Gauche ou droite?
En quelques mots, les libertariens défendent donc la liberté
individuelle à tous égards et considèrent que seule
la coopération volontaire entre les individus – et non la coercition
étatique – devrait servir de fondement aux relations sociales et
économiques. Ils défendent l'égalité formelle
de tous sur le plan légal, mais se soucient peu des inégalités
de fait entre riches et pauvres, qui sont inévitables et qu'on ne
peut réduire qu'en empiétant sur la liberté et en
réduisant la prospérité globale. Pour eux, la meilleure
façon de combattre la pauvreté est d'assurer la libre entreprise
et le libre commerce pour tous et de laisser opérer les initiatives
de charité privée, qui sont plus efficaces et mieux justifiées
moralement que les programmes étatiques de transfert de la richesse.
Les libertariens croient que la seule façon d'assurer la liberté
individuelle est de garantir la propriété privée et
de limiter le plus possible le rôle et les interventions de l'État
– dont les gestionnaires prétendent agir au nom d'intérêts
collectifs abstraits – dans la vie des individus comme dans l'économie.
Alors que selon les idéologies collectivistes, l'ordre social et
économique ne peut qu'être imposé et maintenu par l'État,
la philosophie libertarienne soutient au contraire que c'est l'action décentralisée
d'individus qui poursuivent leurs propres fins dans un marché libre
qui permet de maintenir cet ordre, de créer la prospérité,
et de soutenir la civilisation dans laquelle nous vivons.
Dans le cadre politique nord-américain de l'après-Guerre,
les libertariens se sont surtout alliés aux conservateurs dans leur
lutte contre le communisme et le socialisme. C'est pourquoi on a tendance
à les confondre avec eux et à les placer à la droite
de l'échiquier politique, selon le modèle confus de gauche
vs droite qui sert encore à catégoriser les idéologies.
Mais les libertariens s'opposent aux conservateurs sur plusieurs points,
notamment sur les questions sociales (les conservateurs ont tendance à
vouloir imposer leurs valeurs traditionnelles à tous en utilisant
le pouvoir de l'État, par exemple en criminalisant les drogues et
la prostitution et en dénonçant l'homosexualité) et
les questions de défense et de relations étrangères
(les conservateurs sont enclins à appuyer le militarisme et les
interventions impérialistes à l'étranger).
Les conservateurs valorisent en fait l'autorité et ne sont pas contre
l'intervention de l'État par principe, ils s'y opposent uniquement
lorsque celui-ci vise des buts qui ne sont pas les leurs. Au contraire,
les libertariens s'opposent à toute forme d'intervention étatique.
Selon eux, le spectre gauche/droite devrait être remplacé
par un autre qui placerait les étatistes de gauche ou de droite
d'un côté, et les partisans de la liberté individuelle
de l'autre.
Les libertariens s'opposent donc aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui mettent l'accent sur le groupe (nation,
classe sociale, groupe sexuel, ethnique, religieux, linguistique, etc.)
et qui visent à enrégimenter les individus dans la poursuite
de buts collectifs. Il ne s'agit pas de nier la pertinence de ces identités
collectives, mais plutôt d'affirmer que c'est aux individus eux-mêmes
à déterminer à quels groupes ils souhaitent appartenir
et contribuer, et non à l'État ou à des institutions
qui s'appuient sur l'État d'imposer leurs objectifs de façon
bureaucratique et coercitive.
Dans le débat sur la « question nationale
» québécoise par exemple, la plupart des libertariens
rejettent le projet indépendantiste parce qu'il vise essentiellement
à imposer un État québécois plus fort, plus
interventionniste et plus répressif sur le plan linguistique et
culturel envers ceux qui ne cadrent pas dans la définition nationaliste
de l'identité québécoise. Cela dit, les libertariens
ne sont pas non plus de fervents patriotes fédéralistes et
ils rejettent de la même façon le nationalisme et le protectionnisme
canadiens, de même que l'interventionnisme et la tyrannie administrative
de l'État fédéral. Dans leur optique, le but n'est
pas de choisir entre deux États qui briment plus ou moins autant
notre liberté, mais bien de réduire le plus possible le rôle
des deux.
Héritière du libéralisme
classique
Même si elle reste peu connue et peu comprise à cause de l'adhésion
presque totale des intellectuels aux idéologies collectivistes tout
au long du 20e siècle, la philosophie libertarienne n'est pas une
philosophie marginale, bizarre, et propagée uniquement par un groupuscule
d'utopistes déconnectés de la réalité. Au contraire,
elle est l'héritière du plus important courant philosophique
occidental des derniers siècles, le libéralisme classique.
À partir du 17e siècle, ce sont les libéraux qui ont
lutté pour l'élargissement des libertés politiques,
économiques et sociales, à l'encontre des pouvoirs des monarques
et des privilèges des aristocrates. Les principes libéraux
sont le fondement de la constitution américaine, et on peut dire
que les États-Unis comme la Grande-Bretagne et le Canada ont été
gouvernés de façon largement libérale jusqu'au début
de notre siècle.
Les libertariens d'aujourd'hui se situent dans cette lignée mais,
après un siècle pendant lequel les idéologies collectivistes
et totalitaires ont dominé, ils sont toutefois plus cohérents
et radicaux que les libéraux classiques dans leur défense
de la liberté individuelle et de l'économie de marché.
(À noter que ceux qui se prétendent aujourd'hui libéraux
dans les partis libéraux du Québec et du Canada ou «
liberals » aux États-Unis n'ont rien à voir
avec les libéraux classiques et sont plutôt des socio-démocrates.
Voir QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?).
