Montréal,  4 déc. - 17 déc. 1999
Numéro 51
 
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COURRIER TRANSATLANTIQUE
   
L'ÉDUCATION CIVIQUE OU LA PRODUCTION DE MOUTONS DOCILES
  
  par Olivier Golinvaux(*)
  
 
          L'étatisme ambiant, cet air conditionnant dont notre âme s'empoisonne depuis la tendresse de l'enfance jusqu'à asphyxier notre intellect, n'est pas une fatalité culturelle venue de l'éther et qui s'abattrait sur nous on ne sait trop comment, implacablement. Cette belle culture de soumission béate est un produit, n'en doutons pas. Et si elle n'en a pas le monopole, l'école publique en est toutefois l'une des principales manufactures, jouant un rôle de premier plan dans la production de moutons dociles. 
 
 
          En effet, elle rend le service irremplaçable pour les hommes de l'État d'orienter au plus tôt le capital humain brut de nurserie sur la production spécialisée désirée: celle du bien de consommation étatique appellé habituellement citoyen. Le drame est connu, la pièce est ancienne et a été maintes fois mise en scène, depuis Spartes jusqu'à Jules Ferry en passant par Saint-Just. Je ne livre au lecteur rien de bien neuf dans les lignes qui suivent, juste un paragraphe de plus au chapitre de l'abrutissement des enfants, exemplifié ici par la déséducation « nationale » française.  
  
Le « dressage » de nos enfants 
  
           Au programme de la classe de 6e – première année de collège, les enfants ont 11 ou 12 ans – un superbe cours d'« éducation civique » a particulièrement attiré mon attention. Son contenu rendrait en effet la dénomination de « dressage idéologique » beaucoup plus appropriée. Au menu: drapeaux qui claquent au vent, gamelles républicaines, bidons étatiques et les rations de combat qui vont avec. On y déguste l'organisation de l'État, de l'« éducation nationale » en particulier, avec le partage des compétences entre administrations centrales et locales s'agissant des collèges et des lycées.... Attention! Mémorisez bien le nom du ministre les petits! Plus ludique maintenant: les mots croisés. Il s'agit là d'une variation plus distrayante sur le thème du vocabulaire de circonstance comme État, Loi, République, laïcité, gratuité, Jules Ferry... Plus économique ensuite: le dessin d'une salle de classe avec des objets numérotés, tableau noir, globe, bureau, cartable, manteau de l'enseignante. L'exercice consiste à classer les différents objets dans deux colonnes, « biens privés » et « biens publics ». Le tableau noir? Bien public m'dame! C'est beau la culture non? 
  
         Ah! Le plat de résistance maintenant, sous la forme d'un livre. Il s'agit d'« Éducation civique » sous la direction d'un agrégé d'histoire (Valéry Zanghellini) et publié par les éditions Belin. En couverture, le programme est d'emblée bien résumé: Quand je serai grand je serai citoyen, phrase prononcée par un petit garçon à une petite fille, tous deux en admiration devant un buste de Marianne. Je livre à l'amusement du lecteur les premières lignes de la préface: 
  
        « Ce fichier a pour objet essentiel de conduire l'élève de sixième à découvrir un certain nombre de “pratiques sociales” dans le cadre de son environnement, et de développer chez lui de manière authentique le sens des responsabilités. »
  
        Les dessins qui illustrent les différentes leçons sont autant de perles. Par exemple, à la leçon – fondamentale lorsqu'on fait de l'élevage de futurs esclaves fiscaux – « respectons les lois républicaines », on voit un chien-chien gendarme à la physionomie sympathique embarquer un loup aux dents acérées, menoté, sous l'oeil d'un agneau à la tête fièrement redressée. Le dialogue est comme suit: « Allez hop! Au trou! »; « m'vengerai »; « Parfaitement, il y a des lois Môssieur! » dans l'ordre des personnages. Un document est joint, comme à chaque leçon: ici des extraits de la déclaration de 1789 (article 6, la loi est l'expression de la volonté générale), de la constitution de 1958 (art 3, la souveraineté nationale appartient au peuple), du code civil (sur la nationalité française), de la déclaration universelle de 1948, etc. Bref, tout le bréviaire mythologique de la res publica. 
  
