en témoigne par exemple la « stratégie » québécoise des grappes industrielles et de création de districts industriels spécialisés (voir LES TECHNOPOLES, UNE AUTRE MESURE INUTILE – 2, le QL, no 39).  
  
          Les choses commencent toutefois à changer, car on observe depuis quelques années un nombre croissant de colloques sur l'intégration de techniques. Certains responsables du National Research Council américain, une division de la prestigieuse National Academy of Sciences, ont ainsi organisé il y a quelques temps un colloque sur l'intégration des biotechnologies et de l'informatique auquel j'ai eu la chance d'assister.  
  
Des cultures divergentes 
  
          Les individus oeuvrant dans le domaine des biotechnologies et de l'informatique ont évidemment un bagage technique différent. Ils travaillent également le plus souvent sur des problèmes présentant peu de similarités. Ce qui frappe toutefois rapidement un observateur externe est le contraste entre la perception de l'interventionisme gouvernemental dans les deux camps. 
 
 
          Les représentants de l'industrie informatique, notamment Gordon Moore, l'un des principaux fondateurs d'Intel, ne se sont ainsi pas gênés pour critiquer les diverses procédures fédérales américaines (contrats de recherche, subventions, etc.) qu'ils jugent tâtillones, incroyablement complexes et le plus souvent mal avisées. Ils ne sont également pas tendres envers la recherche universitaire dans leur domaine qui se serait selon eux le plus souvent attardée sur des problématiques sans grandes applications pratiques.  
  
          Les représentants du monde de la biotechnologie sont par contre issus du secteur le plus réglementé (notamment par la Food and Drug Administration) et le plus subventionné (notamment par la National Institute of Health) de l'économie américaine. On y trouve donc sans surprise un nombre beaucoup plus élevé de bâtisseurs d'empires bureaucratiques pour qui le gouvernement fédéral se doit d'intervenir encore davantage pour promouvoir la santé publique et l'innovation technique.  
  
          Malgré leurs divergences philosophiques, les représentants des deux domaines s'accordent toutefois sur la nécessité d'intégrer davantage leur savoir-faire respectif. Chose encore plus remarquable, la plupart des intervenants s'entendent sur le fait que l'entreprise privée est toujours un meilleur véhicule pour promouvoir l'intégration de techniques diverses que la recherche universitaire, car les deux secteurs obéissent à des logiques bien différentes: la recherche du profit d'un côté et la spécialisation des connaissances de l'autre. 
  
  
  
« Il est faux de croire que les principales avancées dans la fusion des techniques viendront de structures aussi lourdes que la recherche universitaire et les organismes subventionnaires gouvernementaux. »
 
 
 
Moins de frontières disciplinaires 
  
          Le principal avantage du secteur privé pour faciliter la multi-disciplinarité des recherches est qu'on y envisage pas les frontières disciplinaires comme des absolus. Contrairement au monde universitaire où les promotions et la reconnaissance professionnelle ne peuvent être obtenues qu'en travaillant dans un sillon très étroit, la contribution des employés d'une entreprise privée est évaluée selon leur capacité à résoudre des problèmes importants et de générer des profits.  
  
          Il y est donc beaucoup plus facile d'y regrouper des gens ayant des expériences très diverses pour les faire travailler sur des problématiques précises. De plus, contrairement au monde universitaire, les meilleurs entreprises privées reconnaissent l'importance d'individus qui sont capables d'aider leurs collègues oeuvrant dans d'autres domaines à résoudre certains problèmes. 
 
          Ce constat n'est évidemment pas nouveau. Comme le remarquait l'économiste Nathan Rosenberg il y a quelques années: 
          « The most succesful American research laboratories in private industry have demonstrated that it is possible to perform research of both a fundamental and an inter-disciplinary nature in a commercial, “mission-oriented” context. The most successful appear to have been those that have managed to create close interactions, and exchanges of information, between those responsible for performing the research, on the one hand, and those responsible for the management of production and marketing on the other. »(1) 
          Il est donc faux de croire que les principales avancées dans la fusion des techniques viendront de structures aussi lourdes que la recherche universitaire et les organismes subventionnaires gouvernementaux. Dans ce domaine comme dans tous les autres, la recherche du profit facilitera la vie d'individus cherchant à sortir des normes et à innover. 
  
  
  
1. Rosenberg, Nathan, Exploring the Black Box: Technology, Economics, and History, 
    Cambridge University Press, p. 152, 1994. 
  
 
 
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