Montréal, 19 février 2000  /  No 56
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur
 
  
  
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.
 
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
 
     Il s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.
 
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
 
EDITORIAL
 
UN AUTRICHIEN À MONTRÉAL
 
par Martin Masse
  
  
          En tant qu'Autrichien vivant à Montréal, j'ai eu honte de la façon dont Joerg Haider a été accueilli lors de sa visite ici ces derniers jours. Je suis Autrichien non pas, bien sûr, de naissance, mais de philosophie. Comme certains de mes collègues, je me réclame de l'École d'économie autrichienne, l'un des principaux courants philosophiques de la mouvance libertarienne, lancé à la fin du siècle dernier par les pionniers de la « révolution marginaliste » en science économique que furent Carl Menger et Eugen von Böhm-Bawerk. 
  
          Au 20e siècle, ce sont les penseurs mieux connus Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek, deux Autrichiens qui ont dû finalement s'exiler en Grande-Bretagne et aux États-Unis à cause de la Seconde Guerre mondiale, qui ont gardé le flambeau de la philosophie libertarienne durant les décennies où le collectivisme dominait. 
  
          Depuis les années 1970, l'École autrichienne connaît une renaissance sans précédent, notamment grâce aux travaux des Américains Murray Rothbard, Israel Kirzner et plusieurs autres. La quasi totalité des Autrichiens philosophiques se trouvent toutefois aujourd'hui en dehors de l'Autriche, un pays d'un dynamisme remarquable au tournant du siècle dernier mais qui n'a rien produit de pertinent sur le plan intellectuel depuis les années 1930. 
  
          Joerg Haider est un Autrichien de nationalité, mais, à ce qu'on sache, pas un Autrichien philosophique. Il n'est pas vraiment libertarien et défend plutôt, si on se fie au programme du Parti de la liberté (FPO) un libéralisme mou, incohérent, très modéré mais qui implique tout de même une rupture considérable dans le contexte politique de son pays. L'article 1 du programme du parti est clair sur la valeur fondamentale qu'il défend: 
 
    Article 1
    Freedom is the most precious possession people have. Freedom means the utmost degree of self-determination exercised in a responsible way. Freedom excludes any oppression, whether physical or mental, religious, political or economic and, above all, rules out any kind of state despotism. 
      
      1. The concept of freedom has its roots in an idealistic philosophy of life which does not consider the existence of mankind to be limited to material needs. 
      2. Dependence on an overbearing bureaucracy, on a chamber state or on a state apparatus dominated by parties should be reduced according to the principles of freedom. 
      3. Freedom is opposed to every kind of oppression, whether exercised by state institutions or semi-state cum private organizations. A way of life rendering as much self-determination as possible for everyone should not be misunderstood as a cult of the ego. The freedom of an individual is limited by the freedom of others.
          Absolument rien ne permet de croire que Joerg Haider soit un dangereux néo-nazi. Rien. Et pourtant, nos ministres québécois et canadiens des Affaires internationales lui ont signifié qu'il n'était pas le bienvenu ici, même comme simple citoyen en visite privée; des manifestants l'ont traité de tous les noms; des organismes officiels ont tenu des conférences de presse pour dénoncer sa visite; et des médias ont poursuivi leur entreprise de désinformation sur le phénomène politique qu'il représente. L'hystérie qui s'est emparée des gouvernements et de la presse mondiale depuis la formation d'une nouvelle coalition en Autriche incluant le Parti de la liberté entrera sûrement dans les annales de l'histoire comme la première manifestation de délire millénariste globalisé de notre époque.  
  
Les dangers du populisme 
  
          Joerg Haider est de toute évidence un populiste et un opportuniste qui aime bien susciter la controverse. Ça l'a bien servi jusqu'ici, puisqu'il a réussi à faire progresser son parti jusqu'au score de 27% des voix qu'il a obtenu aux élections de l'automne dernier. Le populisme est une stratégie politique risquée, qui mise sur le ras-le-bol des gens en rapport avec des situations controversées. Parfois ça dérape, parce qu'on ne peut pas contrôler les déclarations de tout le monde, mais surtout parce que les déclarations des populistes sont jugées de façon systématiquement plus critique que celles des politiciens bien établis, qui font partie de la clique « respectable » au pouvoir ou temporairement de l'autre côté de la Chambre en attente de revenir au pouvoir.  
  
          C'est par exemple ce qui est arrivé au Parti réformiste, qui s'est construit il y a plus de dix ans en partie en réaction au pleurnichage et au chantage constants du Québec, au bilinguisme imposé et à ce qu'on considère dans l'Ouest comme la domination du « Canada central » dans la fédération. Ça n'a évidemment pas fait l'affaire des élites politiques, journalistiques et académiques du Québec et de l'Ontario, qui ont tout fait pour ignorer le Parti réformiste ou pour le dépeindre comme un groupuscule d'extrême-droite raciste et intolérant, même s'il n'y a strictement rien dans le programme du parti et dans ses prises de position officielles pour soutenir une telle hypothèse. Certains commentaires bizarres de députés ou de militants, ou le slogan « Not just Quebec politicians » durant la dernière campagne électorale, sont encore présentés par des ignorants comme des preuves que le parti est pratiquement néo-fasciste.  
  
