Montréal,  4 déc. - 17 déc. 1999
Numéro 51
 
  (page 2) 
 
 
page précédente 
            Vos réactions  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
LIBERTIN, LIBERTAIRE, LIBERTARIEN
 
par Martin Masse
 
  
          Comme nous pouvons le constater dans les messages que nous recevons, beaucoup de gens confondent « libertarien » avec « libertaire », et même avec « libertin ». Tous ces mots, ainsi que « libéral », ont pour racine latine « libertas » et réfèrent donc d'une façon ou d'une autre à la liberté, mais avec des nuances importantes. Comme le mot libertarien, emprunté récemment à l'anglais (« libertarian »), ne figure toujours pas dans le dictionnaire, il s'avère utile d'en préciser le sens et de clarifier ainsi la position philosophique défendue dans le Québécois Libre. 

          Les libertins sont des gens « libérés » sexuellement et moralement, qui rejettent les conventions généralement acceptées et qui s'adonnent à des plaisirs charnels de façon immodérée. Il y a par exemple un club d'échangistes à Montréal qui s'appelle Les libertins. Les libertariens prônent la liberté dans tous les domaines, y compris le droit de faire ce qu'on veut avec son propre corps dans la mesure où l'on ne brime pas la liberté et la propriété des autres. Dans cette optique, ils croient que les gens comme les libertins qui veulent participer à des partouzes, se prostituer, ou se droguer, devraient pouvoir le faire sans être importunés par la répression policière.  

          Toutefois, ils ne prônent absolument pas le mode de vie libertin plutôt qu'un autre. Chacun doit pouvoir choisir les croyances et le mode de vie qui lui conviennent, qu'il s'agisse d'ascèse ou de libertinage, de moralisme religieux ou de relativisme moral. Les libertariens défendent par exemple aussi bien le droit des libertins de vivre dans la débauche que celui des fondamentalistes religieux d'éduquer leurs enfants selon leurs croyances très strictes. 

          Les libertaires constituent, comme les libertariens, un courant philosophique théoriquement opposé à l'État et à l'autorité. Il s'agit toutefois d'une variante anarchiste de gauche, parfois aussi appelée anarcho-communisme ou anarcho-socialisme. Les libertaires prônent non seulement la liberté, mais aussi l'égalité totale de condition entre les citoyens. Ils croient que celle-ci surviendra si on abolit non seulement l'État, mais en plus la propriété privée et le marché. Leur modèle économique est centré sur l'autogestion, c'est-à-dire le contrôle à la base des moyens de production par les travailleurs, sans propriétaire ni hiérarchie. Historiquement, c'est un mouvement qui a eu assez peu d'influence, qui a tendance à se confondre dans la mouvance socialiste et qui a été lié à des actions et manifestations violentes.  
  
          Les libertaires et les libertariens n'ont rien en commun, outre leur opposition à l'autorité de l'État. D'un point de vue libertarien, l'utopie qu'ils proposent est ou bien impossible, ou bien finirait par ressembler au totalitarisme communiste, parce que l'égalité totale ne peut être atteinte à moins d'être imposée par la force et parce que sans propriété privée, les individus seraient à la merci des petites cliques qui prétendraient gérer l'économie et la société en leur nom.

 
 
Gauche ou droite?  

          En quelques mots, les libertariens défendent donc la liberté individuelle à tous égards et considèrent que seule la coopération volontaire entre les individus – et non la coercition étatique – devrait servir de fondement aux relations sociales et économiques. Ils défendent l'égalité formelle de tous sur le plan légal, mais se soucient peu des inégalités de fait entre riches et pauvres, qui sont inévitables et qu'on ne peut réduire qu'en empiétant sur la liberté et en réduisant la prospérité globale. Pour eux, la meilleure façon de combattre la pauvreté est d'assurer la libre entreprise et le libre commerce pour tous et de laisser opérer les initiatives de charité privée, qui sont plus efficaces et mieux justifiées moralement que les programmes étatiques de transfert de la richesse. 

          Les libertariens croient que la seule façon d'assurer la liberté individuelle est de garantir la propriété privée et de limiter le plus possible le rôle et les interventions de l'État – dont les gestionnaires prétendent agir au nom d'intérêts collectifs abstraits – dans la vie des individus comme dans l'économie. Alors que selon les idéologies collectivistes, l'ordre social et économique ne peut qu'être imposé et maintenu par l'État, la philosophie libertarienne soutient au contraire que c'est l'action décentralisée d'individus qui poursuivent leurs propres fins dans un marché libre qui permet de maintenir cet ordre, de créer la prospérité, et de soutenir la civilisation dans laquelle nous vivons.  
  