  
  
« Avec le temps et le développement de ce qu'on lui laisse d'intelligence non étouffée, l'enfant-mouton sera capable de reproduire des schémas étatistes dans des situations nouvelles. »
 
 
 
       À la leçon consacrée à la protection de l'environnement, il y a le dessin d'une petite carte avec la légende « POS: plan d'occupation des sols! » Et bien sûr de nouveaux documents: loi de 1941 sur les fouilles archéologiques, loi de 1956 sur la conservation du littoral, convention de l'UNESCO de 1972, etc. 
  
Le bonheur du citoyen: les impôts 
 
       Le meilleur pour la fin. La leçon no 10 s'intitule: « chacun contribue au bien public ». La phrase d'introduction est la suivante: « Chaque citoyen apporte sa pierre au bonheur de tous. Il le fait par une contribution financière sous forme d'impôts. » Allez! Encore une petite avant de refermer cet admirable ouvrage: « On appelle laïcité le principe républicain d'une École ouverte à tous, donnant à chacun des chances égales. Parce qu'elle réunit les individus au lieu de les opposer, l'École cimente notre société; elle la rend solide et solidaire » (RMQ: la majuscule à « École » n'est pas de moi, mais du texte). Deux pages en arrière, on trouve le dessin d'un gamin pensif, cartable sur le dos, avec la légende: « L'enseignement est une responsabilité de l'État. Ce monsieur doit être très important! ... » 
  
         Bien sûr, tout celà s'accompagne pour plus d'efficacité par des travaux pratiques. On parle alors de la « pratique de la démocratie à l'école », comme par exemple l'élection du petit camarade – terme si adéquat ici... – au Conseil d'administration, etc... Ah çà! comme le disait ce cher Babeuf, « Périssent les arts pourvu qu'on ait l'égalité ». Peu importe qu'on sache à peine lire à 12 ans pourvu qu'on soit de bons apprentis citoyens... 
  
          Ainsi, avec la patience qui sied à l'exécution des grands travaux publics, on mûrit lentement une belle bande d'abrutis, pauvres gosses aux cerveaux de chou bouilli par une culture de fond de caserne. Ce sont les mêmes que l'on retrouvera commentant de manière sentencieuse les infos du 20h étatiste, défilant devant les préfectures en chantant « tous ensemble », se raliant au slogan de M. Aubry « y fô bouger » (Pourquoi? Pour aller où?), gonflant avec fierté leur torse adolescent lorqu'ils iront pour la première fois explorer la poche du voisin via une urne. Nombre d'entre eux se retrouveront peut-être sur les bancs casse-culs d'une faculté de Droit où ils recevront un solide rappel de vaccin antilibertaire qui leur confirmera que les bons principes ingurgités lors de leur enfance sont en plus « scientifiques », professés par la crème de l'élite « intellectuelle » française. Comment douter de leur bien-fondé après ça? 
  
          C'est tout cela, la super-recette du plat franchouillard du « mouton docile ». Le truc du chef? Balancer à hautes doses des idées toutes faites à des enfants trop jeunes pour aborder la réflexion approfondie touchant aux sujets auxquels ces idées renvoient; on s'assure ainsi avec une efficacité optimale qu'ils ne se donneront pas la peine de cette réflexion plus tard. Remuer durant la fin de l'enfance et pendant toute l'adolescence. La pâte prend alors du corps, avec une belle homogénéité (avec le temps et le développement de ce qu'on lui laisse d'intelligence non étouffée, l'enfant-mouton sera capable de reproduire des schémas étatistes dans des situations nouvelles: c'est de « l'exploitation de l'acquis » comme on appelait çà à mon époque). Démoulez: Oh! Un citoyen! 
 
 
  
(*) Olivier Golinvaux est étudiant ( DEA) à la faculté de Droit d'Aix-en-Provence.  >>
 
 
 
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