Lorsque les défenseurs de la diversité culturelle parlent
« culture », ils ne peuvent s'empêcher d'utiliser
de grandiloquentes formules creuses. Pour le président sortant de
l'Association of Canadian Publishers, Jack Stoddart, «
La culture est l'âme d'un pays »(1);
pour la présidente de Télémédia Communications,
Louise Roy, « Les biens et les services culturels [sont
des] véhicules de transmission des éléments intangibles
qui sont l'essence même de notre société. »(2);
pour le président de l'Union des artistes du Québec, Pierre
Curzi, « les cultures et leurs manifestations sont autant
d'expressions de nos identités individuelles et collectives [qui]
constituent un patrimoine mondial inestimable. »(3)
Une fois l'ampleur du sujet établie, ces illettrés économiques
cultivés s'attaquent alors au marché et à ceux qui
le défendent, qui ont le malheur de traiter le secteur culturel
comme s'il s'agissait de n'importe quel autre secteur régi par les
lois du marché. « La notion d'une culture-marchandise
dans laquelle toutes les expressions de la créativité humaine
ne constituent que des prétextes à transaction commerciale
est, à proprement parlé, démente. »(4)
de dire le président de l'UDA; « Les biens culturels
ne doivent en aucune façon être réductibles à
leur seule dimension marchande. »(5)
de soutenir le secrétaire d'État canadien à la francophonie
Raymond Duhamel; « La culture n'est pas un produit de
consommation, la liberté culturelle est un droit fondamental de
l'humanité. »(6)
d'ajouter la ministre du Patrimoine canadien Sheila Copps.
Si la culture ne peut être régie par les lois du marché
et qu'elle est si fragile dans un contexte de mondialisation, il ne reste
qu'une solution: la protéger. Et dans un monde de gauche/droite,
de gars/filles et de nuit/jour, ce qui n'est pas privé ne peut qu'être...
public! C'est donc aux gouvernements que revient le mandat de s'assurer
que la culture s'épanouisse en dehors des accords commerciaux et
de toutes ces bébelles de marché. Les pressions sont entreprises,
les négociations se multiplient...
Le grand absent
Dans tout le brouhaha entourant le débat « culture
vs marché » dans les médias, on ne peut
s'empêcher de noter un grand absent: le citoyen. Le citoyen consommateur
de culture ne se prononce jamais et les nombreux lobbyistes, ministres,
fonctionnaires et porte-parole du milieu, trop occupés qu'ils sont
à tirer chacun sur leur bout de couverture pour avoir plus d'argent,
ne le mentionnent pas plus. Certains diront que s'ils n'en parlent pas
c'est parce qu'ils débattent toujours en son nom, mais leur
discours qui n'est axé que sur les revendications d'artistes et
la protection d'entreprises culturelles dément une telle hypothèse.
Au fond, sous le couvert de mots comme « diversité »
et « ouverture », et parallèlement à
leur éternelle croisade contre la soi-disant invasion culturelle
américaine, les membres et sympathisants de la CDC réclament
plus de protection pour leurs membres et amis. Dans le déluge de
points de presse, de prises de positions et de contre-réactions,
les intervenants de la culture parlent uniquement d'artistes, d'entreprises
culturelles et de groupes de défense... C'est beaucoup plus l'industrie
de la culture qu'il faut protéger à tout prix que la culture
avec un grand « C ».
« À
la base d'une argumentation comme la diversité culturelle, il y
a la certitude que la culture ne peut s'épanouir et évoluer
dans un environnement où l'État n'intervient pas. »
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La diversité culturelle n'est en réalité qu'un gros
subterfuge. Un prétexte pour 1) justifier l'intervention des gouvernements
et la redistribution de notre argent à une petite clique d'artistes
et d'entreprises culturelles pour la plupart bien établis; 2) justifier
les hauts cris poussés par quelques intellos antiaméricains
qui se donnent des kicks à toutes les fois que le Canada
sert une « leçon » à nos voisins
du sud; et 3) justifier les nombreuses sorties médiatiques de membres
d'une petite élite pour qui l'épanouissement d'une culture
est beaucoup trop importante pour qu'on en laisse la responsabilité
à de simples citoyens – et pour qui il est impératif que
l'on décide « collectivement » (c'est-à-dire,
entre eux et leurs éclairés amis) de ce qui est bon, ou pas,
pour la masse.