          Dans le cadre politique nord-américain de l'après-Guerre, les libertariens se sont surtout alliés aux conservateurs dans leur lutte contre le communisme et le socialisme. C'est pourquoi on a tendance à les confondre avec eux et à les placer à la droite de l'échiquier politique, selon le modèle confus de gauche vs droite qui sert encore à catégoriser les idéologies. Mais les libertariens s'opposent aux conservateurs sur plusieurs points, notamment sur les questions sociales (les conservateurs ont tendance à vouloir imposer leurs valeurs traditionnelles à tous en utilisant le pouvoir de l'État, par exemple en criminalisant les drogues et la prostitution et en dénonçant l'homosexualité) et les questions de défense et de relations étrangères (les conservateurs sont enclins à appuyer le militarisme et les interventions impérialistes à l'étranger).  
  
          Les conservateurs valorisent en fait l'autorité et ne sont pas contre l'intervention de l'État par principe, ils s'y opposent uniquement lorsque celui-ci vise des buts qui ne sont pas les leurs. Au contraire, les libertariens s'opposent à toute forme d'intervention étatique. Selon eux, le spectre gauche/droite devrait être remplacé par un autre qui placerait les étatistes de gauche ou de droite d'un côté, et les partisans de la liberté individuelle de l'autre.  
  
          Les libertariens s'opposent donc aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui mettent l'accent sur le groupe (nation, classe sociale, groupe sexuel, ethnique, religieux, linguistique, etc.) et qui visent à enrégimenter les individus dans la poursuite de buts collectifs. Il ne s'agit pas de nier la pertinence de ces identités collectives, mais plutôt d'affirmer que c'est aux individus eux-mêmes à déterminer à quels groupes ils souhaitent appartenir et contribuer, et non à l'État ou à des institutions qui s'appuient sur l'État d'imposer leurs objectifs de façon bureaucratique et coercitive. 
  
          Dans le débat sur la « question nationale » québécoise par exemple, la plupart des libertariens rejettent le projet indépendantiste parce qu'il vise essentiellement à imposer un État québécois plus fort, plus interventionniste et plus répressif sur le plan linguistique et culturel envers ceux qui ne cadrent pas dans la définition nationaliste de l'identité québécoise. Cela dit, les libertariens ne sont pas non plus de fervents patriotes fédéralistes et ils rejettent de la même façon le nationalisme et le protectionnisme canadiens, de même que l'interventionnisme et la tyrannie administrative de l'État fédéral. Dans leur optique, le but n'est pas de choisir entre deux États qui briment plus ou moins autant notre liberté, mais bien de réduire le plus possible le rôle des deux. 
  
Héritière du libéralisme classique 
  
          Même si elle reste peu connue et peu comprise à cause de l'adhésion presque totale des intellectuels aux idéologies collectivistes tout au long du 20e siècle, la philosophie libertarienne n'est pas une philosophie marginale, bizarre, et propagée uniquement par un groupuscule d'utopistes déconnectés de la réalité. Au contraire, elle est l'héritière du plus important courant philosophique occidental des derniers siècles, le libéralisme classique. À partir du 17e siècle, ce sont les libéraux qui ont lutté pour l'élargissement des libertés politiques, économiques et sociales, à l'encontre des pouvoirs des monarques et des privilèges des aristocrates. Les principes libéraux sont le fondement de la constitution américaine, et on peut dire que les États-Unis comme la Grande-Bretagne et le Canada ont été gouvernés de façon largement libérale jusqu'au début de notre siècle.  
  
          Les libertariens d'aujourd'hui se situent dans cette lignée mais, après un siècle pendant lequel les idéologies collectivistes et totalitaires ont dominé, ils sont toutefois plus cohérents et radicaux que les libéraux classiques dans leur défense de la liberté individuelle et de l'économie de marché. (À noter que ceux qui se prétendent aujourd'hui libéraux dans les partis libéraux du Québec et du Canada ou « liberals » aux États-Unis n'ont rien à voir avec les libéraux classiques et sont plutôt des socio-démocrates. Voir QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?). Ils rejettent donc le principal développement politique du 20e siècle, la croissance soutenue de la taille de l'État et de la portée de ses interventions dans la vie privée des citoyens (comme exemple frappant, on peut noter qu'en 1926, le pourcentage des dépenses publiques dans le produit national brut du Canada s'élevait à seulement 15%; aujourd'hui, il se situe autour de 46%).  
  
  
  
« Les libertariens sont les seuls à souhaiter un changement en profondeur, une réduction drastique de la taille et du rôle de l'État, les seuls à se démarquer et à privilégier la liberté individuelle avant tout. »
 
 
 
          Comme tous les mouvements philosophiques, le libertarianisme est varié, contient plusieurs écoles et sous-groupes, et il n'y a pas d'unanimité sur ses justifications théoriques comme sur les buts qu'il vise. En Amérique du Nord, la plupart des libertariens souhaiteraient ramener l'État à quelques fonctions essentielles, notamment la défense, les affaires extérieures, la justice, la protection de la propriété privée et des droits individuels, et quelques autres responsabilités mineures. Tout le reste devrait être privatisé. Dans le contexte d'un État fédéral très décentralisé, les libertariens acceptent toutefois que des pouvoirs locaux (États constituants, provinces, régions ou municipalités) puissent intervenir dans d'autres domaines et offrir des modèles sociaux et économiques variés, dans la mesure où le citoyen insatisfait peut facilement déménager.  
  