          On peut trouver ces commentaires isolés ou ces stratégies électorales discutables. On ne peut pas, à moins de faire preuve d'une malhonnêteté intellectuelle abyssale, en conclure que ce parti est néo-fasciste, alors qu'il défend exactement le contraire du fascisme, c'est-à-dire le libre marché, un État moins interventionniste, la décentralisation du pouvoir, des droits de propriété individuels reconnus dans la constitution, la fin des privilèges pour tous les groupes qui profitent de la redistribution étatique, bref, moins d'État et plus de liberté individuelle. Le fascisme est, lui, fondé sur une glorification du groupe, sur le pouvoir absolu de l'État et sur le culte du leader de la nation, représentant unanime et glorieux de celle-ci, le Duce, le führer. Comment faire cadrer cette logique totalitaire, anti-individualiste à l'extrême, avec les positions du Parti réformiste? 
  
Antisémite? Raciste? 
  
          De la même façon, rien n'appuie la thèse selon laquelle Joerg Haider et son Parti de la liberté seraient l'avant-garde du Quatrième Reich. Toutes les condamnations des derniers mois s'appuient sur trois commentaires discutables de M. Haider concernant le nazisme qui, remis dans leur contexte, peuvent s'expliquer (voir MOT POUR MOT). Le politicien autrichien a d'ailleurs reconnu que ses commentaires n'étaient pas appropriés et s'en est excusé à plusieurs reprises. L'autre « preuve » indiscutable du fanatisme de Haider, selon les parlotteux bien-pensants, est son opposition à l'immigration. Le contexte est évidemment que l'Autriche est le pays européen qui reçoit proportionnellement le plus de réfugiés et d'immigrants en Europe. Qui plus est, dans tous les pays européens, des voix à gauche comme à droite, radicales comme extrémistes, se font entendre pour critiquer des politiques d'immigration trop permissives. En quoi cela a-t-il rapport au nazisme?  
  
  
     « Personne n'a pu trouver un seul commentaire, dans toute la carrière de Joerg Haider, pouvant l'identifier comme un antisémite. Aucun. Le Parti de la liberté n'est relié à aucun mouvement de types skinheads, chemises brunes ou autres groupuscules violents. » 
 
 
          Personne n'a pu trouver un seul commentaire, dans toute la carrière de Joerg Haider, pouvant l'identifier comme un antisémite. Aucun. Le Parti de la liberté n'est relié à aucun mouvement de types skinheads, chemises brunes ou autres groupuscules violents. Pour Simon Wiesenthal du Jewish Archive Centre de Vienne, un homme qui s'y connaît lorsqu'il est question de nazisme, « He represents no threat to democracy in Austria. He is not a pro-Nazi, but a right-wing populist » 
  
          Ça n'a pas empêché les lobbys juifs canadiens, le Congrès juif et B'nai Brith, de monter sur leurs grands chevaux pour dénoncer la venue de Haider au pays. Chaque fois que ces hystériques professionnels dénoncent gratuitement le soi-disant antisémitisme et le racisme de quelqu'un ayant tenu des propos controversés, ils perdent malheureusement un peu plus de leur crédibilité comme « victime historique ». Ils apparaissent pour ce qu'ils sont vraiment, des barons ethniques qui, comme ceux de tous les autres lobbys, cherchent simplement à avancer leurs pions sur l'échiquier politique canadien en profitant d'un préjugé favorable à leur égard. 
  
          Joerg Haider est l'ennemi à abattre pour une raison bien simple: il souhaite que les Autrichiens soient moins écrasés par l'État. Il s'oppose en effet à la construction d'un super État européen de plus en plus centralisé et interventionniste, ce qui choque les nouvelles couches de parasites politiques et bureaucratiques du Vieux Continent. Et sa popularité est en train de faire s'écrouler tout l'édifice politique autrichien des quarante dernières années, pendant lesquelles deux partis, socialiste et « conservateur » (c'est-à-dire, socialiste de droite) se sont partagés le pouvoir et ont siphonné le produit du travail des Autrichiens. Dans ce pays qui rivalise avec la Suède pour ce qui est de la lourdeur et des ramifications de sa bureaucratie, les deux partis se sont divisés, sous le système dit de la proporz, une part du gâteau proportionnelle à leurs appuis électoraux dans tous les ministères, sociétés publiques, médias d'État, services gouvernementaux, entreprises nationalisées, et autres branches de l'hydre étatique. Il n'est donc pas étonnant que plus du quart de la population, dont une forte proportion de jeunes, ait décidé d'appuyer quelqu'un qui promet de mettre fin à cette corruption socialiste à grande échelle. 
  
