Montréal,  4 déc. - 17 déc. 1999
Numéro 51
 
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ACTUALITÉ
  
L'AUTRE HÉRITAGE DE POLYTECHNIQUE
 
par Claire Joly, Marie Latourelle,
                                                                  Maryse Martin et Karen Selick(*)
  
 
          Outre la douleur qu’a laissée ce drame dans la vie des gens qui l’ont vécu, l’intensification du contrôle des armes est le principal héritage de la tragédie de Polytechnique. 
  
          Il y a 10 ans, ce 6 décembre, l’horreur attendait ceux qui se trouvaient à l’École Polytechnique de Montréal. Pendant au moins quinze longues minutes, ils ne purent compter que sur eux-mêmes pour échapper à un détraqué armé d’une carabine semi-automatique. Quand les policiers ont finalement investi le bâtiment, Marc Lépine s’était enlevé la vie depuis déjà 9 minutes. Il avait abattu 14 jeunes femmes et blessé 13 autres personnes.
 
 
          Paradoxalement, quelques années plus tard, les contrôles de 1991 et de 1995 limitaient dramatiquement le droit de légitime défense des Canadiens en prohibant en pratique l'emploi des armes à feu pour la protection de la vie (Les bonbonnes de poivre de Cayenne constituent déjà une « arme prohibée » depuis plus de 20 ans au Canada). 
  
          On se demandera si réclamer de l’État un resserrement des mesures de contrôle était une réaction avisée. Après 10 ans de croisade, Heidi Rathjen, de la Coalition pour le contrôle des armes, déclare à une journaliste: « No studies have been done to link gun legislation to declining firearms-related deaths, but you can draw your own conclusions. » (Ottawa Citizen, 18 nov. 1999, p. A16) 
  
De contrôle à interdiction 
 
          L’irrationalité des mesures de contrôle est admirablement illustrée par l’ancien chef de police anglais Colin Greenwood dans Firearms Control. A Study of Armed Crime and Firearms Control in England and Wales (Routledge and Kegan Paul, 1972). Voué à l’échec, le contrôle des armes mène inexorablement à l’interdiction de la possession d’armes par les civils, que les prohibitionnistes clandestins, ou ceux qui s’ignorent, l’admettent ou non. Suite à la loi britannique de 1997 et vingt-cinq ans après avoir publié son livre, Colin Greenwood a vu des policiers saisir chez lui sa collection d’armes de poing enregistrées. 
  
  
  
« Il est douteux que les récentes lois sur le contrôle des armes empêcheront des viols, des meurtres à l'arme blanche, voire d'autres massacres comme celui d'OC Transpo à Ottawa en avril dernier. »
 
 
 
          Depuis des années, les prohibitionnistes colportent l’idée que « l’accessibilité » aux armes est la source de fléaux indicibles. Pourtant, nombre d’études, comme les travaux comparatifs de David Kopel de même que des données de l’Organisation mondiale de la Santé, montrent que les mesures de contrôle et le nombre d’armes en circulation ne sont pas des facteurs déterminants dans les taux nationaux d’homicides et de suicide (voir Daniel D. Polsby, Firearms and Crime, Independent Institute, 1997). La Suisse, la Norvège, ou encore l’État américain du Vermont sont des exemples de sociétés paisibles où coexistent un faible taux d’homicide par balle et des politiques très libérales concernant les armes à feu. Ou pensons seulement au Canada d’il y a trente ans.  
  
          L’immense majorité des études criminologiques et épidémiologiques suggèrent que le contrôle des armes n’est pas une mesure efficace pour lutter contre la criminalité violente et ne la décourage pas: Wright/Rossi/Daly (1983), Kleck (1991), Centerwall (1991), Lott (1998), etc. Au contraire, les mesures de contrôle dissuadent davantage la légitime défense exercée par les honnêtes citoyens que la criminalité ou les tueries sauvages. Les lois appuyées par les prohibitionnistes desservent les citoyens les plus susceptibles d’être victimes d’actes criminels violents – les femmes et les personnes âgées, par exemple – en les laissant encore plus démunis face à d’éventuels agresseurs. 
  
          Les prohibitionnistes ne reconnaissent pas l’efficacité de l’autodéfense armée. Or, selon des recherches américaines, un agressé court moins de risques d’être blessé ou tué par son assaillant s’il se défend avec une arme que s’il reste passif, résiste à mains nues ou encore avec une arme de fortune. Dans moins de 1% des cas, l’agresseur s’est emparé de l’arme de la victime pour la retourner contre elle (Gary Kleck, Point Blank: Guns and Violence in America, Aldine, 1991). 
  
          Les policiers sont armés précisément parce qu’il s’agit d’un moyen efficace de protéger la vie et de prévenir la violence. Ils ne peuvent toutefois pas jouer les gardes du corps auprès de tous ceux qui se sentent menacés. Et il n’est pas souhaitable d’en faire les détenteurs du monopole de la légitime défense armée. Les hommes et les femmes sont parfaitement compétents pour assurer leur défense en cas d’urgence, pourvu qu’on leur en laisse les moyens. Heureusement, du reste, dans 98% des cas où une arme à feu est utilisée pour se défendre contre un agresseur, la simple vue de l’arme a l’effet dissuasif voulu et suffit à mettre fin à la confrontation (John R. Lott Jr., « Gun Control Advocates Purvey Deadly Myths », Wall Street Journal, 11 novembre 1998, p. A22). 
  
Pas une panacée 
 
          Nous ne prétendons pas que la possession d’armes soit une panacée. Il ne s’agit pas de faire l’apologie de la violence, ni d’une société où tout le monde porterait un revolver à la ceinture. Le droit de porter ou de posséder des armes n’est pas l’obligation d’en acquérir, d’en garder une chez soi, et encore moins de s’en servir contre un agresseur. Nous croyons cependant que l’utilisation d’une arme en légitime défense est une mesure de dernier recours moralement justifiée quand les policiers ne peuvent intervenir assez rapidement. 
  
          Contrairement aux prohibitionnistes, retranchés derrière des chiffres dont ils fournissent rarement les références précises, nous ne cherchons pas à imposer nos valeurs à tous. Que chacun soit libre de faire ses choix et d’en assumer les conséquences. Nous préférons l’autonomie ainsi que la responsabilité d’assurer notre protection avec les moyens que nous jugeons appropriés, si seulement les lois nous le permettaient. L’idée n’est pas saugrenue et s’inscrit dans la tradition occidentale et canadienne (voir Pierre Lemieux, Le droit de porter des armes, Paris, Belles Lettres, 1993). 
  
          Il est douteux que les récentes lois sur le contrôle des armes désarmeront les vrais criminels, qu’elles empêcheront des viols, des meurtres à l’arme blanche, voire d’autres massacres comme celui d’OC Transpo à Ottawa en avril dernier. Mais il est certain que les victimes seront alors beaucoup moins en mesure d’échapper à leurs agresseurs. 
  
          Le 10 juin dernier, un homme entrait dans un « refuge » pour femmes violentées à St-Jean-sur-Richelieu et y abattait froidement sa conjointe. « L'intervenante de faction », témoin impuissante du drame, n'avait pas accès à une arme pour protéger les pensionnaires en cas d'urgence, ce qui aurait été illégal dans l'état actuel des choses. Quant à l'assassin, il n'a pas fait grand cas des lois. 
 
 
 
(*) Claire Joly est collaboratrice au QL, Marie Latourelle est étudiante en économie,  
       Maryse Martin en administration et Karen Selick est avocate et chroniqueur 
       au magazine Canadian Lawyer>>  
  
  
 
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