           Certains libertariens qui se réclament de l'« anarcho-capitalisme » visent la disparition complète de l'État et la privatisation des fonctions énumérées ci-haut. Cette vision peut sembler à prime abord farfelue, mais elle s'appuie sur une argumentation théorique plausible. Il est par exemple facile d'imaginer qu'on pourrait remplacer les corps policiers fédéral, provincial et municipaux (avec toute la corruption, les abus de pouvoir, l'incompétence et le favoritisme qui les caractérisent, et cela sauf exception en toute impunité) par des agences privées de sécurité, qui feraient des profits dans la mesure seulement où elles protègent vraiment les citoyens et s'attaquent aux vrais criminels.  
  
Loi par-dessus loi 
  
          De façon réaliste, dans le contexte où l'État contrôle maintenant la moitié du PIB et continue de passer loi par-dessus loi pour régir nos vies dans les moindres détails, les libertariens luttent d'abord pour renverser cette tendance et pour toute avancée concrète de la liberté et toute réduction concrète de la tyrannie étatique.              
  
          Ils sont les seuls à le faire sans compromis. Le débat idéologique actuel reste en effet dominé par des étatistes, malgré les différences superficielles qui alimentent le cirque politique. D'un côté, les socialistes et les partisans d'une croissance à l'infini de l'État sont fortement majoritaires chez les lobbys de parasites revendicateurs et dans les milieux académiques et médiatiques, où l'on est en général complètement ignorant des règles de base d'une économie de marché. Au « centre », ceux qui passent pour des « réalistes » admettent que l'État ne peut continuer à nous taxer et à croître indéfiniment, mais prônent simplement un ralentissement de cette croissance. L'establishment d'affaires se contenterait de quelques coupures mineures ici et là et ne remet plus en question la structure corporatiste de l'État et de ses organes financiers qui lui procurent de multiples « investissements ». Quant à ceux qui passent pour des « néolibéraux » radicaux, comme les politiciens républicains et conservateurs les plus audacieux, ils visent en fait à peine à nous ramener là où nous étions il y a une vingtaine d'années, quand l'État contrôlait 35 ou 40% du PIB.  
  
          D'ailleurs, lorsqu'on regarde de plus près ce qu'ils ont fait après plusieurs années au pouvoir (i.e., après la soi-disant « Révolution conservatrice » du républicain Newt Gingrich, ou la « Révolution du bon sens » du conservateur ontarien Mike Harris, ou les neuf années au pouvoir des conservateurs de Brian Mulroney), on se rend compte que les choses ont peu changé, malgré quelques réformes qui vont dans le bon sens. Des réductions d'impôt ont, il est vrai, donné un peu d'espace pour respirer aux contribuables de l'Ontario et de l'Alberta. Mais peu de programmes et de lois ont été abolis et l'État occupe toujours une place prépondérante dans la vie économique et sociale. Le chemin reste en fait dégagé pour une reprise de sa croissance lors d'un changement de conjoncture économique ou de gouvernement, ce qui viendra un jour ou l'autre. 
  
          Les libertariens sont les seuls à souhaiter un changement en profondeur, une réduction drastique de la taille et du rôle de l'État, les seuls à se démarquer et à privilégier la liberté individuelle avant tout. Et de plus en plus de gens se rendent compte que le libertarianisme constitue la seule alternative. Le mouvement libertarien existait à peine dans les années 1960 et a pris son envol aux États-Unis dans les années 1970, notamment avec la fondation d'un parti, le 3e en importance après les républicains et les démocrates trente ans plus tard. Aujourd'hui, la philosophie libertarienne est très présente sur internet et son influence grandit partout, y compris sur d'autres continents. Dans les milieux académiques, la pensée libérale classique renaît et le pont se fait avec les libertariens contemporains. 
  
          Au Québec, où le nationalo-socialisme règne depuis la Révolution tranquille, il n'y a jamais eu de mouvement libertarien à proprement parler jusqu'à maintenant, mais seulement quelques militants et penseurs poursuivant leur combat de façon isolée. Le but du Québécois Libre est de remédier à cette situation.   
 
 
  
Articles précédents de Martin Masse

 
 
 
 
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des  
nationalo-étatistes  
 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »   

Alexis de Tocqueville  
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
 
sommaire
PRÉSENT NUMÉRO 
page suivante