Ils rejettent donc le principal développement politique du 20e siècle,
la croissance soutenue de la taille de l'État et de la portée
de ses interventions dans la vie privée des citoyens (comme exemple
frappant, on peut noter qu'en 1926, le pourcentage des dépenses
publiques dans le produit national brut du Canada s'élevait à
seulement 15%; aujourd'hui, il se situe autour de 46%).
« Les
libertariens sont les seuls à souhaiter un changement en profondeur,
une réduction drastique de la taille et du rôle de l'État,
les seuls à se démarquer et à privilégier la
liberté individuelle avant tout. »
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Comme tous les mouvements philosophiques, le libertarianisme est varié,
contient plusieurs écoles et sous-groupes, et il n'y a pas d'unanimité
sur ses justifications théoriques comme sur les buts qu'il vise.
En Amérique du Nord, la plupart des libertariens souhaiteraient
ramener l'État à quelques fonctions essentielles, notamment
la défense, les affaires extérieures, la justice, la protection
de la propriété privée et des droits individuels,
et quelques autres responsabilités mineures. Tout le reste devrait
être privatisé. Dans le contexte d'un État fédéral
très décentralisé, les libertariens acceptent toutefois
que des pouvoirs locaux (États constituants, provinces, régions
ou municipalités) puissent intervenir dans d'autres domaines et
offrir des modèles sociaux et économiques variés,
dans la mesure où le citoyen insatisfait peut facilement déménager.
Certains libertariens qui se réclament de l'« anarcho-capitalisme
» visent la disparition complète de l'État et
la privatisation des fonctions énumérées ci-haut.
Cette vision peut sembler à prime abord farfelue, mais elle s'appuie
sur une argumentation théorique plausible. Il est par exemple facile
d'imaginer qu'on pourrait remplacer les corps policiers fédéral,
provincial et municipaux (avec toute la corruption, les abus de pouvoir,
l'incompétence et le favoritisme qui les caractérisent, et
cela sauf exception en toute impunité) par des agences privées
de sécurité, qui feraient des profits dans la mesure seulement
où elles protègent vraiment les citoyens et s'attaquent aux
vrais criminels.
Loi par-dessus loi
De façon réaliste, dans le contexte où l'État
contrôle maintenant la moitié du PIB et continue de passer
loi par-dessus loi pour régir nos vies dans les moindres détails,
les libertariens luttent d'abord pour renverser cette tendance et pour
toute avancée concrète de la liberté et toute réduction
concrète de la tyrannie étatique.
Ils sont les seuls à le faire sans compromis. Le débat idéologique
actuel reste en effet dominé par des étatistes, malgré
les différences superficielles qui alimentent le cirque politique.
D'un côté, les socialistes et les partisans d'une croissance
à l'infini de l'État sont fortement majoritaires chez les
lobbys de parasites revendicateurs et dans les milieux académiques
et médiatiques, où l'on est en général complètement
ignorant des règles de base d'une économie de marché.
Au « centre », ceux qui passent pour des «
réalistes » admettent que l'État ne peut continuer
à nous taxer et à croître indéfiniment, mais
prônent simplement un ralentissement de cette croissance. L'establishment
d'affaires se contenterait de quelques coupures mineures ici et là
et ne remet plus en question la structure corporatiste de l'État
et de ses organes financiers qui lui procurent de multiples «
investissements ». Quant à ceux qui passent pour des
« néolibéraux » radicaux, comme
les politiciens républicains et conservateurs les plus audacieux,
ils visent en fait à peine à nous ramener là où
nous étions il y a une vingtaine d'années, quand l'État
contrôlait 35 ou 40% du PIB.
D'ailleurs, lorsqu'on regarde de plus près ce qu'ils ont fait après
plusieurs années au pouvoir (i.e., après la soi-disant «
Révolution conservatrice » du républicain
Newt Gingrich, ou la « Révolution du bon sens
» du conservateur ontarien Mike Harris, ou les neuf années
au pouvoir des conservateurs de Brian Mulroney), on se rend compte que
les choses ont peu changé, malgré quelques réformes
qui vont dans le bon sens. Des réductions d'impôt ont, il
est vrai, donné un peu d'espace pour respirer aux contribuables
de l'Ontario et de l'Alberta. Mais peu de programmes et de lois ont été
abolis et l'État occupe toujours une place prépondérante
dans la vie économique et sociale. Le chemin reste en fait dégagé
pour une reprise de sa croissance lors d'un changement de conjoncture économique
ou de gouvernement, ce qui viendra un jour ou l'autre.
Les libertariens sont les seuls à souhaiter un changement en profondeur,
une réduction drastique de la taille et du rôle de l'État,
les seuls à se démarquer et à privilégier la
liberté individuelle avant tout. Et de plus en plus de gens se rendent
compte que le libertarianisme constitue la seule alternative. Le mouvement
libertarien existait à peine dans les années 1960 et a pris
son envol aux États-Unis dans les années 1970, notamment
avec la fondation d'un parti, le 3e en importance après les républicains
et les démocrates trente ans plus tard. Aujourd'hui, la philosophie
libertarienne est très présente sur internet et son influence
grandit partout, y compris sur d'autres continents. Dans les milieux académiques,
la pensée libérale classique renaît et le pont se fait
avec les libertariens contemporains.
Au Québec, où le nationalo-socialisme règne depuis
la Révolution tranquille, il n'y a jamais eu de mouvement libertarien
à proprement parler jusqu'à maintenant, mais seulement quelques
militants et penseurs poursuivant leur combat de façon isolée.
Le but du Québécois Libre est de remédier à
cette situation.
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