Double standard 
  
          Pour revenir à Montréal, les commentaires qu'on a pu entendre ou lire ici ces derniers jours ne se sont évidemment pas référés à des choses aussi futiles qu'un programme politique concret, comme on peut le constater dans cet extrait d'une « analyse » par Serge Truffault, chroniqueur au quotidien Le  Devoir: 
          Le programme? Il se résume à la propagation du racisme, de la xénophobie. Au rejet du corps étranger, à la négation de l'autre. De cet autre qu'il faut renvoyer en dehors des frontières parce qu'il est le responsable de nos maux. Haider ne fait alors que reprendre la vieille rengaine qui fait de l'étranger le bouc émissaire de tous les maux en plus d'altérer la pureté ethnique, en l'occurrence germanique.
          Ce scribouillard ne travaille pas au Devoir pour rien: c'est parce qu'on peut y faire carrière sans jamais vérifier la véracité de ce qu'on écrit ni s'en remettre au gros bon sens pour interpréter les faits. Vérifier le contenu véritable du programme du Parti de la liberté n'a évidemment aucune pertinence pour ceux qui pensent pouvoir interpréter ce que quelqu'un veut « vraiment » dire et faire, même s'il ne l'a jamais dit ni fait, parce qu'on l'a condamné d'avance. 
  
          Vous souvenez-vous au fait des manchettes gigantesques et des analyses à plus finir dans le Devoir et les autres médias lorsque des communistes ont accédé au gouvernement en France en 1981, puis de nouveau récemment en 1997, en partenariat avec leurs alliés socialistes? Et des pressions faites par le Canada, les États-Unis et l'Union européenne sur la France pour éviter un « dérapage » dangereux dans ce pays? Moi non plus. En fait, ces réactions n'ont jamais eu lieu. Il y a encore, aujourd'hui, des ministres communistes en France. Ce ne sont pas de gentils socio-démocrates qui sont soupçonnés d'avoir des sympathies totalitaires parce que certains d'entre eux ont fait de vagues commentaires à l'effet que Staline avait fait une ou deux bonnes choses. Non, ce sont de VRAIS communistes, membres d'un parti qui s'appelle le Parti communiste, des capotés d'extrême-gauche qui ont toujours appuyé ouvertement l'Union soviétique et ses goulags, même après que l'ampleur des boucheries de leurs « camarades » (100 millions de morts au 20e siècle à cause des communistes dans divers pays) soit devenue on ne peut plus claire!!  
  
          Ce même gouvernement français, constitué en partie d'individus aux croyances abjectes, est aujourd'hui à l'avant-garde dans la condamnation de l'Autriche, alors que ce sont eux qui devraient subir la condamnation de la communauté internationale. Ce sont les socialistes et les Verts français qui devraient subir l'opprobre des parlotteux grands défenseurs de la démocratie et de la dignité humaine. C'est le premier ministre Lionel Jospin qui devrait être conspué pour avoir consenti à pactiser avec le diable. On garde pourtant le silence partout sur cette question. 
  
          En Italie, des ex-communistes « réformés » sont aussi au pouvoir. En Espagne, les communistes se sont alliés aux socialistes pour faire échec au gouvernement conservateur de José Maria Aznar aux élections qui s'en viennent dans quelques semaines. En Europe de l'Est, de nombreux ex-communistes eux aussi vaguement réformés sont revenus au pouvoir. Mais dans aucun de ces cas la presse bien-pensante et nos gouvernements n'ont-ils cru bon de tirer la sonnette d'alarme pour éviter un retour au totalitarisme. Pas étonnant bien sûr, puisque la plupart de ceux qui occupent ces postes ont été dans leur jeunesse, ou sont encore, des sympathisants communistes ou socialistes, et ils ne voient pas l'opportunité de condamner des membres de leurs familles idéologiques un peu plus radicaux qu'eux. C'est de là qu'émane ce double standard, et ce n'est bien sûr pas la première fois qu'il se manifeste (voir aussi PIERRE VALLIÈRES, DÉFENSEUR DE LA LIBERTÉ?, le QL, no 28).  
  
          Joerg Haider est ostracisé aujourd'hui parce qu'il conteste l'ordre socialiste de son pays et de l'Europe. Le Parti réformiste a mis des années avant de devenir fréquentable au sein des élites de la capitale impériale sur l'Outaouais, et encore, la méfiance est toujours là. Des lecteurs qui liront ces propos favorables à Haider dans le présent QL auront sans doute le réflexe moutonnier de croire qu'il y a anguille sous roche et que nous sommes peut-être un groupe d'extrémistes néo-nazis qui cherche à infiltrer subrepticement les milieux intellectuels québécois. Chaque page publiée dans le QL ne contient pourtant qu'un seul élément de propagande dangereuse: la défense de la liberté individuelle. Mais c'est le prix à payer, semble-t-il, pour promouvoir cet idéal dans des sociétés qui ont subi des décennies de lavage de cerveau gauchiste. 
 
 
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Le Québec libre des  nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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