Montréal, 20 nov. - 3 déc. 1999 |
Numéro
50
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Prête-moi ton nom
Comme toutes les entreprises qui font affaire avec l'appareil gouvernemental, la compagnie montréalaise Cinar doit d'abord satisfaire une série d'exigences avant de toucher sa part de fonds publics. L'une de ces exigences est d'encourager l'industrie culturelle canadienne en embauchant des Canadiens. Pour recevoir plus de subventions, Cinar aurait donc eu recours à des prête-noms – tactique qui consiste à faire croire que des Canadiens travaillent sur une production alors qu'en fait, se sont des Américains qui sont à l'oeuvre. Ainsi, dans le générique de certaines de ses émissions, Cinar aurait remplacé les noms de certains de ses collaborateurs américains par des noms de Canadiens – une pratique courante dans le milieu, semblerait-il. Depuis que cette histoire est sortie au grand jour – et peut-être par un effet d'entraînement –, des artisans du milieu sortent à leur tour de l'ombre pour raconter à qui veut bien les entendre que des personnes en charge de budgets de production font quotidiennement des pieds et des mains pour contourner les règles d'attribution de subventions, quand ils ne sombrent pas carrément dans la magouille pour faire de l'argent sur le dos des organismes subventionnaires.
Certaines compagnies ont recours à de la double facturation, ou
de la fausse facturation, pour gonfler les coûts et ainsi obtenir
plus d'argent du gouvernement. D'autres ne se cassent même pas la
tête avec toute cette paperasse compliquée et détournent
des fonds pour ensuite se les partager entre amis ou les
Doit-on se surprendre que des entreprises ou des individus agissent de
la sorte quand le système qui les entretient le permet? De la même
façon, doit-on se surprendre qu'une fois parvenus à une pleine
compréhension de leur petit monde, ils soient tentés d'en
exploiter toute les possibilités? Avouez qu'une fois les failles
d'un système repérées, et sans vouloir trop généraliser,
l'envie d'en profiter peut-être des plus séduisants. Prenez
ma voisine par exemple...
Ainsi, la voisine d'en face, une femme dans la trentaine avancée plutôt corpulente et dont la voix a l'avantage – ou le désavantage, ça dépend pour qui et à quelle heure – de porter, passe ses longues journées d'été assises sur son perron à parler au téléphone et/ou à crier après sa progéniture. Des petits rejetons, elle en a trois ou quatre... c'est dur à dire. Un homme, elle en a un seul; il fait acte de présence de temps à autre durant la chaude saison. Comme vous l'aurez peut-être deviné, ma voisine est sur l'assistance sociale – ça sonne cliché, mais c'est comme ça.
À force d'être assise là, elle en est venue à
connaître bien des gens dans le voisinage. Surtout des femmes qui,
comme elle, passent le plus clair de leur temps à tuer le temps.
De son perron, elle les conseille sur les multiples méthodes à
utiliser pour aller chercher le maximum des programmes qui sont à
leur disposition. Elle offre de judicieux conseils à ces femmes
qui, contrairement à elle, ne maîtrisent pas toutes les possibilités
des programmes offerts par leur
Elle sait tout du système – sans doute, l'a-t-elle expérimenté
de fond en comble. Elle connaît tout des différents programmes
d'aide alimentaire, au logement, à l'enfance mésadaptée,
aux femmes battues, au gardiennage... et surtout, leurs critères
d'admissibilité:
À force d'être dépendant d'un système, on apprend
à bien le connaître – c'est élémentaire comme
dirait l'autre. Alors quand des entreprises qui ont choisi de participer
aux nombreux programmes de subventions pour fonctionner – ou arrondir leur
fin d'année – décident d'en tester les limites, doit-on s'en
étonner? Après tout, c'est compréhensible! Comme ma
voisine d'en face, ces assistés sociaux de luxe une fois entrés
dans l'engrenage de la subvention doivent La pointe de l'iceberg Si l'on peut présager que la crise engendrée par l'Affaire Cinar n'aura aucun impact à long terme (et ce, que l'entreprise soit ou non reconnue coupable de fraude), on peut se réjouir qu'à court terme elle aura servi à montrer – une nouvelle fois – au contribuable payeur de taxes, le chemin que prend trop souvent son argent. Elle aura aussi servi à accroître temporairement les risques de se faire prendre la main dans le sac pour les producteurs et à instaurer un climat de tension dans le milieu de la production. Selon certains journalistes, un mécanisme de défense s'y est installé et il est de plus en plus difficile d'obtenir des informations auprès des gens qui 1) craignent de perdre leur poste ou 2) sont impliqués personnellement dans diverses magouilles. Une chose est sûre, si toutes ces allégations relevaient du domaine de la fiction, l'auteure Fabienne Larouche (qui a en quelque sorte lancé la controverse) et la journaliste Sophie Langlois de Radio-Canada (qui l'a longuement enquêtée) ne recevraient pas de menaces comme c'est le cas maintenant. De plus, on n'inviterait pas les techniciens et autres nombreux pigistes nouvellement embauchés sur les plateaux de tournage à signer des ententes de confidentialité dans lesquelles ils s'engagent à ne rien dévoiler de ce qu'ils voient ou entendent sur les lieux de tournage. Maintenant que l'on sait que des gens nous fraudent impunément, comment se fait-il que les organismes qui redistribuent notre argent – sans notre consentement soit dit en passant – ne soient pas plus au courant? Et si le phénomène est si répandu dans le milieu de la production, et que tout un chacun connaît quelqu'un, qui connaît quelqu'un, qui connaît quelqu'un... n'est-il pas plutôt étonnant que les organismes subventionnaires n'en aient jamais eu vent? Avouez que c'est troublant! Plus ça change...
Gageons que dans trois, cinq ou six ans, une autre
Tant et aussi longtemps que des entreprises, ou des individus – comme ma
voisine d'en face –, auront accès à des programmes pour tout
et pour rien, ils trouveront les moyens d'en abuser et/ou de les frauder.
Nos élus auront beau investir dans des campagnes de sensibilisation
à la télé comme ils le font présentement pour
le travail au noir, ou augmenter la surveillance auprès de sa
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