À la base d'une argumentation comme la diversité culturelle,
il y a surtout la certitude que la culture ne peut s'épanouir et
évoluer dans un environnement où l'État n'intervient
pas. Agnès Maltais, la ministre de la Culture du Québec,
a bien résumé cette position récemment: «
Il est essentiel que soit reconnue à l'échelle internationale
la capacité des États et des gouvernements de soutenir et
de promouvoir la culture. Si le Québec a su conserver sa culture
si vivante en Amérique du Nord, c'est grâce à une volonté
de sa population et de ses artistes, volonté qui s'est exprimée
par des politiques culturelles et linguistiques soutenues par une panoplie
de mesures fiscales et d'aide directe. La force de notre culture est intimement
liée au pouvoir d'application de nos politiques. »(7)
Heureusement, les beaux jours de ces interventionnistes de la culture achèvent.
Avec la popularité toujours grandissante de l'internet et la convergence
de la radiodiffusion, de la câblodistribution, de la communication
par satellite et des télécommunications, la capacité
de se protéger contre l'étranger disparaît rapidement.
Dans une dynamique numérique, les frontières n'ont plus d'impact
sur la circulation des produits culturels. D'un simple mouvement de souris,
le citoyen se fait sa propre diversité culturelle! Impossible de
contrôler ce qu'il consomme.
Les coûts de la peur
Les membres et sympathisants de la Coalition pour la diversité culturelle
voudraient nous faire croire que notre culture est fragile et qu'elle est
menacée par toutes sortes de dangers venus de l'étranger.
Pourtant, malgré le fait que le Québec soit géographiquement
collé sur le « monstre américain
», les statistiques de cotes d'écoute Nielsen, par
exemple, démontrent que du 8 au 14 novembre derniers, les trente
émissions de télé les plus regardées étaient
toutes québécoises à l'exception du Cinéma
Télémax/Vidéotron, en 30e position. Les Québécois,
comme n'importe quelle autre nationalité, aiment se retrouver dans
la culture qu'ils consomment. Donnez-leur un téléviseur,
une radio, un écran d'ordinateur et ils vont se brancher automatiquement
sur les chaînes (ou les sites) qui leur renvoient leur image.
Que les lobbyistes de la culture subventionnée en soient conscients
ou non n'est pas pertinent, ils ont intérêt à ce qu'un
climat de peur règne dans notre société – peur d'être
envahis par la culture américaine, peur de perdre sa langue, peur
des aliments transgéniques... De tels climats justifient leur existence,
fouettent l'ardeur des troupes (contribuables ou cotisants) et permettent
d'aller chercher un maximum de fonds publics. Ils se servent de notre argent
pour installer le climat qui va ensuite commander un investissement massif
pour l'enrayer.
Au lieu de s'efforcer à trouver de nouvelles combines pour se protéger,
les militants de la culture devraient encourager les artistes à
développer des produits culturels dont les gens voudront. S'il est
si important de préserver notre identité culturelle et si
notre culture est si bonne, pourquoi ont-elles tant besoin d'être
protégées? Ne devrions-nous pas valoriser l'une et s'arracher
l'autre? Ou bien notre culture n'est pas assez bonne, ou bien nous sommes
tous des imbéciles à qui il faut montrer ce qui est bon et
ce qui l'est moins.
Espérons qu'avec le temps, le discours des protectionnistes sera
remplacé par celui d'artistes libres et dynamiques ayant quelque
chose à dire et offrant autre chose que des craintes. La diversité
culturelle n'est pas quelque chose que l'on impose avec une série
de mesures et de décrets. La véritable diversité culturelle
surgit spontanément là où il y a une interaction entre
des artistes qui ont un produit à offrir et des citoyens qui souhaitent
le consommer.
1. Alain Brunet, «
Une permanence pour la diversité culturelle »,
La Presse,
3 novembre
1999, E1. >>
2. Presse canadienne, «
La présidente de Télémédia Communications
prône la
résistance
aux Américains », La Presse, 30 novembre
1999, C2. >>
3. Pierre Curzi, «
Diversité culturelle: Québec et Ottawa doivent travailler
côte
à
côte », La Presse, 26 mars 1999, B3.
>>
4. Idem. >>
5. Michel Dolbec, «
La francophonie en faveur de la diversité culturelle
»,
La Presse,
1er décembre 1999, E4. >>
6. Alain Brunet, «
Une permanence pour la diversité culturelle »,
La Presse,
3 novembre
1999, E1. >>
7. Communiqué de presse
du ministère québécois de la Culture à l'issue
d'une table
ronde des
ministres de la Culture tenue en novembre dernier à l'occasion de
la 30e
session de
la Conférence générale de l'UNESCO.
>>
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